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Les constituants des « villes intelligentes »

1.2. Modernisation des organisations politico-administratives

A partir de la fin des années 1960 et du début des années 1970, l’informatique s’est implantée dans les grandes villes françaises et s’est constituée au sein d’une entité interne à l’organisation politico-administrative, sous forme d’une « citadelle ». De ces prémisses jusqu’au début des années 1980, les Services informatiques au sein des Collectivités locales se caractérisaient par leur inaccessibilité, voire par l’arrogance de certains de leurs employés. C’était alors l’époque de la « toute puissance » des experts de l’informatique au sein d’organisations communales peu habituées à l’innovation.

L’avènement de la micro-informatique puis de l’informatique en réseau dans la décennie 1980 a eu pour effet de permettre aux villes moyennes ainsi qu’à certaines petites villes d’accéder à cette ressource informatique. Dans le même temps, les « citadelles informatiques » commençaient à perdre de leur pouvoir. Avec les décennies 1990 puis 2000, on a observé un phénomène tout à fait intéressant : alors que les grandes villes, dotées de gros systèmes encore passablement centralisés, semblaient hésiter à prendre le virage de la technologie internet, ce sont les petites villes, parfois les villages, qui furent parmi les collectivités françaises les plus innovantes en la matière. C’est ainsi, semble-t-il (les sources ne sont pas unanimes) que la première collectivité à s’être dotée d’un site internet fut La Ferté-Bernard, petite ville d’un peu plus de 9 000 habitants, tandis que Parthenay, dans le Département des Deux Sèvres, devenue dès 1996/1997 une ville-phare en matière d’utilisation d’Internet, ne comptait quant à elle que 12 000 habitants (19 000 si on incluait les autres communes de son District). En 1999, Parthenay, avait même inauguré un modèle d’organisation très original. Alors que, dans le monde des collectivités locales, le Service informatique était considéré comme le Service des Services, celui qui, en « arrière-boutique », fournissait la ressource informatique aux autres services pour leurs gestions de la paye, des factures, des abonnements… à Parthenay, le Service informatique était en contact direct des habitants/usagers, comme premier guichet, en responsabilité de distribuer les demandes vers les services compétents. Si ce modèle parthenaisien semble avoir vécu, il n’en reste pas moins que les technologies numériques ont poussé les organisations à rompre peu à peu avec les logiques de sectorisation plus ou moins rigides qui avait produit ce qu’il est coutume d’appeler des organisations en « silos ».

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Du modèle de la citadelle informatique au modèle dijonnais, c’est toute une histoire des transformations organisationnelles des collectivités locales sur près de 50 ans. Si l’informatique de gestion a été l’enjeu de modernisation des collectivités dès la fin des années 1960, avec les années 2000, le sujet principal est celui de la maîtrise des données urbaines. Soit les collectivités seront en mesure de les utiliser afin d’améliorer leurs services aux habitants, soit, comme c’est déjà en train de se mettre en place en maints endroits, ce seront d’autres acteurs, privés dans de nombreux cas, qui s’en empareront et proposeront des solutions, quitte à remettre en question les équilibres territoriaux entre acteurs, voire la notion même de service public.

A certains égards, c’est bien ce que propose le modèle Disney, celui d’une confusion entre la ville et le “Magic Kingdom”, pensé au sein d’un laboratoire d’ingénierie urbaine de la firme, comme idéal d’urbanité et tel qu’il a été testé en Floride à Epcot Center dès 1982, puis plus récemment, en 1994, à Celebration la “ville privée” de la firme à quelques kilomètres d’Orlando. C’est encore au sein de l’empire commercial Disney qu’Eric Sadin voit poindre quelques perspectives de transformation radicales de la ville : « Disney a implémenté un système nommé MyMagic+ dans son parc à thème d’Orlando en Floride, qui équipe les visiteurs de bracelets connectés à l’effigie de Mickey Mouse, dont les localisations et trajets sont visibles sur des diagrammes, permettant de moduler à flux tendus les différentes attractions ou la composition des unités de personnel en fonction des taux de densité présents ou projetés (...) ». Prenant, en quelques sortes, au sérieux les expérimentations urbaines de Disney qui, effectivement, rêvait de bâtir une “cité idéale” sinon un “royaume magique”, le philosophe considère que les parcs à thèmes préfigurent l’évolution de la ville, déterminent la “condition urbaine”: « On peut parier sans risque que la configuration générale mise en place par Disney correspond dans l’esprit et dans les faits à celle vouée à terme à imprégner la condition urbaine, fondée sur le principe invariable de la personnalisation, de l’interaction ludique et de la recherche constante du plus grand nombre de transactions opérées au cours de chaque occurrence spatiotemporelle »52.

La situation des villes des pays du Sud

Au regard de l’accès à ces nouvelles ressources que constituent les données, les villes des pays du Sud sont assez souvent face à de nombreuses difficultés. Comme le signalait Aliou Kandji,

Directeur des Systèmes d’Information et de l’Observatoire de l'Agence de Développement Local de la République du Sénégal : « La collectivité est chargée de planifier ses actions mais cet aspect de planification est difficilement pris en compte parce que les données fiables manquent au niveau des collectivités, ce sont des données éparses disparates… Au niveau de la statistique nationale, on a des données agrégées, mais c’est très difficile d’avoir les niveaux locaux »53.

De fait, les données existantes dans les collectivités de nombreux pays du Sud sont d’autant moins accessibles que les collectivités locales sont récentes et généralement dans l’incapacité, du moins pour le moment, de se doter des équipements et des compétences nécessaires pour constituer de réelles Banques de Données Urbaines. Dans de nombreux cas, le cadastre n’existe pas ou alors depuis trop peu de temps. L’exemple de la ville sénégalaise de Guédiawaye est d’autant plus intéressant que c’est une ville qui bénéficie depuis plus de dix ans d’une coopération décentralisée particulièrement stable avec la Communauté

52 Eric Sadin, p. 84.

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d’Agglomération de Castres-Mazamet en France. Mame Fatou Sène, Responsable du Système d’Informations Géographiques de la ville de Guédiawaye rappelait qu’« avec la coopération avec la Communauté d’Agglomération de Castres-Mazamet, il s’agit de donner à Guédiawaye une capacité à centraliser ses données. La décentralisation oblige les villes à se doter de nouvelles compétences. A Guédiawaye, commune de banlieue, le Système d’Information Géographique a permis à la collectivité de stocker de façon claire et définitive les informations »54.

Autre exemple qui illustre à la fois les carences de ces villes africaines et leurs appétences à trouver des solutions, celui de la commune mauritanienne de Tevragh Zeina, commune centre- ville de la capitale, Nouakchott. La maire de cette commune, Fatimetou Abdel Malik, voulant lutter contre la mauvaise gestion liée à l’absence de données précises et fiables sur l’occupation marchande de l’espace public a « essayé, pour limiter les anomalies de mettre en place un logiciel local que nous avons développé. Il s’appelle “Elmaihassil” (le collecteur). Nous avons commencé par faire un recensement (en les géolocalisant) de tous les contribuables sur tablettes. On a organisé le territoire en 23 carrés (...). Avant, c’étaient des collecteurs qui faisaient le travail, mais c’était à la tête du client, on n’avait pas de base fiable (...). Avec cette nouvelle stratégie, on a triplé la recette fiscale »55.

Conscients de ces difficultés et des freins au développement qu’ils induisent, les autorités nationales ou municipales, dans certains de ces pays, s’efforcent de développer des stratégies. Au Sénégal, « L’Agence de Développement Municipal s’occupe des bases de données urbaines (...). Aujourd’hui, avec le programme Pacasem [de l’ADL], les collectivités locales vont être financées sur la base de leur performance (...). On a pris la commune de Touba avec une plateforme numérique test pour avoir une information fine sur l’ensemble des activités formelles et informelles, pour caractériser l’occupation de l’espace public »56.

A México, le Laboratorio para la Ciudad organise « un séminaire de “sciences des données pour la ville” (...) et procède par études de cas pour démontrer l’intérêt que ça peut avoir. C’est un processus de dialogue entre la Ville, les entreprises technologiques et les chercheurs académiques. En sont sortis 8 thèmes de tables collaboratives : Mobilités dans la ville de Mexico ; Qualité de l’air ; Sécurité sociale ; Obésité et diabète ; Education et cohésion communautaire ; Eau ; Services urbains ; Education sociale. Les 8 tables travaillent depuis janvier 2017 et finiront en janvier 2018 »57. Une telle démarche

trouve son intérêt également dans la recherche d’une solution à un problème de confiance. Olivier Bouvet, représentant du NUMA Mexico, censé travailler en concertation avec la ville et autour de ses mégadonnées, considérait en effet que : « Ici (...) les entreprises ne veulent pas travailler avec le Gouvernement de la ville. Personne n’a confiance dans le Gouvernement »58.

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