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Partager le modèle français de la ville intelligente

I. Une réflexion en cours sur la coopération décentralisée française La réflexion est en cours, d’une part parce qu’il s’agit d’une question relativement récente S

1.2. Une question trop peu étudiée par le monde académique

De même que les pouvoirs locaux ont longtemps souffert d’une sorte de marginalité dans les sciences juridiques, les sciences politiques et la science administrative, les relations entretenues entre les collectivités locales sont longtemps restées du domaine anecdotique, pour ne pas dire, parfois, folklorique.

Une enquête dans le fichier des thèses en ligne fait état de 56 thèses réalisées depuis 1985, quelles que soient les disciplines, ce qui est en fait le signe que le sujet a jusqu’ici peu mobilisé le monde académique. De fait, c’est plus de 4 thèses sur 10 qui sont inscrites en droit, et, si on y rajoute celles en sciences politiques, à elles deux ces deux disciplines rassemblent pratiquement 6 thèses sur dix. En valeur brute, le résultat est toutefois très modeste : 35 thèses en tout. Or, les thèses de droit, moindrement celles de sciences politiques, s’intéressent à la production des normes juridiques, aux rapports et au fonctionnement des institutions (Bernard Dolez, Coopération décentralisée et souveraineté de l'État. Contribution à l'étude du régime juridique de l'action extérieure des collectivités territoriales,1993 ; Jean-Christophe Lubac, Recherches sur les problèmes juridiques de la coopération internationale des collectivités territoriales, 2005 ; Mary Gely, L’action extérieure des collectivités territoriales françaises : étude de la mise en œuvre d’une action publique trans-sectorielle, vecteur d’articulation entre territoires et scène extérieure, 2016…). Leurs apparitions sont très fortement liées aux grandes réformes débutées en 1982 et qui voient, peu à peu, l’affirmation de cet objet. L’intérêt reste toutefois extrêmement timide.

A côté de ces disciplines « naturelles », l’objet a également été abordé en géographie, en aménagement de l’espace ou en sociologie. Ces thèses sont généralement construites autour d’études de cas, soit à partir de régions du monde (Evelyne Barq, Les organisations non gouvernementales et la coopération décentralisée dans la vallée du fleuve Sénégal : Sénégal et Mauritanie, 2010 ; Hawa Coulibaly, Les territoires de la coopération décentralisée dans la région de Koulikoro au Mali : l'injonction de la mobilisation des associations de migrants, 2015 ; Grégory

Enée, La dynamique des ONG au Burkina Faso : une efficacité en question, 2007…), soit à partir

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de thématiques de la coopération (Serigne Matar Ka, Les politiques et actions internationales de solidarité numérique à l'épreuve de la diffusion des TIC en Afrique de l'Ouest : bilan et perspectives, 2012 ; Destiny Tchéhouali, Les politiques et actions internationales de solidarité numérique à l'épreuve de la diffusion des TIC en Afrique de l'Ouest : bilan et perspectives, 2013).

Nombre de thèses de doctorat réalisées par disciplines sur le sujet de la coopération décentralisée

Source : graphique réalisé à partir des données de la plateforme « Thèses.fr », consultation octobre 2017.

Pour Mary Gely, auteur de l’une de ces thèses récentes : « Cette relative faible théorisation sur les actions extérieures des collectivités territoriales, notamment françaises, est bien illustrée par le fait qu’il n’existe pas une terminologie largement et communément acceptée par tous : praticiens, représentants de l’État et chercheurs. Ainsi, même si la dernière loi intronise le terme générique « d’actions extérieures des collectivités territoriales » (…), celui de « coopération décentralisée » n’est pas totalement abandonné puisque la Commission Nationale en charge de ces questions reste dénommée « Commission Nationale de la Coopération Décentralisée »203.

Chiffres-clés de la l'Action extérieure des collectivités françaises, toutes thématiques confondues

- 4 700 collectivité(s) territoriale(s) française(s) engagée(s) à l'étranger - 2 300 partenaire(s) étranger(s)

- 10 536 partenariat(s) de coopération décentralisée

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- Soit 3 737 projet(s) de coopération décentralisée - 6 799 jumelage(s) - 133 pays concerné(s)

Source : www.diplomatie.gouv.fr

On constate effectivement que cohabitent plusieurs expressions, ce qui tend à produire un effet de confusion : « action publique locale internationale », « coopération internationale des collectivités locales », « action internationale des collectivités locales », « paradiplomatie », « diplomatie des villes », « diplomatie des gouvernements locaux », « diplomatie de proximité »… Nous sommes ici face à un objet disputé entre différents partenaires/ayants droits, en modifications permanentes…

Selon Pierre Bourdieu, au sein du monde académique, ce sont « les chercheurs ou les recherches dominantes [qui] définissent ce qu’est, à un moment donné du temps, l’ensemble des objets importants, c’est-à-dire l’ensemble des questions qui importent pour les chercheurs, sur lesquelles ils vont concentrer leurs efforts, et qui vont, si je puis dire, « payer », déterminant une concentration des efforts de recherche »204.

On pourrait donc déduire des constats ci-dessus que le sujet de l’action extérieure des collectivités locales n’est pas un sujet scientifique réellement pertinent au regard des « chercheurs ou des recherches dominantes », que ce soit dans le champ du droit, des sciences politiques, comme de la géographie ou de la sociologie.

Ces difficultés et atermoiements ne sont pas sans incidences sur le champ professionnel, comme l’observait Yves Viltard : « En effet, les chercheurs sont aujourd’hui pratiquement sommés, par les praticiens ayant en charge les relations extérieures des unités subétatiques, de donner signification et légitimité à leur activité internationale. Ces professionnels sont aujourd’hui soucieux d’une reconnaissance nationale et internationale. Ils recherchent cette reconnaissance et, à travers eux, celle des unités subétatiques, dans différentes formes de partenariat, autant avec leurs propres États qu’avec les institutions internationales, notamment l’ONU ». Ce qui est en jeu, selon cet auteur, c’est bien d’un travail de conceptualisation, qui participe d’une quête de légitimation : « Pour cela, ils invitent officiellement les chercheurs à participer à un travail d’élaboration du concept de « diplomatie des villes », notamment à l’occasion de la conférence internationale se tenant à La Haye en juin 2008 pour la première fois sur ce thème »205.

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