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Choix politiques et stratégiques

1. Les grandes options de cho

1.2. Sécurisation de l’espace public ou libertés individuelles ?

Un film de science-fiction relativement « ancien » (1987), Robocop141, proposait un modèle

original de réponse « intelligente » aux problèmes de l’accroissement de la dangerosité urbaine dans une ville d’un futur qui aurait mal tourné. La réponse en question consistait à créer un être hybride de robot et d’humain, le « Robocop » dans une ville, Détroit, au sein de laquelle, la police, service public s’il en est, avait été déléguée à une entreprise privée, l’ "Omni Consumer Product". Ce Robocop, doté de prothèses mécaniques était plus efficace, plus rentable, incorruptible… et contribuait donc à sécuriser l’espace urbain et à faire chuter le taux de criminalité. Sans le savoir, Paul Verhoeven élaborait donc un scénario assez crédible mais peu rassurant de « ville intelligente ».

L’affaire David Copeland à Londres ressemble, elle-même, à un scénario de science-fiction. Le 17 avril 1999, ce jeune homme de 23 ans, inconnu des services de police, plaça une bombe artisanale (bombe à fragmentations, contenant 1 500 clous) près d'un supermarché d'Electric Avenue à Brixton, un quartier du sud de Londres fréquenté par une très forte population noire. Une semaine plus tard, le 24 avril, il récidiva à Brick Lane, quartier de l'est de Londres composé en majorité d’une population d’origine asiatique, enfin, le 30 avril, il fit de même à Soho, épicentre de la communauté gay londonienne. Les attentats firent 3 morts, et 129 blessés. Il fut identifié puis arrêté grâce aux caméras de vidéosurveillance disséminées dès cette époque dans l’espace public londonien. Scotland Yard fit une large communication autour de l’affaire tout en insistant sur le rôle déterminant qu’avait joué cette technologie, ceci notoirement pour faire accepter par la population britannique qu’elle serait d’autant mieux protégée si elle acceptait le principe de cette surveillance, parfois intrusive et éventuellement attentatoire aux libertés individuelles.

Cardiff, une caméra de vidéosurveillance,

nouveau mobilier urbain discret et en voie de banalisation

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La dialectique entre sécurisation et garantie des libertés individuelles dans l’espace public est une question régulièrement posée et réactivée avec fracas depuis 2001 et le déploiement de nouvelles formes de terrorismes. Les attentats qui ont marqué l’entrée dans le XXIème siècle ont effectivement eu un rôle tout à fait significatif dans la révélation que de très nombreuses machines étaient distribuées dans l’espace urbain. D’ailleurs, si l’effondrement des « Twin towers » de New York ont pu être filmés en direct, c’est parce que des caméras de surveillance, très nombreuses dans l’espace de Manhattan, ont été automatiquement braquées sur l’événement.

En fait, la tension entre « sécurité » et « contrôle » et ce qu’elle induit en termes de garantie des libertés individuelles est une question très ancienne. Elles constituent l’un des grands axes de réflexion des philosophes qui se sont intéressés au Politique et à la Cité. Pour se limiter à la période contemporaine, il convient de rappeler les travaux de Michel Foucault sur la « société de surveillance » et les « organisations totales », de même que ceux de Gilles Deleuze… : « Les sociétés de contrôle dont parle (…) Deleuze correspondent (…) à la mise en place de mécanismes de régulation et de sécurisation du champ social qui investissent tous les domaines de la vie humaine : le travail, la santé, l’éducation, les loisirs, etc. et dont l’efficacité tient à ce qu’ils se fondent dans le décor, qu’ils passent inaperçus et sont parfaitement intégrés à la vie quotidienne des individus qui en forment les relais efficaces et souvent bienveillants »142.

La sécurité correspond à une demande sociale d’autant plus forte que, de façon apparemment contradictoire, l’insécurité tend à reculer dans les sociétés urbaines contemporaines : « Emploi, éducation, santé : voilà quelles étaient les priorités des Français depuis 12 ans en matière d’action des pouvoirs publics. L’édition 2016 du baromètre des services publics de l’Institut Paul Delouvrier voit l’arrivée en deuxième position de la sécurité intérieure avec la police et la gendarmerie »143.

Plus récemment, le chercheur états-unien James Beniger avait démontré, dans un ouvrage trop peu connu, en quoi, depuis sa genèse, aux fondements de l’histoire, la « société de l’information » était en fait une « révolution du contrôle »144. Le recours désormais possible

aux mégadonnées dans la « sécurisation » des sociétés urbaines fait aujourd’hui émerger une nouvelle discipline, apparue aux États-Unis : les « surveillance studies »145.

Dans plusieurs villes dans lesquelles sont implantés de vastes réseaux de vidéosurveillance, comme le Centro de Atención a Emergencias y Protección Ciudadana de la Ciudad de México (C 4) de Mexico ou comme le Centre des opérations de la ville de Rio de Janeiro (COR) par exemple, il est fréquent de reprendre le même schéma de communication que celui qui fut inauguré par Scotland Yard juste après l’affaire Copeland.

Les villes françaises ont elles aussi beaucoup misé sur les caméras de vidéosurveillance dans l’espoir de faire baisser la criminalité. En pratique, on ne parle pas de vidéosurveillance, mais

142 Philippe Sabot, Une société sous contrôle ?, Savoirs textes langage -UMR 8163, 2012, pp.1-12. 143 Ouest France, Services publics. La sécurité, une forte attente pour les Français, publié le 19/12/2016.

144 James Beniger, The Control Revolution, Technological and Economic Origins of the Information Society, Harvard

University Press, 1986.

145 Cf. Gary T. Marx, Surveillance Studies, Massachusetts Institute of Technology, Cambridge, MA, USA, Elsevier,

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de vidéoprotection : « Le nombre de marchés attribués par les collectivités locales a bondi de 31 %

entre 2011 et 2014, passant de 424 à 570, révèle l'étude du Club de l'achat public. Dans les villes déjà équipées, le nombre de caméras a doublé : une cinquantaine aujourd'hui contre 25 en moyenne en 2011 (…) Sur le territoire du Grand Paris, la plupart des communes sont équipées. Toulouse a lancé cet été un appel d'offres pour 260 caméras... (…) »146.

A côté des questions de « vidéosurveillance » ou « vidéoprotection » se pose la question de l’utilisation des données personnelles par les différents acteurs et les usagers de la ville et, au- delà du recours aux technologies numériques, ces attentes sociales en matière de sécurisation des espaces publics semblent également avoir trouvé une traduction concrète et éminemment visible en termes de production urbaine forte dans la multiplication de « communautés » ou de « quartiers fermés ». Ce phénomène est étudié depuis Edward Blakely et Mary Gail Snyder dans « Fortress America » 147.

A terme, le danger que peuvent représenter la densification du réseau des systèmes électroniques de contrôle, voire leur évolution vers des « systèmes de contrôle intelligents », de même que la multiplication des « quartiers résidentiels fermés », c’est la remise en cause du contrat social de solidarité entre les habitants/citoyens. L’un des problèmes du C 4 de Mexico, par exemple, c’est qu’il ne couvre qu’environ 40 % du territoire de la grande métropole. Y échappent les quartiers de bidonvilles dans lesquels, pourtant, vit la majorité de la population urbaine. Un autre problème, typique de certaines des « Gated Communities » états-uniennes, c’est que la sécurité « intérieure » à ces communautés est non plus assurée par la police locale, mais par des milices privées, qui effectuent un tri entre ceux qui peuvent entrer dans l’espace protégé et ceux qui ne peuvent pas.

Comme le rappelle le rapport 148 des sénateurs Courtois et Gautier, « Les réflexions et les

débats sur le cadre légal de la vidéosurveillance et sur les risques pour les libertés collectives et individuelles ont réellement émergé lorsque certaines communes ont souhaité mettre en place des réseaux de vidéosurveillance de la voie publique en tant que telle aux fins de prévenir et réprimer la délinquance ». En l’espèce, les premières villes à se lancer dans cette voie furent Avignon, en 1990, puis Levallois-Perret quelques années plus tard. Saisie sur le cas de cette dernière, la Cnil s’était déclarée incompétente tout en soulignant que « le procédé de surveillance des voies et places publiques par le moyen de caméras » était dans son principe « de nature à constituer un risque pour les libertés et principalement celle, fondamentale et constitutionnelle, d’aller et venir » et qu’il pouvait « également occasionner des atteintes à la vie privée »149.

L’une des spécificités françaises, qu’il s’agit évidemment de préserver et sans doute aussi de consolider, tient sans aucun doute au maintien d’un équilibre exigeant entre demande sociale de sécurité et libertés individuelles. De fait, la « Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés », instituée en 1974 comme administration indépendante, est un acteur essentiel de la réponse qu’a trouvé la société française affrontée à ces défis. Avec ses homologues

146 Alain Piffaretti, Surchauffe autour de la vidéosurveillance, Les Echos, le 09/09/2015.

147 Edward Blakely and Mary Gail Snyder, Fortress America. Gated Communities in the United States, Brookings

Institution, 1997.

148 Jean-Patrick Courtois et Charles Gautier, Rapport d’information au Sénat sur la vidéosurveillance, n°131,

session ordinaire de 2008/2009, p. 9.

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allemande et suédoise, elles ont été maintes fois sources d’inspirations pour de nombreux autres pays ou organisations tels que l’OCDE en 1980, le Conseil de l’Europe en 1981, les Nations Unies en 1990, la Communauté européenne en 1995…

Elle se trouve également au cœur d’une alliance particulièrement intéressante dans l’espace francophone, alliance incarnée par l’Association Francophone des Autorités de Protection des Données Personnelles (AFAPDP), créée à Montréal en septembre 2007 à l’occasion de la 29ème

« Conférence internationale des commissaires à la protection des données et à la vie privée ». Cette association regroupe actuellement dix-huit États qui affichent partager « une langue, une tradition juridique et des valeurs communes » : Albanie, Andorre, Belgique, Bénin, Burkina Faso, Canada, Canada/Province du Québec, Côte d’Ivoire, France, Gabon, Grèce, Luxembourg, Mali, Maroc, Maurice, Monaco, Sénégal, Suisse, Tunisie.

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