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Les constituants des « villes intelligentes »

6. Transition pour une nécessaire deuxième définition

6.2. Repenser l’urbanisme ?

Un auteur comme François Ascher, dans deux ouvrages fondamentaux, l’un “Métapolis”127,

l’autre, “La société hypermoderne”128 insiste particulièrement sur le caractère de plus en plus

incertain, de plus en plus mouvant de ces espaces d’exercice de l’autorité publique en contexte métropolitain : “Nous avons défini la métapole comme l’ensemble des espaces dont tout ou partie des habitants, des activités économiques ou des territoires sont intégrés dans le fonctionnement quotidien (ordinaire) d’une très grande ville ou d’un groupe de grandes villes. La métapole n’a donc pas de limites précises et les espaces qui la composent sont profondément hétérogènes et pas nécessairement contigus129.

De fait, la métapole de François Ascher se définit davantage à partir d’une lecture des modes de vie de ses habitants que par les institutions qui en assurent la régulation : “ Dans cette société, les individus, “pluriels”, “multiappartenants”, participent à une multiplicité de champs sociaux plus ou moins stables : le travail, la famille, le quartier, etc. Ces champs sont de plus en plus distincts mais restent articulés les uns aux autres, notamment des liens économiques et culturels. Les individus passent de l’un à l’autre, y engageant des “soi” différents, mais assurant eux-mêmes les liens entre des mondes divers”130.

Un urbanisme des modes de vie ?

Une possibilité de renouveler la ville, de la réguler, consiste à prendre en compte l’évolution des modes de vie. Or, dans la production de la ville, les acteurs publics, qui fonctionnent sur

127 François Ascher, Métapolis ou l’avenir des villes, Ed. O. Jacob, 1995.

128 François Ascher, La société hypermoderne ou ces événements nous dépassent, feignons d’en être les

organisateurs, Ed. de l’Aube, coll. Essai, 2000.

129 François Ascher, Métapolis, p. 174/175.

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le registre de la planification, dans le temps long, avec le soutien d’une ingénierie complexe et de plus en plus spécialisée, sont de fait assez peu réceptifs à la façon dont la ville évolue en lien avec les modes de vie de ses habitants. Comme le remarquait Ariella Masboungi : “L’évolution des modes de vie, des comportements sociaux et des stratégies des acteurs a sans doute été mieux saisie par les “producteurs d’objets économiques” que par les acteurs de l’urbanisme et de l’aménagement, qui déplorent que de nombreux pôles d’attraction de la ville leur échappent, et contrecarrent leur volonté d’agir en faveur d’une vision plus intégrée de l’urbain”131.

Un exemple assez flagrant qui montre comment les acteurs économiques peuvent aller jusqu’à se substituer à l’acteur public dans la production de certaines formes contemporaine d’espaces publics est celui des “villes” ou “quartiers fermés” (les “gated communities”). Répondant assez souvent à une demande sociale de sécurité, d’entre-soi, les “quartiers fermés” apparaissent comme des réactions à l’inaptitude supposée (ou réelle) de l’acteur public de proposer des réponses face à ce type d’attente.

En fait, l’enjeu consiste pour les acteurs publics urbains à inventer (ou réinventer) de nouvelles façons de faire la ville qui soient en capacité à accompagner l’évolution des modes de vie. Il s’agit de basculer d’une façon de faire la ville qui était très majoritairement une logique de l’offre vers une façon qui fasse place aux logiques de la demande, tout en considérant la mise en garde d’Ariella Masboungi : “répondre aux demandes telles qu’elles sont formulées est la pire manière de prendre en compte les modes de vie. L’interprétation est indispensable, pour comprendre ce qu’est réellement la demande et pour anticiper ses évolutions”132.

Un urbanisme tactique ?

Une modalité possible de prise en compte, par l’acteur public, des attentes sociales dans la production de la ville est ce que l’on retrouve dans l’urbanisme tactique. Cet urbanisme, que l’on qualifie le plus souvent d’éphémère, que l’on assimile à une acupuncture urbaine, est apparu dans les villes états-uniennes mais aussi dans les villes d’Amérique latine. Il a été théorisé par l’urbaniste états-unien Mike Lydon133 dans son ouvrage paru en 2011 : Tactical

Urbanism, Short-Term Action, Long-Term Change. Tel que proposé par Mike Lydon, l’urbanisme tactique consiste, par le recours à la participation des habitants-citoyens, à initier des expérimentations urbaines qui reposent sur trois principes essentiels : une taille réduite, le court terme et les faibles coûts.

Par la modestie des moyens financiers mobilisés, du fait même de sa logique de déploiement limité dans le temps et dans l’espace, cet urbanisme que l’on pourrait aussi appeler “participatif” se loge et s’incarne assez souvent dans les interstices de la ville classique, dans les espaces délaissés, les friches industrielles, les chantiers en pause plus ou moins longue. Il correspond aussi à des opérations de réhabilitation de quartiers populaires. On peut encore

131 Ariella Masboungi, Un urbanisme des modes de vie : projet urbain ou logiques de marché ? In Ariella Masboungi

et Alain Bourdin, Un urbanisme des modes de vie, Ed. Le Moniteur, 2004, p. 8.

132 Idem

133 Mike Lydon, Tactical Urbanism, Short-Term Action, Long-Term Change. Vol. 1. New York, The Street Plans

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le retrouver dans des opérations comme les “budgets participatifs”, au cours desquels les habitants des quartiers sont invités à formuler des propositions d’urbanisme.

Ces interventions modestes requièrent aussi assez souvent des “innovations frugales” et sont particulièrement adaptées aux quartiers populaires ou aux villes des pays pauvres, mais elles sont également pleinement pertinentes et ceci de plus en plus, et notamment dans les villes engageant des politiques de “villes intelligentes” dans les villes des pays riches afin de permettre précisément de tenir compte des demandes sociales et de leurs évolutions.

En l’espèce, le “modèle français” d’urbanisme n’est sans doute pas le plus ouvert à ce type d’expérimentations, comme le rappelle Jodelle Zétlaoui-Léger, “ si on se réfère à ce qu'a été l'histoire de la fabrication des villes, notamment en France depuis le XIXe siècle, (...) les autorités publiques ont souvent pensé qu'elles pouvaient orchestrer la production urbaine à travers des réglementations et des normes, avec une vision très élitiste et légaliste du pouvoir”134.

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