• Aucun résultat trouvé

Un manuel solidariste bien accueilli par les francs maçons

Pédagogue solidariste et didacticien du français pour allophones

3.1.1 Un manuel solidariste bien accueilli par les francs maçons

Louis Pastre s’installe à l’école Pasteur, au Bas-Vernet, dans la banlieue nord de Perpignan, au printemps 1900, et obtient une mutation pour l’école Rigaud, dans le quartier

intra muros de La Real, l’été 19011. Ces périodes correspondent, à quelques jours près, aux dates d’arrivée et de départ du directeur, Jules Combes (1858-1943)2

, de cet établissement à deux classes.

Né à Montauban, encore un gavatx donc, Jules Combes est un ancien élève de l’école normale de Perpignan. Titulaire du brevet supérieur, il est rompu à la fonction de direction, qu’il a déjà occupée, pendant 18 ans, essentiellement à Prades et auparavant dans le petit village voisin de Los Masos. Maître d’école méritant, Jules Combes est titulaire d’une médaille de bronze, attribuée en 18923. Il est aussi lauréat de l’Exposition scolaire du Concours agricole de Perpignan de 1890, avec une médaille d’argent, pour les cahiers et les

1 ADPO : 1T101. Voir illustration 3.1.1 et 3.1.2. 2

Dates relevées sur la sépulture de Jules Combes au cimetière de l’ouest de Perpignan.

travaux manuels présentés1. Reconnu par ses collègues, Jules Combes est conseiller départemental et siège donc en tant que membre élu au sein de l’instance paritaire départementale, aux attributions pédagogiques, administratives et disciplinaires. Apprécié par la hiérarchie, le Montalbanais est soucieux de sa carrière et a sollicité le sous-préfet de Prades pour assurer sa mutation à Perpignan : « une intervention qu’il croit de quelque poids !... Douce croyance ! »2, se moque le haut-fonctionnaire, dans sa missive au Préfet.

Louis Pastre, quant à lui, n’adopte pas la même posture. Avec seize années d’ancienneté, ayant atteint la deuxième classe, il était pourtant aussi en mesure de postuler à la direction d’école, grâce à une entrée en fonction antérieure à 1889, qui le dispensait du brevet supérieur3.

L’année scolaire 1900-1901 fut mise à profit par les deux instituteurs,pour une expérimentation pédagogique, qui déboucha, en 1901, sur une publication : Essai d’éducation

sociale à l’école avec le concours de la famille : Guide du maître4

. Il semble que la pratique commune d’éducation sociale, en vue de l’enrichissement de l’ouvrage, fut poursuivie durant l’année 1901-1902, même si les notices administratives des deux collègues indiquent, à cette date, un changement d’affectation qui contredit leur note placée à la fin de la réédition de 19025 : « Nous ne saurions terminer sans faire connaître à nos collègues les principaux résultats obtenus dans notre école pendant les années scolaires 1900-1901 et 1901-19026 ».

Il est donc probable que Louis Pastre et Jules Combes aient poursuivi l’éducation sociale en classe, chacun dans leur nouvelle affectation, après l’étape commune à l’école

1 L’exposition scolaire est organisée sous l’autorité de l’inspecteur primaire de Perpignan, Auguste Taillefer,

commissaire général. On remarque, parmi les membres du jury, Pierre Vidal, bibliothécaire de la ville de Perpignan. AMP : 3F1/8 (Livre d’or du oncours régional et de l’Exposition de Perpignan).

2 ADPO : 1T95. 3

« Classement des instituteurs », Bulletin de l’Enseignement Primaire des P.-O., n°216, 20 novembre 1920, p. 652 ; «Directeurs et directrices d’écoles primaires élémentaires » et « Classement avancement et traitements ». In BUISSON Ferdinand, dir. (1911). Nouveau dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire. Paris, Hachette, 2 vol. http://www.inrp.fr/edition-electronique/lodel/dictionnaire-ferdinand-buisson/.

4 Voir illustration 3.1.3. 5

COMBES Jules, PASTRE Louis [1902, 2e éd.]. Essai d’éducation sociale à l’école avec le concours de la

famille. 2e édition modifiée d’après les observations faites par les instituteurs dans diverses conférences pédagogiques. Guide du maître. Paris, Bibliothèque d’Éducation, 24 p, in-8°. Le format in octavo correspond

approximativement au format A5.

Il est fait référence à une première édition en 1901 dans : MASERAS Alfons (1927). « L’obra de Lluís Pastre ».

La Veu de Catalunya, edició del matí, n°9820, 20 novembre 1927, p.7.

Nous avons situé la deuxième édition en 1902 car la Revue de l’Enseignement primaire et Primaire Supérieur en fait la promotion en février 1903 (voir plus loin). Cela semble confirmé au vu des données biographiques des personnalités radicales qui félicitent les auteurs et dont les textes sont inclus dans l’ouvrage (voir plus loin). Ainsi, Louis PASTRE cite le mandat de député de Ferdinand Buisson qui ne l’a été qu’en 1902, alors qu’il omet de préciser que Louis Caulas, qui le félicita aussi, est maire de Perpignan. Cela est certainement dû aux difficultés que celui-ci rencontre en 1902, à la mairie, et en tant que candidat malheureux aux élections législatives d’avril, lors desquelles il est battu par Edmond Bartissol, candidat anti-ministériel soutenu par les monarchistes.

Pasteur. La position de Jules Combes au sein de l’administration scolaire, mieux établi que Louis Pastre, simple instituteur adjoint diplômé a minima, suggère que le directeur médaillé et conseiller départemental de l’Instruction publique fut le principal promoteur de cette première aventure éditoriale. Ou bien Louis Pastre chercha-t-il à bénéficier d’un réseau que pouvait lui ouvrir un collègue mieux introduit auprès des instances dirigeantes de l’Instruction publique ?

Ces toutes premières années du XXe siècle, alors que Louis Pastre, à 38 ans, publie son premier ouvrage, sont celles du retour des luttes scolaires. L’affaire Dreyfus, à son paroxysme en 1899, coupant la France en deux, les a réveillées, après une dizaine d’années d’apaisement. Ainsi, les élections législatives de 1902, lors desquelles la majorité républicaine sort renforcée sur sa gauche anticléricale, sont marquées par l’application aux congrégations enseignantes de la loi de 1901 sur les associations. Dans les Pyrénées-Orientales, le Bloc des gauches ministériel l’emporte, avec trois députés, Jean Bourrat (1859-1909), radical-socialiste, Jules Pams (1852-1930), républicain-radical, Frédéric Escanyé (1833-1906), républicain progressiste, face à un seul élu pour les progressistes alliés aux monarchistes, Édmond Bartissol (1841-1916).

La deuxième édition de l’ouvrage commun est publiée à Paris, à la Bibliothèque d’Éducation, fondée en 1898, par Henri Baudéan (1864- ?), également propriétaire de la

Revue de l’Enseignement primaire et Primaire Supérieur (1890-1929). Cette revue de

référence, de laquelle émane la Bibliothèque d’Éducation, est écrite par des instituteurs et pour les instituteurs, elle est au centre des débats sur l’amicalisme et le syndicalisme dans l’enseignement primaire1

. Née de la volonté de regrouper les instituteurs, après la circulaire de 1887 du ministre de l’Instruction Publique, Eugène Spuller (1835-1896), qui leur avait interdit toute union nationale, la Revue se compose de trois parties : scolaire, postscolaire et extrascolaire. Elle ne se contente pas de diffuser des exercices et des modèles de conférences pour les cours d’adultes, mais traite aussi des questions corporatives et véhicule les idées du socialisme, auprès d’instituteurs qui, après l’Affaire Dreyfus, ont perdu leur enthousiasme initial envers la Troisième République. Ainsi, de 1904 à 1914, Jean Jaurès (1859-1914) y écrit

1

CASPARD Pierre, dir., CASPARD-KARYDIS Pénélope, CHAMBON André, FRAISSE Geneviève, POINDRON Denise (1986). La presse d'éducation et d'enseignement : XVIIIe siècle-1940 : répertoire

analytique : T. 3. K-R. Paris, INRP, CNRS, p. 416-418.

RUIMY Laurence (1994). Recherches sur la Revue de l’Enseignement Primaire et primaire Supérieur (1890-

deux articles par mois ; auparavant, Gustave Hervé (1871-1944) lui prêtait également sa plume.

La une du 1er et du 8 février 1903, et celle du 15 novembre 1903, présentent l’ouvrage des instituteurs perpignanais, en reproduisant, en pleine page, la préface de l’Essai

d’éducation sociale à l’école avec le concours de la famille : Guide du maître1

, et annoncent son complément, Dossier de l’élève, aujourd’hui introuvable. De même, La Revue du 13 décembre 1903 fait la promotion d’un autre manuel de la Bibliothèque d’Éducation, Histoire

de la France et de l’Europe, un ouvrage de Gustave Hervé, à cette époque, pacifiste et hostile

au patriotisme tel qu’il était enseigné par la République2

. La Bibliothèque d’Éducation a l’ambition d’aider les instituteurs à défendre l’école primaire laïque contre la pression cléricale, en mettant « entre les mains des élèves des livres nouveaux, faits sur les indications des maîtres eux-mêmes, conçus d’après une méthode scientifique et concourant ainsi

réellement à l’émancipation intellectuelle des jeunes générations et à leur culture morale3 ». À la différence des grandes maisons d’édition scolaire créées précédemment, liées elles aussi à des revues professionnelles4, mais publiant surtout les écrits de professeurs du second degré, la Bibliothèque d’Éducation privilégie les ouvrages signés par des instituteurs, leur permet d’en tirer quelque bénéfice et consacre l’excédent de ses ressources à l’Union Fraternelle de l’Enseignement Primaire, une société de secours mutuels5

.

L’éducation sociale, que promeuvent Jules Combes et Louis Pastre, est une dimension de la question sociale qui a une place importante dans les débats de la fin du XIXe siècle. Selon Émile Durkheim (1858-1917), le fondateur de la sociologie française, l’éducation est un « fait social »6 qui s’impose à l’individu. Pour les radicaux et les démocrates modérés, au pouvoir dès 1902, grâce au Bloc des gauches, le problème social trouve sa solution dans l’éducation. Nos deux auteurs, dans leur proposition d’Éducation sociale à l’école avec le

concours de la famille, s’inscrivent dans le mouvement solidariste fondé par Léon Bourgeois

1 Voir illustration 3.1.3’. 2

Le manuel fut interdit par le Conseil Supérieur de l’Instruction Publique, en 1904.

3 BAUDEAN Henri (1898). « Bibliothèque d’Éducation ». Revue de l’Enseignement Primaire et Primaire

Supérieur, 30 janvier 1898, p. 145-146. Cité par : RUIMY Laurence (1994). Recherches sur la Revue de l’Enseignement Primaire et primaire Supérieur (1890-1914). Paris, Fen UNSA, p. 29.

4

Le manuel Général de l’Instruction Primaire, fondé en 1832 et publié chez Hachette depuis 1850, compte sur Ferdinand Buisson qui lui prête sa plume. Également, Le Volume, édité depuis 1888 par Armand Colin, avec des contributions de Jules Payot. Mais aussi, La Revue Pédagogique, fondée en 1878, éditée par Delagrave, avec des contributions d’Élie Pécaut, Jules Steeg, Octave Gréard et Ferdinand Buisson.

Cité par : RUIMY Laurence (1994). Recherches sur la Revue de l’Enseignement Primaire et primaire Supérieur

(1890-1914). Paris, Fen UNSA, p. 20.

5

Voir : RUIMY, ibid, p. 32.

(1851-1925), « auteur de Solidarité, président de la Société d’Éducation sociale », auquel ils dédient leur manuel. En 1896, l’ancien président du Conseil, député et plusieurs fois ministre, en particulier de l’Intérieur, et de l’Instruction publique (1890-1892 et 1898), avait effectivement rassemblé et publié, sous le titre de Solidarité, une série d’articles1. En 1890, Jules Combes, lauréat du Concours scolaire de Perpignan, fut probablement félicité par le ministre qui présidait la distribution solennelle des récompenses2. En 1901, lorsque les deux instituteurs solidaristes se placent sous son autorité intellectuelle, Léon Bourgeois s’active pour la constitution du Parti radical, en présidant le Comité d’action pour son congrès fondateur.

Le solidarisme, qui se veut doctrine scientifique, se fonde sur l’idée que les hommes sont tous liés, du fait de leur seule naissance, comme sont interdépendants tous les organes d’un même corps. C’est la philosophie que les radicaux mettent en pratique, une fois au pouvoir. En fait, le solidarisme est « un réformisme soucieux, par des mesures ponctuelles, de détourner les classes pauvres du socialisme »3 : c’est une alternative à la charité chrétienne comme au collectivisme révolutionnaire. Outre l’éducation sociale, il propose le développement des syndicats ouvriers, des coopératives paysannes, des mutuelles. Il défend l’instauration de l’impôt sur le revenu, les retraites ouvrières, l’arbitrage dans les conflits du travail et, en matière internationale4, la coopération et l’arbitrage. Les solidaristes ont apporté également leur concours à l’adoption de la loi de 1901 sur les associations. Leur doctrine se conjugue à la conception de la nation édictée par Ernest Renan (1823-1892), en 1882, car la solidarité unit les citoyens d’une même patrie, par delà leurs différences de langue, de religion, etc5.

Ce climat favorisa aussi la publication, à Perpignan, en 1901, de Méthode

d’enseignement mutuel : ses péripéties en France, sa défense, sa glorification6

, de Sauveur Morer (1823-1902), ancien professeur du collège de Perpignan et disciple de Côme Rouffia

1

BOURGEOIS Léon (1896). Solidarité. Paris, Colin.

2 Léon Bourgeois, ministre de l’Instruction publique, préside, les 19 et 20 juillet 1890, la remise des prix du

concours et de l’exposition scolaires de Perpignan (voir supra), organisés dans le cadre du Concours agricole (10-18 mai 1990) ; un buffet avec les autorités locales est donné, en son honneur, par la municipalité de Perpignan menée par le radical Élie Delcros. Le ministre inaugure aussi la statue du portraitiste roussillonnais de Louis XIV, Hyacinthe Rigaud (Jacinto Rigau). AMP : 3F1/15.

3

SAGNES Jean (2007). « La conception solidariste dans les manuels de l’enseignement primaire supérieur sous la Troisième République », p. 233-241. In VERDELHAN-BOURGADE Michèle, BAKHOUCHE Béatrice, BOUTAN Pierre, ÉTIENNE Richard. Les manuels scolaires, miroir de la nation ? Paris, L’Harmattan, p. 237.

4 Léon Bourgeois sera le premier président de la Société des Nations, en 1919. Cela lui vaudra le prix Nobel de

la Paix, en 1920.

5 Voir SAGNES, op.cit, p. 235.

6 MORER Sauveur (1901). Mét ode d’enseignement mutuel: Ses péripéties en France – Sa défense – Sa

(1790-1874), le fondateur de la première école mutuelle de la ville1. Alors que déjà sous le ministère Guizot, l’enseignement mutuel n’avait pu résister, au sein même de l’école publique, à l’engouement pour la méthode simultanée des Frères des écoles chrétiennes, la publication d’un tel ouvrage semble vouloir rappeler aux républicains anticléricaux et solidaristes de 1900, leur dette envers les libéraux philanthropes du début du siècle passé, favorables à la démocratisation de l’instruction. Et on peut voir, en effet, dans l’Essai

d’éducation sociale à l’école, avec le concours de la famille de Jules Combes et Louis Pastre,

qui prône « l’effort individuel et collectif » et organise la classe sous l’autorité de chefs de groupes, des réminiscences de la méthode mutuelle, même s’il ne s’agit plus comme auparavant « d’un moniteur investi d’une part de l’autorité du maître », mais « d’un élève comme les autres », qui a l’autorité « que ses camarades lui ont volontairement donnée ».2

L’ouvrage des deux instituteurs perpignanais paraît opportunément alors que viennent de se tenir, du 26 au 30 septembre 1900, l’Exposition de l’Éducation Sociale et le Congrès International de l’Éducation Sociale, lors de l’Exposition Universelle de Paris, sous la présidence de Léon Bourgeois, qui fonde ensuite la Société pour l’Éducation sociale. Pourtant, selon le préfet des Pyrénées-Orientales, qui répond, en février 1900, à la sollicitation de Léon Bourgeois, en vue de la préparation de la manifestation parisienne, « en dehors des établissements d’enseignement public, les œuvres se rattachant à l’Éducation Sociale sont peu nombreuses dans le département »3. Jules Combes et Louis Pastre font donc œuvre de pionniers, en matière de manuels d’éducation sociale pratique, dans leur département et, probablement dans la France entière4. En effet, la notion de « solidarité » figure dans les

1 Voir chapitres 1.1 et 1.2. 2

COMBES Jules, PASTRE Louis [1903]. Essai d’éducation sociale à l’école avec le concours de la famille. 2e

édition modifiée d’après les observations faites par les instituteurs dans diverses conférences pédagogiques. Guide du maître. Paris, Bibliothèque d’Éducation, p. 19.

3 Suite de la lettre : « Voici leur nomenclature, avec le nom des présidents qui, j’en ai reçu l’assurance, vous

prêteront leur concours le plus entier : M. Blanquer, conservateur du musée, président de l’Association Polytechnique de Perpignan ; M. Émile Brousse, ancien député, président de l’Association Polytechnique de Céret ; M. Lauret, inspecteur d’Académie, président de la Société de Secours mutuels des instituteurs et institutrices du département et de la Mutualité Scolaire, à Perpignan ; M. le docteur Lutrand, président de l’Association des Anciens Élèves du Collège, à Perpignan ; M. le Baron Desprès, Président de la [?]; M. [?], président de l’Assistance par le Travail, à Perpignan; M. Agasse, Président de la Bourse du Travail, à Perpignan ; M. Ferrer, Président de la Société Agricole à Perpignan ; M. Arqué, président de la Société des employés du commerce, à Perpignan ; M. Eugène Bardou, président de la Société de l’Imprimerie, à Perpignan ; M. le docteur Donnezan, président de l’association Amicale des Médaillés d’honneur, à Perpignan.

ADPO : 1T332.

4 Le catalogue en ligne du Musée Social <http://cediasbibli.org/opac/index.php?lvl=more_results> ne propose

pas de manuel d’éducation sociale ; celui de Jules Combes et Louis Pastre n’y figure pas non plus ; nous leur en avons adressé une copie numérique, à partir de l’exemplaire conservé à la BNF. Courrier électronique, du 9 février 2012, en réponse à notre sollicitation, envoyé par Anthony Lorry, Bibliothèque du CEDIAS-Musée social ; 5, rue Las cases, 75007 Paris.

manuels d’éducation civique de la Troisième République1

, de façon théorique, selon les programmes de 1897 et de 19022. En revanche, la pratique de la solidarité effective en classe n’avait, semble-t-il, jamais été, auparavant, l’objet d’un manuel, qui plus est accompagné d’un dossier de l’élève, que l’inspecteur primaire de Perpignan, Sylvain Davin (1857- ?), considère comme « l’histoire morale et intellectuelle de l’enfant [qui] devra le suivre durant toute sa scolarité »3. Parmi les appréciations qui précèdent l’ouvrage, outre cette dernière, celle de Paul Grenier (1870-1953)4, « publiciste », ancien instituteur, correspondant à Perpignan du grand journal radical La Dépêche de Toulouse, semble être la confirmation du caractère précurseur de l’œuvre d’éducation sociale de Jules Combes et Louis Pastre:

Je vous félicite de votre remarquable travail. – Il a toute la valeur d’une œuvre originale. Sans doute les principes en ont été exposés par les principaux penseurs et notamment par M. Léon Bourgeois dans son beau livre « sur la solidarité ». Mais il restait à trouver une méthode pratique d’éducation conforme à ces principes. C’était très difficile, car il ne s’agissait pas d’imiter ou de perfectionner ; il fallait créer. Ce n’est pas par un vague enseignement théorique, c’est par une application raisonnée, quotidienne, incessante de procédés systématisés que vous entendez développer le sentiment de la solidarité5.

D’autres personnalités, parmi les plus hautes autorités de la pédagogie et de la politique radicale encouragent les auteurs. L’ouvrage inclut quatre pages d’appréciations6

dont celle de Ferdinand Buisson7 (1841-1932), « professeur d’éducation à la Sorbonne, ancien directeur de l’enseignement primaire, député de Paris », de Léopold Mabilleau8

(1859-1941),

1

L’éducation religieuse a été remplacée, dans les écoles publiques, par l’instruction morale et civique, en vertu de la loi sur l’obligation et la laïcité scolaires de 1882.

2 SAGNES Jean (2007). « La conception solidariste dans les manuels de l’enseignement primaire supérieur sous

la Troisième République », p. 233-241. In VERDELHAN-BOURGADE Michèle, BAKHOUCHE Béatrice, BOUTAN Pierre, ÉTIENNE Richard. Les manuels scolaires, miroir de la nation ? Paris, L’Harmattan, p. 233.

3 COMBES Jules, PASTRE Louis [1902]. Essai d’éducation sociale à l’école avec le concours de la famille. 2e

édition modifiée d’après les observations faites par les instituteurs dans diverses conférences pédagogi ues. Guide du maître. Paris, Bibliothèque d’Éducation, p. 6.

4 BONET Gérard, dir. (2011). Nouveau dictionnaire de biographies roussillonnaises : Pouvoirs et société.

Perpignan, Publications de l’Olivier, p. 513.

5

COMBES Jules, PASTRE Louis [1902]. Essai d’éducation sociale à l’école avec le concours de la famille,

op.cit, p. 3.

6 Ibid., p. 1-4. 7

Ferdinand Buisson fut directeur de l’enseignement primaire, choisi par Jules FERRY en 1879, et le resta pendant dix-sept ans. Il dirigea les éditions de 1897 et de 1911 du Dictionnaire de pédagogie et d’instruction

primaire, et fit entrer les sciences de l’éducation dans l’enseignement supérieur, dès 1883. Ce fut une des

grandes figures de l’école de la Troisième République. Député radical-socialiste de la Seine de 1902 à 1914 et de 1919 à 1924, il fut président de la Ligue des droits de l’homme en 1913, et reçut, en 1927, le prix Nobel de la paix.

8 Léopold Mabilleau, professeur agrégé de philosophie à la faculté des lettres de Toulouse, devient directeur du

Musée social, fondé en 1894, et contribue à faire passer la politique de l’État du concept de charité à celui d’assurance sociale. En 1902, Léopold Mabilleau est élu premier président de la Fédération Nationale de la Mutualité Française.

« directeur du Musée Social, membre correspondant de l’Institut » et de Jules Payot1 (1859- 1940), « inspecteur d’académie ». On y trouve aussi les encouragements d’Antonin Lavergne (1863-1941), « professeur d’école normale et auteur de Jean Coste ou l’instituteur de

village »2 et de Lauret, « inspecteur d’Académie » des Pyrénées-Orientales, de 1899 à 19053. La présence d’Antonin Lavergne parmi les signataires, avec lequel Louis Pastre a très probablement eu des relations de camaraderie vingt ans auparavant4, nous suggère que ce dernier doit aussi avoir des rapports privilégiés avec certaines des autres personnalités qui le félicitent. En tout état de cause, amitié éventuelle mise à part, se référer à Jean Coste en 1902 revient à faire un clin d’œil aux amis de Charles Péguy, l’éditeur et défenseur du roman. En