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Pédagogue solidariste et didacticien du français pour allophones

2 ARM : J ALCOVER-168.

3 Jules Delpont publiera, en 1905, un recueil de poèmes Las terres de llengua catalana, Perpignan, Latrobe, qui

exalte la fraternité de tous les territoires de langue catalane, y compris L’Alguer, en Sardaigne.

gent senyora, los sacerdots, y’ls literats donguessen à la nostra llengua la consideració que se mereix, si à Deu plau, y amb l’amistosa amabilitat de bons literats com vosté, pensi de poguer dur la meua pedreta à n’eixa obra de’l renaixement catalaniste.

Aquest matí mateix, som anat à trobar mon mestre y amich lo senyor don Justí Pepratx, i li som entregat los 3 tomos de vosté; li n’és molt agrahit1.

[J’aime beaucoup, aussi, tout ce que vous me dites à propos de notre langue, toujours plus chérie, et les nouvelles que vous me donnez du catalanisme sur la belle île de Majorque, vous y faites une grande œuvre, pourvu que nous puissions faire de même ici.

En Roussillon, le catalan est la langue du peuple, des populations paysannes et montagnardes, mais nous sommes bien peu nombreux à l’écrire et ainsi je vais essayer de l’enseigner à quelque ami. De plus, mon rêve serait que les personnes d’importance, les curés et les lettrés donnent à notre langue la considération qu’elle mérite, si Dieu le veut, et avec l’amicale amabilité de bons lettrés comme vous, je pense pouvoir apporter ma petite pierre à cette œuvre de renaissance catalaniste.

Ce matin même, j’ai rendu visite à mon maître et ami Monsieur Justin Pepratx, et je lui ai remis vos 3 tomes2 ; il vous en est très reconnaissant.]

Un autre lettré roussillonnais, le jeune Alphonse Talut (1877-1915), futur agrégé d’espagnol3

, porte, le 15 janvier 1899, dans la revue littéraire perpignanaise La Clavellina (1896-1902), sous le titre « Viva Catalunya », la communion catalaniste entre le Roussillon et la Catalogne au-delà des préoccupations strictement linguistiques, en réponse à l’activiste Josep Aladern4 (1869-1918) qui, probablement dans La Veu de Catalunya ou La Renaixensa, regrettait « le manque d’enthousiasme des Catalans de France dans leur soutien au mouvement catalaniste » :

Vous avez raison, mon cher camarade : "Els catalans de França no han may secundat ab entusiasme’l moviment catalanista." Et vous avez su voir pourquoi les Catalans de France se sont laissé endormir à la voix charmeresse de la grande nation européenne. Ils ont entrevu l’avenir brillant de leur nouvelle

1 ARM : AM/25-9. Voir annexe 3.1.4. 2

Antoni Maria Alcover recueille la littérature populaire de son île qu’il rassemble dans ses Rondaies

Mallorquines, publiées en 24 volumes à partir de 1896. Jules Delpont se charge de la diffusion en Roussillon.

3 Agrégé d’espagnol en 1903, puis professeur aux lycées Charlemagne et Condorcet de Paris, Alphonse Talut

mourut à la guerre alors qu’il préparait une thèse sur Les rapports et les affinités du catalan et du roman. Il présidait la Société des professeurs de langues méridionales et publia deux ouvrages pour l’apprentissage de l’espagnol, dont : TALUT Alfonso (1912). Nociones de gramatica castellana para el uso de los principiantes, Paris, Garnier. Voir illustration 3.1.11.

D’après : DELPONT Jules (1915). « Nos morts : Alphonse Talut ». Montanyes Regalades, n°2, novembre- décembre 1915, p. 21-22.

4 Cosme Vidal i Rosich, alias Josep Aladern, écrivain, journaliste et activiste catalaniste, républicain et

fédéraliste, aura bientôt un rôle clé dans le rapprochement des catalanismes du nord et du sud des Albères ainsi qu’entre le catalanisme et l’occitanisme progressistes. Il fréquentera bientôt Prosper Estieu et aussi Louis Pastre. Il défendait l’idée d’une Occitanie idéale incluant toutes les contrées de langue catalane et de langue occitane. Voir : Homenatge a la memòria d’en osme Vidal (Josep Aladern). Barcelona, Tip. J. Anglada, 1926, p.19-20.

tutrice, et ils ont compris qu’ils avaient tout à gagner dans un commerce constant avec les

intelligences de ce peuple d’élite. A la lueur roujoyante de cet incendie immense qui éclaira le monde entier, -la Révolution- ils furent fascinés. –Assurément, ils n’ont pas eu à se plaindre. Mais ils y ont perdu beaucoup. "En mitj d’aqueixa prosperitat moral i material", ils ont perdu la conscience de leur personnalité. […].

Et l’on comprend facilement pourquoi les Catalans d’Espagne sont restés plus fidèles à leur

"nationalité". Obligés de subir une domination tyrannique […]. Catalunya s’est sentie digne et capable de constituer une nation à elle seule, et elle a réclamé la Liberté.

Qui donc en France voudrait s’opposer à ces revendications légitimes ? Et nous autres, Roussillonnais, ne devons-nous pas accompagner de tous nos vœux la croisade sainte de nos frères ? […] Et qui pourrait nous empêcher de leur tendre une main amie par-dessus une frontière "matérielle", et de leur montrer que nous n’avons pas oublié notre commune origine ?

Or, comment leur prouver notre attachement, si nous commençons par abandonner "notre" langue ? […]

Dès aujourd’hui d’ailleurs, nous pouvons nous unir pour crier d’une seule voix : "Viva Catalunya ! "1

Même si le jeune Alphonse Talut fut un élément isolé dans la revendication politique explicite du catalanisme roussillonnais, il est significatif qu’il ait pu réitérer dans la presse roussillonnaise, le 1er janvier 1903, son analyse experte de la revendication autonomiste de la Catalogne espagnole, unie dans la diversité par l’Unió catalanista. Sa tribune libre intitulée « Les fractions du parti catalaniste »2 fut publiée à la une de l’organe perpignanais d’union radicale et socialiste, La République des Pyrénées-Orientales, dont l’imprimerie fabriquait, la même année, la Méthode Davin-Pastre qui annonçait un nouvel ouvrage visant à faire entrer le catalan à l’école de la République française. Le 3 septembre 1903, dans le même journal, à propos de la représentation de « Terra baixa » d’Àngel Guimerà à Perpignan, Alphonse Talut terminait sa critique dithyrambique par : « Notre plus cordiale bienvenue au frère qui nous vient d’au-delà des Pyrénées »3

.

1 TALUT Alphonse (1899). « Viva Catalunya ! ». La Clavellina, 15 janvier 1899. Voir annexe 3.1.5. 2

TALUT Alphonse (1903). « Tribune libre : Les fractions du parti catalaniste ». La République des P.-O., 1er janvier 1903, p. 1-2.

L’article se termine ainsi : « Mais, qui pourra dire à quelle lutte sera en proie la Catalogne, le jour où, ayant brisé les liens qui l’attachent à la couronne d’Espagne, toutes les fractions du parti catalaniste auront à faire valoir leurs revendications particulières ? ».

3

TALUT Alphonse (1903). « Théâtre : Terra baixa ». La République des Pyrénées-Orientales, 3 septembre 1903, p.3.

On constate aussi dans cette critique une parfaite connaissance de la scène barcelonaise de l’époque, avec mention des dramaturges Santiago Rusiñol, Ignasi Iglésias et Jaume Brossa.

La société roussillonnaise du début du XXe siècle, depuis le secteur conservateur et clérical jusqu’à son extrémité républicaine radicale, était perméable au bouillonnement culturel et politique du catalanisme d’outre-monts, y compris, comme nous l’avons vu, la

République des P.-O., le journal dirigé par le franc-maçon Marcel Huart qui se trouvait lui-

même interpellé par la question. Comment un instituteur, engagé dans son époque comme Louis Pastre, ne l’aurait-il pas été lui aussi ?

Alphonse Talut avait pu parfaire son analyse du catalanisme barcelonais, en 1900, depuis son point d’observation madrilène, lors d’un séjour de huit mois à l’Ateneo de cette ville, alors qu’il préparait l’agrégation d’espagnol. Il en rendit compte dans la revue Catalonia, dirigée par le catalaniste progressiste Jaume Massó i Torrents (1863-1943) : « Ara he comprès que dos pobles veins, que no han pogut confondre-s després de tants

anys d'una vida comú, no arribaran mai a formar una sola Pàtria, de sentiments i d'aspiracions comunes ». [J’ai

compris maintenant que deux peuples voisins, qui n’ont pas pu fusionner après d’aussi nombreuses années de vie commune, n’arriveront jamais à former une seule patrie, avec des sentiments et des aspirations communes.] Voir : TALUT Alfons (1900). « Un rossellonès a Madrit », Catalonia, 24 mars 1900, p. 1. (dernier numéro).

Chapitre 3.2