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Un début de carrière anonyme au pays d’Oun Tal (1889-1900)

2.2.1 Le curé et le député chantent en catalan

Il est habituel de situer la renaissance des lettres catalanes en Roussillon au début des années 1880 ; ce discret réveil est donc bien récent quand Louis Pastre arrive en Roussillon. En effet, l’acceptation de la poésie catalane par la Société Agricole Scientifique et Littéraire, doyenne des sociétés savantes, fondée en 1833, sous la présidence d’honneur de François Arago, « dans une période très active de la francisation des Pyrénées-Orientales » 1, est concomitante, en 1883, de la célébration des premières Fêtes littéraires pan-catalanes de Banyuls-sur-Mer. Financées par le poète et curé de la paroisse, François Rous (1828-1897), à la tête d’un commerce de vin de messe florissant, elles sont organisées par Josep Bonafont (1854-1935), ecclésiastique et poète, qui personnifie par « une éloquence et une délicatesse encore jamais égalées »2 la résurrection poétique de la langue populaire, « prélude à la maturité linguistique de Josep Sebastià Pons »3. Ainsi en témoigne l’ode « A la llengua

catalana de Rosselló » que le Pastorellet de la vall d’Arles [Pastoureau de la vallée d’Arles,

1 PEROTIN Yves (1984). « Langue et culture catalanes dans la Société Agricole, Scientifique et littéraire des

Pyrénées-Orientales ». In Bulletin de la Société Agricole, Scientifique et Littéraire des Pyrénées-Orientales, vol. 92, p. 89.

2

D’après : AMADE Jean (1908). Anthologie catalane : Les poètes roussillonnais. Perpignan, Éditions de la Bibliothèque Catalane, p. XXXIX-XL.

3 Selon : CREIXELL Lluís (1992). « La Renaixença al Rosselló », p. 57-82. In Actes del col·loqui internacional

sobre la renaixença (18-22 de desembre de 1984), I. Estudis universitaris catalans, volum XXVII. Barcelona,

en Vallespir]1, pseudonyme de Josep Bonafont, lit le 17 juin 1883, a Banyuls, devant les « germans de Catalunya, de Valéncia y de las tres illas Balears» [frères de Catalogne, de Valence et des trois îles Baléares] :

[…]

Ho sabeu, Fills de Barcelona ! [Vous le savez, Fils de Barcelone !]

Avuy lo Rosselló, per vostres cants despert, [Aujourd’hui le Roussillon, par vos chants réveillé] Veurá la llengua, sa bessona, [Verra sa langue, sa jumelle,]

Lo front engarlandat d’una rica corona [Le front garni d’une riche couronne]

Y d’un ramell de flors y de llorer cobert. [Et d’un rameau de fleurs et de laurier couvert.]

[…]

Per mi pobre Pastorellet, [Quant à moi, pauvre Pastorellet,]

Si, com francés, soviny tinch de fer francesadas, [Même si, Français, souvent je suis contraint aux

gallicismes,]

Ton parlar tan guapet [Ta si belle langue]

Sempre l’alabaré ab llabis refrescadas, [Toujours je la vénèrerai avec la fraicheur de mes lèvres,] Me recordant que’t som xurrupat ab la llet2. [Me souvenant que je t’ai bue avec le lait maternel.]

Viscéralement antirépublicain et héritier de la tradition catalanophile d’une partie du clergé local3, Josep Bonafont éditait, une année auparavant, le recueil de poèmes de son prédécesseur l’abbé Antoni Jofre (1801-1863), avec un prologue qui constitue, selon Lluís Creixell :

[…] la primera pàgina de prosa en català redactada per un rossellonès d’ençà de l’inici del segle que presenti a l’encop unes qualitats tan idiomàtiques com expressives. Habitualment consideracions o reflexions d’aquesta mena solien ésser escrites en francès4.

1

Josep Bonafont débuta son ministère, en 1879, à Arles-sur-Tech, en Vallespir. Il fut, ensuite, le curé de Rivesaltes (1882) ; de Lesquerde, en Fenouillèdes (1883) ; de Saint-Marçal, dans les Aspres du Roussillon (1887) ; de Claira, en Salanque (1894) ; et d’Ille-sur-Têt (1904). Voir : GUITER Enric (1973). Literatura

rossellonesa moderna. Perpinyà, Institut Rossellonès d’Estudis Catalans, n° 38. En outre, i est curieux de

signaler que Louis Pastre enseigna à Rivesaltes, après le passage de l’abbé Bonafont, et à Claira et Ille, peu de temps avant.

2 BONAFONT Josep (1887). Ays. Elegías catalanas. Perpinyá, Estampa de Carlos Latrobe, p. 101-103. 3

Dans son prologue a Ays (op.cit, p. XIV), Josep Bonafont rendait hommage à ses prédécesseurs (du XVIIIe siècle) et à ses contemporains roussillonnais, ecclésiastiques catalanisants : « Hónra y gloria [Honneur et gloire] à Mossens Salamó, Gelabert, Meliton, Molas, Marcé, Puig-de-Rivesaltes, Garrèta, Casamajor, Jofre, Esperiquette, Juval, Boixèda-d’Oms, Aymar, Boher, Rous […] ».

4 CREIXELL Lluís (1992). « La Renaixença al Rosselló », p. 57-82. In Actes del col·loqui internacional sobre

la renaixença (18-22 de desembre de 1984), I. Estudis universitaris catalans, volum XXVII. Barcelona, Curial

[la première page de prose en catalan rédigée par un roussillonnais depuis le début du siècle qui présente à la fois des qualités idiomatiques et expressives. Habituellement des considérations ou réflexions de ce type étaient écrites en français.]

En ces années de république anticléricale, avec au pouvoir Jules Ferry et Paul Bert1, le prologue est clos par un sonnet qui traduit fidèlement le positionnement du Pastorellet ; il se termine ainsi :

[…]

Si Jesu-Christ esclau d’una turba francesa, [Si Jésus-Christ esclave d’une tourbe française,] Si l’ánima dels infants à Paul Bert ja somesa [Si l’âme des enfants à Paul Bert déjà soumise] Provoquen en ton cor un mal sense remey !... [Provoquent en ton cœur un mal sans remède !...] Si, trist, enfastigát, ja la vida te pesa ! [Si, triste, dégoûté, la vie te pèse déjà !]

Si t’anyores tot sol, si t’mores de tristesa, [Si tu t’ennuis tout seul, si tu meurs de tristesse,] Per te distraure un poch pren eix llibre y llegey2 ! [Pour te distraire un peu prends ce livre et lis !]

Le « Pastoureau » était l’héritier de l’idéologie d’Antoni Jofre qui avait eu à souffrir des conséquences de la constitution civile du clergé (1790), comme il pâtissait lui-même des offensives de la Troisième République radicale. À l’instar de son prédécesseur, il n’émanait donc pas de ses poèmes que délicatesse et innocence3.

L’abbé Josep Bonafont bénéficia aussi, pour les Fêtes littéraires de Banyuls, de l’appui décisif d’un bourgeois catholique perpignanais : Justin Pepratx (1828-1901), le « Père de la Renaissance Roussillonnaise ». Ce dernier rejette toute orientation politique du catalanisme au profit d’une « aspiration sainte et religieuse »4, dans le cadre d’une union

latine déjà ancienne entre Perpignanais et Montpelliérains, soulignée par la présence, à

1

En 1882, année où Josep Bonafont publie les œuvres d’Antoni Jofre, l’Église a condamné les manuels d’instruction civique de Paul Bert (1833-1886), de Jules Steeg (1836-1898) et de Gabriel Compayré (1843-1913) qui substituent la Patrie à Dieu. Dans les Pyrénées-Orientales, en juin 1883, quinze prêtres du diocèse de Perpignan sont privés de leur traitement pour avoir privé de sacrements des personnes utilisant ou laissant utiliser les manuels condamnés. Voir : ROSSET Philippe (1984). « Les débuts de la laïcité scolaire et l’affaire des manuels dans les Pyrénées-Orientales (1882-1883) ». Annales du Midi, n° 167, juillet-septembre 1984, p. 290, 296.

2 EL PASTORELLET DE LA VALL D’ARLES [BONAFONT Josep] (1882). « Prolech », p. VI. In JOFRE

Antoni. Las Bruxas de Carança, L'Escupinyada de Satanas, La Dona forte, etc, Visuradas, annotadas y

aumentadas per Lo Pastorellet de la Vall d'Arles, Membre de la Societat de las Llenguas Romanas. Perpinyá,

Impremta de Carlós Latrobe.

3

Le recueil d’Antoni Jofre comprend aussi un poème politique en faveur du richissime et catholique propriétaire terrien Justin Durand (1798-1889), qui lors des élections législatives de 1863 s’était vu déposséder de la préférence de Napoléon III, en faveur d’Isaac Pereire (1806-1880), riche banquier, et « hebreu » selon le poète,

Ibid, p. 80 :

Àlsat ! y que no tens dins ton païs un home [Lève-toi ! et n’as-tu pas dans ton pays un home] Sens anarlo cercar à Gomorrhe ó Sodome ? [Sans aller le chercher à Gomorrhe ou Sodome ?]

4 DESSÈGE Michel (1968). « Le Père de la Renaissance Roussillonnaise : Justin Pepratx (1828-1901) ». Bulletin

Banyuls, d’Alphonse Roque-Ferrier (1844-1907), littérateur et rentier, secrétaire de la Société des Langues Romanes, et de Camille Laforgue (1829-1903), petit propriétaire languedocien, Majoral du Félibrige. Poète et cheville ouvrière de la récente, significative mais éphémère, ouverture au catalan du Bulletin de la de la Société Agricole Scientifique et Littéraire, Justin Pepratx est surtout l’ami de l’abbé Jacint Verdaguer (1845-1902), incarnation et guide de la renaissance littéraire en Catalogne. La présence de mossèn Cinto à Banyuls agglutine une trentaine des principales figures du catalanisme conservateur d’outre Pyrénées1

. Citons, entre autres : le romancier Narcís Oller (1846-1930), le dramaturge Àngel Guimerà (1845-1924), l’architecte Antoni Gaudí (1852-1926), le pédagogue Francesc Flos i Calcat (1859-1929), fondateur du col·legi Sant Jordi, la première école catalane des temps modernes.

« Los pochs catalanistas dels Pirineus-Orientals que hem despenjat de las parets

antiguas la arpa dels nostres vells »2 [Les catalanistes peu nombreux des Pyrénées-Orientales qui avons décroché des vieux murs la harpe de nos anciens], selon la formule de Josep Bonafont, c’est-à-dire le cénacle où l’on cultive la littérature catalane en Roussillon, semble donc bien éloigné du cercle perpignanais où pouvait se mouvoir notre répétiteur languedocien, récemment arrivé de la patrie du poète-ouvrier Jean-Antoine Peyrottes. Le jeune Joseph Pons ne dira pas le contraire, quelques années plus tard, à propos de Garbèra catalana3, première anthologie de poésie catalane du Roussillon, publiée en 1884, par Josep Bonafont :

Cette anthologie résume et condense le premier effort de la Renaissance, en Roussillon. Ce premier effort est presque entièrement dû aux ecclésiastiques. Et qui s’étonnerait de cela ? L’histoire de toutes les littératures semble soumise à certaines règles immuables4.

En 1887, une deuxième édition des Fêtes littéraires aura lieu à Banyuls, en présence de catalanistes des deux côtés des Albères et de représentants du Félibrige. « L’aspiration sainte et religieuse », chère à Justin Pepratx, est alors plus flagrante encore, avec comme motif la bénédiction de la statue de la vierge, exécutée par le sculpteur cerdan Alexandre Oliva (1823- 1890), pour la nouvelle église du village, amplement financée par le commerce du vin de messe de l’abbé François Rous.

1

Voir: BOVER i FONT August (1989). « La festa literària de Banyuls de la Marenda (1883) », p. 135-155. In

Estudis de llengua i literatura catalanes XXI (1990) : Miscel·lània Joan Bastardas, 4. Barcelona, Publicacions

de l’Abadia de Montserrat.

2 BONAFONT Josep (1887). Ays. Elegías catalanas. Perpinyá, Estampa de Carlos Latrobe, p. XI. 3

BONAFONT Josep (1884). Garbèra catalana. Perpinyá, Impremta de Carlós Latrobe, XVI-124 p.

Mais le rêve de communion poétique, dans la même langue catalane, entre l’élite lettrée et le peuple, est un rêve vain. Josep Bonafont, dans le prologue de son recueil Ays, s’y abandonne pourtant :

Y quan nosaltres cantem y parlem com lo poble canta y parla ; quan a tots fem tocar ab lo dit que l’idioma dels nostres endrets es ple de seny, […] allavoras, los pagesos, los treballadors, los menestrals, nostre pare, nostres germans, nostres vehins alsan lo cap tot estonats ; y desprès són contents, y desprès nos escoltan ; y nosaltres n’aprofitem pels hi tornar qualcom de tot lo qu’ells nos donan1.

[Et quand nous chantons et nous parlons comme le peuple chante et parle ; quand nous lui faisons toucher du doigt que la langue de nos villages est pleine de bon sens, […] alors, les paysans, les ouvriers, les artisans, notre propre père, nos frères, nos voisins lèvent la tête tout étonnés ; est après ils sont heureux ; ils nous écoutent ; et nous en profitons pour leur rendre un peu de tout ce qu’ils nous donnent.]

Une autre poésie aura cependant la faveur du peuple, plus accessible par la forme orthographique et par le fond. Grâce aux premiers rudiments de lecture dispensés par une scolarisation croissante, depuis la loi Guizot de 1833, les petites gens peuvent, en cette fin de XIXe siècle, se délecter d’une littérature catalane populaire, transcrite à la française. Ce sont les très célèbres recueils, Un pougnat de Catalanades, du banquier perpignanais, Albert Saisset (1842-1894), dit Oun Tal (Un Tal). Dès 1887, on trouve son livret, support diglossique idéal, où la langue maternelle est réservée aux bouffonneries, même chez l’épicier. Oun Tal s’inscrivait dans la filiation de la farce, Lous dous fourestés a la coumédi [Les deux étrangers à la comédie]: grande scène comique en catalan-roussillonnais divisée en quatre parties

écrite pour trois personnages principaux : en Perot, en Jepot y Jo…2

, éditée en 1861, rééditée en 1882, et attribuée à Joseph Bergnes (?-1885), mais derrière laquelle se dissimulait, entre autres, l’inspecteur primaire Jean Mattes (1809-1891), sous-directeur de l’école normale primaire de Perpignan, franc-maçon, auteur en 1844 de Leçons pratiques de grammaire faites

à l’école d’adultes de Perpignan, dans les uelles l’ort ograp e d’usage est enseignée au moyen de la langue catalane3. Un bien curieux mélange des genres, à première vue1.

1 BONAFONT (1887), op.cit, p. XI-XII. 2

BERGNES [VILLALONGUE Sylvestre, DARRAS Pierre, MATTES Jean, PETIT Bonaventure] (1861). Lous

dous fourestés a la coumédi. Grande scène comique en Catalan-Roussillonnais, divisée en IV parties écrite pour trois personnages principaux : en Perote, en Jepot y Jo. Perpignan, Imprimerie A. Tastu.

3 MATTES Jean (1844). Leçons prati ues de grammaire, faites à l’école d’adultes de Perpignan, dans

les uelles l’ort ograp e d’usage est enseignée au moyen de la langue catalane : ouvrage particulièrement destiné aux ouvriers du département. Perpignan, J.-B. Alzine. [2e édition en 1866].

Il est habituel de considérer qu’en ces premières années de la Troisième République, lorsque Louis Pastre arrive en Roussillon, la haute littérature catalane n’est l’apanage que de quelques curés et de rares bourgeois bigots tandis que les républicains s’expriment en catalan pour les choses légères et la satire anticléricale et en français pour les affaires sérieuses avec le relais des maîtres d’école. La réalité n’était peut-être pas aussi caricaturale. En effet, si l’inspecteur primaire Jean Mattes n’assumait pas publiquement ses catalanades, on pouvait en revanche rencontrer Oun Tal animant, en 1889, la kermesse des écoles chrétiennes qui étaient pourtant aussi intolérantes à la langue catalane que l’école publique2

. Tout patoisant qu’il fût, Albert Saisset se situait pourtant, idéologiquement, du côté du Rastell3, dont la tête de file

était Justin Durand (1798-1889), richissime homme d’affaires. Albert Saisset, ancien stagiaire de la banque Durand, s’était aussi engagé à ses côtés en faveur du plébiscite de mai 18704. Oun Tal et ses Catalanades écrites à la française est donc issu du même secteur anti- républicain que le maître à penser de Josep Bonafont, l’abbé Antoni Jofre, qui chantait, en son temps, des louanges au député bonapartiste Justin Durand écrites selon l’orthographe catalane classique5. De plus, depuis les atalanes d’Estagell y d’altres endrets, de l’abbé François Rous, on savait que l’orthographe classique n’était pas la garantie d’un raffinement extrême6. Alors, malgré des choix orthographiques en rupture avec le lointain héritage des Troubadours, dans le sillage des félibres provençaux, Albert Saisset aurait pu, lui aussi, s’élever en poésie catalane, car il en avait donné discrètement des preuves7. Mais le risque aurait été en Roussillon, comme ce fut le cas en Provence, de confisquer sa propre langue au peuple car, écrivait-il, résigné, dans sa Grammaire catalane de 1894, le catalan était devenu, en Roussillon, « à la suite de la guerre des Albigeois, qui fut un véritable écrasement des provinces du Midi par celles du Nord et assura définitivement la suprématie du français […],

1 Derrière le faux signataire Bergnes, on trouvait aussi Pierre DARES ; Bonaventure PETIT (1811-1901), franc-

maçon, auteur de plusieurs recueils de Noëls populaires en catalan et en français et Sylvestre Villalongue (?- 1888), franc-maçon, oncle d’Albert SAISSET, homme politique ami du député conservateur et homme d’affaires Justin Durand (1798-1889). Voir : PUJOL Joan-Pere, PRAT Enric (2002). « Cinc catalanades anònimes (finals del segle XIX) ». In Annals de l’Institut d’Estudis Gironins, vol. XLIII, p. 182-186, et SERRA i KIEL Dolors (2001). Bibliografia de Catalunya Nord (1502-1999). Codalet, Revista Terra Nostra n° 100, p. 39.

2

« Kermesse pour les frères ». Semaine religieuse de Perpignan, 23 février 1889, p. 126. Cité par FOXONET Francesc (2007). L’església i la catalanitat a la atalunya del Nord, segle XIX – primera part del segle XX. Perpignan, doctorat d’Études catalanes dirigé par Ramon SALA, université de Perpignan-Via Domitia, p. 465.

3 Les conservateurs, sous le Second Empire, se réunissaient, à Perpignan, dans une écurie, devant un râtelier :

rastell, en catalan.

4

Voir : PUJOL, PRAT, op.cit, p. 184 et FRÉNAY Étienne (2011). « Durand Justin », p. 395-396. In BONET Gérard, dir. Nouveau dictionnaire de biographies roussillonnaises : Pouvoirs et société. Perpignan, Publications de l’Olivier.

5 Voir note 7. 6

ROUS François (1870). Catalanes d'Estagell y d'altres endrets. Perpignan, Charles Latrobe, Honoré. Saint- Martory.

7 Voir : GUITER Enric (1973). Literatura rossellonesa moderna. Perpinyà, Institut Rossellonès d’Estudis

impropre à formuler des considérations abstraites »1. Ce jugement ne valait que pour le Roussillon car Albert Saisset, alias Oun Tal, avait bien indiqué quelques lignes avant : « Il est un point que nous tenons essentiellement à bien préciser : cette grammaire s’appli ue au

catalan tel u’il se parle aujourd’ ui en Roussillon » [souligné par l’auteur]2

. La décadence décrite était donc bien celle d’une langue, ici politiquement soumise et qui, « de l’autre côté des Pyrénées »3, avait gardé davantage de noblesse.

Il y avait aussi un vieux maître d’école publique, Pierre Courtais (1816-1888), qui prononça un discours, à Banyuls, le 17 juin 1883. Il s’adressait, plus prudent que l’abbé Josep Bonafont quant aux contingences géopolitiques de son temps, aux « germans d’un altre temps, amichs d’avuy, ciutadans de la valenta i rica Catalunya » [frères d’une autre époque, amis d’aujourd’hui, citoyens de la vaillante et riche Catalogne]. Il exprimait ses remords d’avoir, une quinzaine d’années auparavant, « en qualitat de mestre de llengua francesa, y en continuació d’una guerra declarada després de llarchs anys » [en qualité de maître de langue française, et dans la continuité d’une guerre déclarée après de longues années], eu « ni gracia ni pietat per tot lo que, de prop o de lluny, tocava à la llengua catalana »4 [ni grâce ni pitié pour tout ce qui, de près ou de loin, se rapportait à la langue catalane]. Il était devenu, alors, selon Justin Pepratx, « lo degá dels poetas rossellonesos »5 [le doyen des poètes roussillonnais] car, précisément quinze ans auparavant, en 1868, alors qu’en classe il maudissait la langue catalane, il avait obtenu au concours littéraire de la Société Archéologique de Béziers, le premier prix de la section « Poésies neo-romanes », pour son poème « L’Homéro rossellonés ». Ce texte, « dédié à Monsieur Camp, inspecteur d’Académie à Perpignan », qui est une apologie de la religion, de la nation, des campagnes victorieuses de Napoléon III, constitue, selon Lluís Creixell, le premier témoignage de la renaissance littéraire catalane en Roussillon ! Il est intéressant de relever que l’on y trouve déjà le village de Banyuls, mais face à l’offensive espagnole de 1793-1794, et qu’il y côtoie les victoires du Second Empire en Crimée, comme pour conjurer la défaite de Bonaparte à Waterloo :

[…]

Digau la Tchernaïa, Sebastopol rasat, [Dites la Tchernaïa, Sébastopol rasé,]

1 SAISSET Albert (1894). Grammaire catalane suivie d’un petit traité de versification catalane. Perpignan,

Imprimerie de Ch. Latrobe, p. 7.

2

Ibid, p. 6.

3 Ibid. 4

« Discurs à la Festa de les Lletres Catalanes de Banyuls-de-la-Marenda (Rosselló) ». Revue Catalane, n°66, 15 juin 1912, p. 179-180. Annexe 2.2.1.

5 PEPRATX Justin (1883). La renaissance des lettres catalanes : Discours partie en français, partie en catalan

prononcé à la Fête Littéraire de Banyuls-sur-Mer, le 17 juin 1883. Perpignan, Imprimerie de Charles Latrobe, p.

Lo francés vencédor, y Waterloo venjat. [Le Français vainqueur, et Waterloo vengé.]

[…]

Lo poble de Banyuls monstrant al Aragó [Le village de Banyuls montrant à l’Aragon]

Lo que val lo Francés cuand defensa sa terra1. [Ce que vaut le Français quand il défend sa terre.]

[…]

Pierre Courtais fut aussi le premier roussillonnais à obtenir un prix aux Jocs Florals de Barcelone, en 18842. Bien que l’école publique, du temps de Pierre Courtais, fût soumise au contrôle de l’Église, en vertu de la loi Falloux, il n’était pas banal d’avoir, en 1883, un ancien instituteur du Second Empire comme père fondateur du renouveau des lettres catalanes, qui plus est, dans un département très républicain. Mais quand on sait qu’en 1878, le quotidien

L’Indépendant, journal le plus lu et porte-voix de l’opposition républicaine modérée face à

l’Ordre Moral3

, publiait encore les chansons républicaines catalanes d’Étienne Arago (1802- 1892), le frère de François Arago et ancien député des Pyrénées-Orientales, héros des barricades parisiennes de 18484, le mélange des genres, que nous évoquions plus haut, semble établi :

La Republique és joube encare, [La République est jeune encore,] No la cal pas broutallaja. [Il ne faut pas la brutaliser ? la souiller ?] Amichs, fem-li tots bone care, [Amis, faisons tous bonne figure] Pel bé que nous a fet dejà. [Pour le bien qu’elle nous a fait déjà.] 5

Plus qu’un mélange des genres, la langue catalane est l’expression de toutes les couches de la société autochtone, par delà les conventions sociales, religieuses, politiques et culturelles. C’est aussi le sentiment de Justin Pepratx qui, même s’il ne se réfère qu’aux lettrés, dans son discours de bienvenue aux Fêtes Littéraires de Banyuls de 1883, salue les présents, les absents excusés et « certs personatges que han deixat fama de catalans, y que

1 COURTAIS Pere (1868). Flors de Canigó.Perpignan, Julia frères et Saint-Marthory Libraires, p. 9-10. 2

CREIXELL Lluís (1992). « La Renaixença al Rosselló », p. 57-82. In Actes del col·loqui internacional sobre

la renaixença (18-22 de desembre de 1984), I. Estudis universitaris catalans, volum XXVII. Barcelona, Curial

Edicions Catalanes, 1992, p. 73.

3 Voir : BONET Gérard (2004). L’Indépendant des Pyrénées-Orientales. Un siècle d’ istoire d’un uotidien,

1846-1950. L’entreprise, le journal, la politi ue. Perpignan, Publications de l’Olivier, p. 120-121.

4

Voir : TOULOTTE Muriel (2011), « Arago Étienne », p. 53-55. In BONET Gérard, dir. Nouveau dictionnaire

de biographies roussillonnaises : Pouvoirs et société. Perpignan, Publications de l’Olivier.

5 Cité par : ROURE Pau (1969, 1970). «La renaixença catalana al Rosselló dins l’espill de L’Indépendant dels

Pirineus-Orientals del 1848 al 1930: Segons una memòria del senyor Lluís Monich, periodista ». Sant Joan i