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La « funeste coutume » du catalan à l’école

Un début de carrière anonyme au pays d’Oun Tal (1889-1900)

2.2.5 La « funeste coutume » du catalan à l’école

Le catalan oral domine, dans la rue et en famille ; la scolarisation en français des décennies précédentes n’a fait reculer l’analphabétisme significativement que chez les jeunes hommes : 80% des conscrits savent au moins lire en 1880 (comparable à la moyenne française, mais les P.-O sont à la 70e place), contre 36% en 1833 (50% en France, 65e place pour les P.-O.), tandis qu’il n’y a que 38% des femmes en mesure de signer leur acte de mariage en 1880 (75% en France), contre 71% des hommes (84% en France)2. Le catalan est aussi la langue préférée des enfants du peuple, et même, comme nous l’avons vu, des collégiens de Perpignan d’origine rurale. En dépit des pères de famille qui revendiquent le catéchisme en français, en réalité la compétence des enfants ne le permet pas. À Montesquieu, par exemple, petit village au pied des Albères, au sud de la plaine du Roussillon, le curé écrit au vicaire général, en 1878, pour lui demander s’il est possible d’« enseigner le catéchisme catalan de Mgr de Saunhac aux enfants du peuple qui ne savent pas lire », ouvrage pourtant prohibé depuis 18683.

Partout dans le département4, le maître d’école, comme le curé, doit composer avec le règlement ; même Sylvain Massé avoue utiliser le « patois local », malgré le sou inquisiteur

1 « Langue maternelle : Extrait du dictionnaire de pédagogie publié sous la direction de M. Buisson ». Bulletin de

l’Enseignement Primaire des P.-O., n°25, p. 558.

2

Données Pyrénées-Orientales : BUISSON Ferdinand, dir. (1880-1882). Dictionnaire de pédagogie et

d’instruction primaire. Paris, Hachette, p. 2516. Données France : PROST Antoine (1968). L’enseignement en France 1800-1967. Paris, Armand Colin, p. 96.

3 Archives de la paroisse de Montesquieu, dossier n°9, lettre du 28 décembre 1878, cité par : RAMONÉDA

Joseph (2011). La République concordataire et ses curés dans les Pyrénées-Orientales, 1870-1905. Perpignan, Presses Universitaires de Perpignan, p. 46.

En 1853, l’évêque Saunhac-Belcastel avait fait rééditer, pour la dernière fois, le catéchisme bilingue catalan- français de l’évêque Flamenville, publié pour la première fois en 1698. En 1868, l’évêque Ramadié impose un nouveau catéchisme uniquement en français, aux curés et aux instituteurs. FOXONET Francesc (2007).

L’església i la catalanitat a la atalunya del Nord, segle XIX – primera part del segle XX. Perpignan, doctorat

d’Études catalanes dirigé par Ramon SALA, université de Perpignan-Via Domitia, p. 100-103.

4 Dans les Fenouillèdes, on parle occitan- languedocien. Les cantons de Saint-Paul, Sournia et Latour de France

(celui-ci partiellement occitan) sont, en 1866, mieux alphabétisés (selon le critère des conscrits illétrés) que les cantons catalans, à l’exception de Perpignan-ouest et Saillagouse (Cerdagne). En 1887, les Fenouillèdes sont en première (Saint-Paul, Latour) ou en deuxième (Sournia) position, avec 5 ou 10% d’illettrés (moyenne départementale : 10%). D’après : FRÉNAY Étienne (1983). L’école primaire dans les Pyrénées-Orientales

(1833-1914). Perpignan, Archives départementales des Pyrénées-Orientales, Service éducatif [non paginé], doc.

40. FONT Marie-Josée (1979). Les cours d’adultes et la francisation dans les Pyrénées-Orientales au XIXe

siècle. Montpellier, mémoire de maîtrise d’histoire contemporaine, Université Paul-Valéry Montpellier III,

qu’il fait circuler parmi les élèves catalanophones. Louis Pastre, aussi, comme l’occitanophone Sylvain Massé, dut probablement, par nécessité d’établir le dialogue avec ses élèves, se mettre rapidement au catalan. Fit-il circuler le signal ? Cela est possible, au moins par inertie, en début de carrière. Occitanophone de naissance, a-t-il peut-être mieux résisté que ses collègues Catalans à la « haine de soi-même »1 ? Ce « déplacement sur son propre groupe de l’agressivité due à une situation frustrante »2

, c'est-à-dire l’intériorisation mal assumée de l’infériorité officiellement attribuée à la langue catalane. Ce comportement devait représenter le seul piètre exutoire au conflit interne vécu par bien des instituteurs catalans, devenus, malgré eux, les agents les plus zélés de l’acculturation de leur groupe d’origine. Sa position extérieure, son éthique, ses lectures, ont peut-être préservé Louis Pastre de ces déchirements. En effet, nous savons qu’il fréquentait la Revue de l’Enseignement primaire, puisque, comme nous le verrons plus loin, il y édita son premier ouvrage. Dans le numéro du 22 octobre 18933, l’inspecteur primaire Boitat y défendait l’usage du signal ; le 19 novembre, C. Rouquette, directeur d’école à Aspiran (Hérault)4, considérait que « la morale repousse un pareil principe et si la politique s’en accommode, l’éducation doit le bannir ». La revue reproduisit à la suite, comme approbation semble-t-il, un extrait de la Correspondance

Générale, signé par un instituteur Breton du Morbihan, E. Hélie :

Le signe dont il est parlé a été longtemps employé en Bretagne, sous le nom de symbole. C’est un procédé qui a fait son temps et a été abandonné presque partout à cause de ses nombreux inconvénients.

Il est important à l’école de n’employer que des moyens irréprochables. Exciter les enfants à espionner leurs camarades, à chercher des ruses pour les faire tomber dans un piège, les pousser à aller écouter aux portes, est absolument mauvais. Sans compter que souvent un garçon grand et fort obligeait un plus petit, parfois innocent d’avoir parlé breton, à accepter le « symbole » par peur des coups5.

1 Traduction française d’« auto-odi », néologisme que la jeune sociolinguistique catalane du début des années

1970 (les valenciens Lluís Vicent Aracil et Rafael Lluís Ninyoles) avait elle-même créé à partir de « self hatred » proposé par le psychologue américain, Kurt Lewin, dans les années 1940.

2

BERNARDÓ Domènec J. (1977). « Langue, société et espace en Catalogne du Nord », p. 153-169. Revue

Géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest, n°1, tome 48, janvier 1977, p. 165. Cette haine de soi-même ne

concernait évidemment pas que les instituteurs, mais toute la population autochtone en situation de diglossie.

3 « Chronique de l’école : Contre le patois ». Revue de l’Enseignement Primaire et Primaire Supérieur, n°108,

22 octobre 1893, p. 53-54.

4

Aspiran se situe à 8 km au sud de Clermont-l’Hérault, la ville natale de Louis Pastre.

5 « Chronique de l’école : Contre le patois ». Revue de l’Enseignement Primaire et Primaire Supérieur, n°112,

19 novembre 1893, p. 117-118. M. Hélie parait bien optimiste quant à la disparition de l’usage du symbole, d’autre part, il défend plus loin, de « réduire la durée du service militaire en faveur des jeunes gens parlant convenablement le français et suffisamment lettrés ».

L’incohérence entre discours officiel et pratique pédagogique, tolérant le catalan avec les petites classes et le pourchassant avec les plus grands élèves résultait de la rigidité irréaliste du règlement scolaire. Cette situation était monnaie courante dans les écoles. Ainsi en témoignent de nombreux enseignants dans l’enquête de 1889, alors qu’il n’était pas bienvenu de noircir le tableau de la progression du français, l’année du centenaire de la Révolution Française : 31% des maîtres et maîtresses ayant répondu, utilisent le catalan en classe, contre 38% qui le proscrivent1. Ces résultats ne concernent que la circonscription de Prades, la seule pour laquelle on dispose de documents, soit la moitié ouest montagneuse du département2. On peut imaginer que les résultats dans la circonscription de Perpignan auraient été moins favorables au catalan, mais ceux de la circonscription de Céret, au sud-est du département, zone montagneuse où le taux d’alphabétisation est le plus faible, auraient largement contrebalancé les résultats de la plaine3. Alors, on peut considérer représentatif de l’ensemble des maîtres du département reconnaissant l’utilisation du catalan en classe, le témoignage de Joseph Auriol, directeur de l’école publique laïque mixte de Los Masos, petit village au pied du Canigou, près de Prades, en Conflent, qui témoigne de l’emploi de la méthode de traduction, avec les élèves les plus jeunes :

L’enseignement de la langue française, voilà la grande difficulté pour notre pays. Les enfants nous arrivent à l’école sans avoir jamais entendu un mot de français. L’enseignement doit donc être une véritable traduction. Cet objet, qui s’appelle ainsi en catalan, porte un tel nom en français. Cette phrase résume presque complètement ce que peut être l’enseignement de la langue avec les commençants »4.

En effet, pour les enfants du peuple, l’étrangeté du français est la situation générale ; mais pour l’inspecteur chargé du canton de Vinça, près de Prades, Auguste Taillefer, comme pour les instituteurs sous son autorité, il s’agit, en 1885, de ne plus céder à la facilité, tellement la situation doit être courante :

1

D’après : PAYROU Brigitte (1980). L’école républicaine de Jules Ferry à la Grande Guerre : un important

outil d’acculturation pour la atalogne-Nord. Perpignan, mémoire de maîtrise de lettres modernes, p. 107.

2 La circonscription de Prades comprend les cantons de Vinça, Prades, Mont-Louis et Saillagouse ; soit les

comarques [petites régions traditionnelles] : Conflent, Capcir et Haute-Cerdagne (la Basse-Cerdagne étant sous

administration espagnole).

3

Dans la circonscription de Prades, sur la période 1887-1890, 92% des conscrits, selon la moyenne des cantons, savent au moins lire. Ce résultat est celui qui se rapproche le plus de la moyenne départementale (89%). La circonscription de Perpignan a un taux moyen d’alphabétisation des conscrits de 95,5%, et celle de Céret, une moyenne cantonale de 80%. D’après : FONT Marie-Josée (1979). Les cours d’adultes et la francisation dans les

Pyrénées-Orientales au XIXe siècle. Montpellier, mémoire de maîtrise d’histoire contemporaine, Université

Paul-Valéry Montpellier III, annexe XIV.

4 « Ministère de l’Instruction Publique, Exposition universelle de 1889, Commune de Los Masos, Ecole primaire

Ne laissons pas faire usage du catalan aux enfants qui nous sont confiés. L’habitude déplorable qu’ils ont contractée dans la famille leur donne la corruption du langage et fait naître une foule

d’incorrections toujours difficiles à déraciner.

L’instituteur, l’institutrice devront donc, par tous les moyens, réagir, soit dans les récréations, soit dans les classes contre cette funeste coutume1.

Alors, dans son rapport sur l’instruction publique, l’inspecteur d’Académie, propose, en 1889, une solution pédagogique à cet état de fait :

Les programmes sont généralement appliqués dans nos écoles avec exactitude. Je n’ai d’observation à faire que sur l’enseignement de la langue française et sur l’enseignement de la morale.

Il est difficile d’apprendre la langue française à des enfants qui, jusqu’à leur entrée à l’école primaire, n’ont parlé que le catalan. Il faut d’abord leur apprendre le vocabulaire et ensuite à construire correctement une phrase. C’est pour atteindre ce double but que j’ai recommandé l’introduction au cours élémentaire de leçons de langage, très simples, destinées à faire acquérir chaque fois à l’enfant la connaissance de quatre ou cinq mots usuels et à lui faire établir quelques propositions, qui

expriment des actions qu’il accomplit lui-même en classe et qu’il traduit à mesure dans son langage. Ces exercices ont été pratiqués aux dernières conférences cantonales, et je demande instamment à tous les instituteurs de vouloir bien les appliquer dans leurs écoles avec suite. Il rendront un grand service à leurs élèves s’ils les mettent à même de parler couramment français, à la fin de leur première année d’école : désormais l’enfant ne sera plus un étranger en classe : il comprendra ce qu’on dira devant lui et ses progrès seront d’autant plus faciles qu’il aura moins d’efforts à faire pour saisir le sens des paroles qu’il entendra prononcer par le maître2.

Ces leçons de langage, commandées par l’inspecteur d’Académie, à l’inspecteur de circonscription Auguste Taillefer, paraîtront sous la forme de 108 exercices faisant « défiler les unes après les autres toutes les parties du discours »3, publiés dans le Bulletin de

l’Enseignement Primaire, tout au long de l’année scolaire 1891-1892 :

"Pour apprendre une langue, dit l’Instruction officielle du 15 juillet 1880, il faut commencer par l’isoler, il faut n’avoir à faire qu’à elle." […] Partant de ce principe je dirai au personnel enseignant des

Pyrénées-Orientales : oubliez un moment, c'est-à-dire pendant vos six heures de classe, que vous êtes catalan et parlez français et rien que français à vos élèves.4

1 « Conférences cantonales de l’arrondissement de Prades », Bulletin de l’Instruction Primaire des P.-O., n°38,

1885, p. 27.

2 « Rapport sur la situation de l’enseignement primaire en 1889, adressé au conseil départemental et au Conseil

Général par M. Durand, inspecteur d’académie ». Bulletin de l’Instruction Primaire des Pyrénées-Orientales, n°9, septembre 1890, p. 231.

3 TAILLEFER Auguste (1892). « Exercices de langage ». Bulletin de l’Enseignement Primaire des P.-O., n° 3,

mars-avril 1892, p. 145.

4 TAILLEFER Auguste (1891). « Exercices de langage ». Bulletin de l’Enseignement Primaire des P.-O., n° 7,

Il s’agissait de l’application de la Méthode directe ou « Méthode maternelle », prônée par l’inspecteur général primaire Irénée Carré (1829-1909), pour faire face à la méthode de traduction, pratiquée empiriquement, comme nous venons de le voir, par les maîtres dépourvus face au monolinguisme catalan de leurs élèves. Le célèbre auteur de la Méthode

prati ue de langage, de lecture, d’écriture, de calcul, etc. plus particulièrement destinée aux élèves des provinces où l’on ne parle pas le français et ui arrivent en classe ne comprenant ni ne sachant parler la langue nationale1 tint, en effet, une conférence à Perpignan, en juin

1891. Il y développa, devant les instituteurs et les institutrices de chaque circonscription, le point qui constituait, selon lui, une vraie croisade :

l’objet particulier de la croisade qu’il a entreprise dans tout les départements où l’on fait usage, pour le parler populaire, d’une autre langue que le français, qu’il a prêchée avec succès déjà en Bretagne, dans le pays flamand, dans le pays basque, sur les frontières d’Italie et de Corse2.

Car, selon l’inspecteur d’Académie :

Notre département méritait au même titre d’attirer son attention. Il en est peu qui aient gardé aussi ardent l’amour du pays natal, aussi grande la fidélité aux mœurs, aux usages, au costume, au langage traditionnel. La langue catalane n’a rien perdu de son prestige au contact du français et le

Roussillonnais préfèrera longtemps encore à la langue atone et incolore qui a pris naissance sur les bords de la Seine le langage un peu rude mais alerte, vif, sautillant, fortement nuancé et accentué, qui se parle depuis les rives de l’Èbre jusqu’aux bords de la Têt, en passant par-dessus les Pyrénées. Cette fidélité à la langue du pays est respectable sans doute et nul ne songe à la déprécier ni à la battre en brèche ; il est bon qu’elle se conserve, au contraire, puisque, grâce au catalan, les habitants du département peuvent entretenir des relations faciles avec les habitants des pays voisins ; il serait regrettable même qu’elle se perdît, ne fût-ce qu’au point de vue pittoresque et archéologique. Il n’en est pas moins vrai qu’elle apporte un obstacle sérieux à l’enseignement du français aux jeunes enfants qui pénètrent pour la première fois dans nos écoles3.

Pourtant, lors de l’enquête de Julien Sacaze (1847-1889) de 1886, qui consistait à recueillir, pour l’Exposition nationale de Toulouse de 1887, les « vieux idiomes pyrénéens » à partir de la traduction de deux textes, l’inspecteur Auguste Taillefer, beau-fils du maire de Fontpédrouse (Conflent), se substituait aux instituteurs en difficulté face à la transcription du catalan. Voir : COSTA Georges J. (1986). Atlas linguistique « Sacaze » des confins catalano-languedociens (Volume 1). Saint-Estève, Société des Professeurs de Catalan, p. XXIV et ADPO : 1T54.

1 Publiée, à Paris, par Armand Colin, en 1889 avec livre de l’élève de 108 p., livre du maître 82 p.: 45 éditions

jusqu’en 1925.

2

FAVARD D. (1891). « Circulaire de l’Inspecteur d’Académie à MM. les inspecteurs primaires ». Bulletin de

l’Enseignement Primaire des P.-O., n° 5, juin-juillet 1891, p. 101.

3 FAVARD D. (1891). « Circulaire de l’Inspecteur d’Académie à MM. les inspecteurs primaires ». Bulletin de

Il y eut « affluence de Mesdames les institutrices et de messieurs les instituteurs aux conférences », alors que les réunions « n’avaient aucun caractère obligatoire »1. Gageons que Louis Pastre y assista aussi ; nous verrons quels enseignements il en tira peut-être pour sa propre œuvre pédagogique.

Contrairement à ce que relève pour la même époque Philippe Martel2, dans le Bulletin

de l’Instruction primaire de l’Hérault, « les références au problème qui nous occupent y sont

rarissimes », et Michel Lafon3, dans le Bulletin de l’Instruction primaire de l’Aveyron, « dins

ges d’article, d’intervencions o de textes oficials se pòdon rescontrar de referéncias a la lenga occitana o al patoés » [dans aucun article, interventions ou textes officiels on ne peut

rencontrer de références à la langue occitane ou au patois], la question de la présence de la langue locale face à l’apprentissage scolaire du français est ouvertement traitée dans les Pyrénées-Orientales. La fréquence nous paraît inférieure cependant à ce que relève Yan Lespoux4 dans le Bulletin de l’Instruction primaire des Basses-Pyrénées. Il est vrai que ce département, concerné à la fois par le béarnais et le basque, a la rare particularité, en 1883, de permettre « dans les arrondissements de Bayonne et Mauléon [...] des exercices de traduction du basque en français, et du français au basque, dans la limite du nécessaire, et uniquement en vue d’enseigner aux enfants la langue nationale ». Au vu des marques de prévenance de l’inspecteur d’académie des Pyrénées-Orientales envers le « langage un peu rude mais alerte, vif, sautillant, fortement nuancé et accentué, qui se parle depuis les rives de l’Èbre jusqu’aux bords de la Têt », il semble que le catalan, comme le basque, langues à potentiel diplomatique, soient traitées avec moins de condescendance que l’occitan ou de brutalité que le breton.

Le catalan est aussi un marqueur de classe sociale auquel les garçons, même les collégiens issus de familles aisées, étaient certainement moins sensibles que les filles. Il était peu probable en effet que les jeunes filles, bien nées, de l’enseignement secondaire, parlassent catalan entre elles. Non pas celles fréquentant les nombreuses institutions privées de Perpignan, cela est entendu, nous pensons plutôt aux demoiselles du collège communal de

1

Ibid., p. 100.

2 MARTEL Philippe (2007). L’école française et l’occitan. Le sourd et le bègue. Montpellier, Presses

Universitaires de la Méditerranée, collection Études occitanes, Université Paul-Valéry, p. 108.

3

LAFON Michel (2005). « L’occitan e l’escòla en Avairon de 1800 a 1951 : Qualques idèias e testimoniatges » p. 149-163. In Lengas, n° 58, p. 155.

4 LESPOUX Yan (2006). «L’Instruction publique et les patois dans les Basses-Pyrénées des années 1880 aux

années 1930, d’après le Bulletin de l’Instruction primaire des Basses-Pyrénées», p. 165-181. In Lengas, n° 59, p. 170.

filles de l’impasse Saint-Sauveur1

. En revanche, dans les villages, les fillettes du peuple, du même âge et de la même condition que les garçons dont Louis Pastre était chargé, avaient conceptualisé la frontière sociale de la langue. Hélène Marty, née en 1888 à Villeneuve-de-la- Rivière, à 15 kilomètres au sud-ouest de Rivesaltes, en donne un témoignage oral, recueilli en 1980 :

A escola, parlavi francès, l’esguerravi, mes hi arribavi. A casa, parlavi com ma mare, català, tothom català, al carrer, català, al camp, català. Els rics parlaven francès, que t’enaigaves, deies : « Espia aqueix, que sap parlar francès…Si tu sabies parlar aixís, ò ! ». T’enaigaves de qualcús que parlava francès, allivons ; i ara, ho és pas2.

[À l’école, je parlais français, je l’écorchais, mais j’y arrivais. À la maison, je parlais comme ma mère, en catalan, tout le monde en catalan, dans la rue, en catalan, au champ, en catalan. Les riches parlaient français, on les jalousait, on disait : « Regarde celui-là, comme il sait parler français… Si on savait parler ainsi, quelle chance ! ». On jalousait quelqu’un qui parlait français, à l’époque ; et maintenant, ça n’est plus le cas.]