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Le français enseigné par les idiomes locaux avec le catalaniste Pierre Vidal

Pédagogue solidariste et didacticien du français pour allophones

5 ADH : 1T2360-78 ; ADPO : 1T4.

3.1.3 Le français enseigné par les idiomes locaux avec le catalaniste Pierre Vidal

La première édition de Le français usuel enseigné par les exercices de langage et de

lecture aux enfants de 6 à 9 ans2 apporte deux informations essentielles relatives à la portée et à l’originalité de l’œuvre pédagogique et du positionnement idéologique de Louis Pastre. Un encart avant la page de titre3, intitulé « Ouvrages recommandés », annonce deux autres manuels, « en préparation », pour l’apprentissage du français. On y retrouve, d’une part, Sylvain Davin et Louis Pastre comme auteurs d’un livre s’adressant à un public plus jeune

1 « Les congrégations en révolte ». La République des Pyrénées-Orientales, 29 octobre 1902, p. 1. Voir

illustration 3.1.6. et 3.1.6’.

2 Il n’existe à notre connaissance qu’un exemplaire complet de cette édition, appartenant aux descendants de

Louis Pastre. Le deuxième exemplaire, incomplet, se trouve au Musée National de l’Éducation de Rouen.

que le précédent : Le français usuel enseigné par les exercices de langage aux enfants de 3 à

6 ans. Malheureusement, ce dernier ouvrage est introuvable ; sa date de publication, 1904, est

indiquée dans des listes de publications de Louis Pastre1. D’autre part, on y rencontre notre instituteur associé à Pierre Vidal2 (1848-1929) pour le troisième volume, consacré à l’apprentissage du français aux enfants de 9 à 13 ans, soit le dernier cycle de l’école obligatoire : Le français enseigné par les idiomes locaux aux enfants de 9 à 13 ans. Ainsi, Louis Pastre a maintenant acquis le profil d’un auteur ayant l’ambition de produire une œuvre pédagogique cohérente, tout le long de la scolarité primaire obligatoire, en tant qu’éducateur à la solidarité et didacticien de la langue française.

Cette dernière collaboration éditoriale est différente des précédentes puisque Pierre Vidal n’appartient pas à l’Instruction publique, même s’il a été membre du jury du concours scolaire de l’Exposition agricole de Perpignan, en 1900. Originaire des Fenouillèdes, la région de langue occitane des Pyrénées-Orientales, Pierre Vidal est, depuis 1880, bibliothécaire en chef de la ville de Perpignan ; il en était sous-bibliothécaire depuis 1875. Il fut le disciple de Julien-Bernard Alart (1824-1880), archiviste départemental et correspondant de la Revue des

Langues Romanes3, qu’il connut en 1876 et qui l’initia à la recherche historiographique sur le

Roussillon et la langue catalane. En 1903, alors qu’il est probablement en train de préparer, avec Louis Pastre, Le français enseigné par les idiomes locaux aux enfants de 9 à 13 ans, Pierre Vidal a déjà publié de nombreux ouvrages et articles traitant d’archéologie, de paléographie, d’épigraphie, de philologie, de folklore… De plus, il dirige, depuis 1900, la

Revue d’Histoire et d’Arc éologie du Roussillon4

. Il collabore déjà au Diccionari de la

llengua catalana que le philologue et vicaire général de Majorque, Antoni Maria Alcover

(1862-1932), a entrepris de constituer, depuis 1900, à partir des fiches lexicographiques envoyées par ses correspondants, depuis tous les territoires où l’on parle catalan. Pierre Vidal est alors un pilier du mouvement d’érudition catalane en Roussillon, comme en atteste cet extrait de la lettre, qu’il adressa le 13 janvier 1902, au linguiste et folkloriste majorquin :

1

« Du même auteur » dans : PASTRE Louis (1920). Enseignement de la langue catalane par la méthode des

doubles textes. Perpignan, Société d’études catalanes, Imprimerie catalane J. Comet, 86 p. & PASTRE Louis

[1925]. Éléments de grammaire catalane : rédigée conformément aux règles orthographiques en usage dans la

littérature moderne. Préface de M. J.-S. Pons. Perpignan, Société d’études catalanes, Imprimerie catalane, 128 p.

2 Voir illustration 3.1.9. 3

Voir chapitre 1.2.

4 Pierre Vidal publia, entre autres : Guide historique et pittoresque dans le Département des Pyrénées-Orientales

(1879, réédité en 1899), Cansoner català de Rosselló y Cerdanya (1885-1889), Catalogue des incunables de la

Bibliothèque publique de la Ville de Perpignan (1897), « Bibliographie roussillonnaise » in Journal commercial des P.-O. (1897-1900), Histoire de la Ville de Perpignan depuis les origines jus u’au traité des Pyrénées

(1897), Histoire de la Révolution dans le département des Pyrénées-Orientales (1885-1889). Voir CHAUVET Horace (1933). « Pierre Vidal ». In Bulletin de la Société Agricole Scientifique et Littéraire des Pyrénées-

Orientales, vol. LVII, p. 322-326 et « Pere Vidal ». In SIMON i TARRÉS Antoni, dir. (2003). Diccionari d’ istoriografia catalana. Barcelona, Enciclopèdia catalana, p. 1184-1185.

No he pogut gayre trevallar en fer papeletas pera’l Diccionari catala […]. Nobstant ne’n tinch algunas d’apuntadas. […] En Juli Delpont aquell bon xicot, que voste coneix tant, va treballant com cent negres, es plé de foch y de coratje. Ha vingut aquest demati á veurer me y pot pensar vosté si ne’m parlat del Diccionari y dels amichs mallorquins ! Va venir tambe En Amédée Aragon, qui sera un diligent colaborador. Convinguerem que’ns acordariam y dividiriam la feyna de seguida que jo estaria amillorat. Cuydarem d’aplegar tot lo tresor de nostra estimadissima llengua catalana. Jo m’encaregaré de protocols de notaris rossellonesos y altres documents manuscrits de la edat mitjana. […] Y a mes de dos mesos que no he vist Monseignor de Carsalade du Pont, pero, la derera vagada que vaig anar á visitarlo, estaba fent papeletas del Diccionari1.

[Je n’ai pas pu travailler beaucoup à faire des fiches pour le Diccionari català […]. Cependant, j’en ai quelques unes de prêtes. […] Jules Delpont, ce brave garçon, que vous connaissez tellement bien, travaille comme cent nègres, il est plein de flamme et de courage. Il est venu ce matin me rendre visite et vous pouvez imaginer comme nous avons parlé du Diccionari et des amis majorquins ! Amédée Aragon est venu aussi, ce sera un bon collaborateur. Nous avons convenu que nous nous mettrons d’accord et que nous partagerons le travail dès que je serai rétabli. Nous nous appliquerons à recueillir tout le trésor de notre très chère langue catalane. Je me chargerai des protocoles de notaires

roussillonnais et d’autres documents manuscrits du moyen-âge. […] Il y a plus de deux mois que je n’ai vu Monseigneur de Carsalade du Pont, mais, la dernière fois que je lui ai rendu visite, il faisait des fiches du Diccionari.]

En effet, les premières années du siècle sont marquées par trois visites successives d’Antoni Maria Alcover en Roussillon : août 1900, mai 1901 et juin 19022

. Ses interlocuteurs sont principalement l’évêque de Perpignan, Jules de Carsalade du Pont (1847-1932), et le catalaniste Jules Delpont (1865-1924), enthousiasmés par le projet du Diccionari català. À la même époque, Pierre Vidal est aussi le rédacteur d’une « Crónica rossellonesa » à La Veu de

Catalunya, le journal de la Lliga Regionalista, le parti catalaniste de la bourgeoisie de la

Catalogne espagnole. Le correspondant perpignanais y appelle de ses vœux, le 13 septembre 1903, la création d’une « Union catalaniste » en Roussillon :

Las circunstancias cada día més nombrosas que posan en relació als catalans de Catalunya ab els del Rosselló (com las conferencias de mossen Alcover per a formar una enciclopedia catalana, la visita del Orfeó catalá y las representacions del teatre Catalá), han fet naixer la idea de fundar a Perpinyá una Unió Catalanista. Tota manifestació literaria o artística trobaría aixís una llar natural ahont hi sería rebut ab fraternal simpatía. L’idea es ben práctica perque a més contribuiria a fer conéixer més las bellesas de nostras encontradas estrenyent els lassos de germanor ab nostres

1

ARM : AM 23/98. Voir annexe 3.1.2.

amichs de Barcelona y de tota la Catalunya. Una agrupació que fos un ressó de llurs aspiracions, els aturaría més sovint a venir-nos a visitar. Una unió catalanista tindría també l’altra ventatja de reunir a tots els que (mes nombrosos que molts se pensan), sense ésser regionalistas o federalistas, estiman ab tot el cor llur pais, sa llengua y son passat.

La formació, donchs, d’un tal societat no sembla pas impossible. Hi ha més ; ja que la Société Agricole, Scientifique et Littéraire des Pyrénées-Orientales ja fa tants anys que s’interessa per tot lo que pertany al Rosselló ¿Per qué no realisa ella aquesta idea? ¿Per qué no ha d’ésser ella la mare de l’Unió Catalanista1?

[Les circonstances, chaque jour plus nombreuses, qui mettent en relation les catalans de Catalogne et ceux du Roussillon (comme les conférences du père Alcover pour constituer une encyclopédie catalane, la visite de l’Orfeó català et les représentations de théâtre catalan), ont fait naître l’idée de fonder à Perpignan une Union catalaniste. Toute manifestation littéraire ou artistique trouverait ainsi un foyer naturel où elle serait reçue avec une fraternelle sympathie. L’idée est bien pratique parce qu’elle contribuerait aussi à faire connaître davantage les beautés de nos contrées, en resserrant les liens de fraternité avec nos amis de Barcelone et de toute la Catalogne. Un groupement qui soit l’écho de leurs aspirations, les inciterait à venir nous rendre visite plus souvent. Une union catalaniste aurait aussi l’avantage de réunir tous ceux qui (plus nombreux que ce que l’on pense), sans être régionalistes ou fédéralistes, aiment de tout leur cœur leur pays, sa langue et son passé.

La formation d’une telle société ne semble donc pas impossible. De plus, puisque la Société Agricole, Scientifique et Littéraire des Pyrénées-Orientales s’intéresse depuis tellement longtemps à tout ce qui touche le Roussillon : Pourquoi ne réalise-t-elle pas cette idée ? Pourquoi ne serait-elle pas la mère de l’Union Catalaniste ?]

Cette idée d’« union catalaniste à Perpignan qui soit l’écho des aspirations des amis de toute la Catalogne » démontre que Pierre Vidal a assoupli sa position sur la question car, vingt ans auparavant, comme en témoigne son prologue à son propre Cansoner catalá de Rosselló y de

Cerdanya, il était radicalement opposé à une contagion en Roussillon de la renaissance

catalane d’outre-monts :

De l’autre côté des Pyrénées, la renaissance des lettres catalanes a pris une tournure qui est propre à la Catalogne ; nous voyons cette renaissance avec joie, mais nous sommes persuadé, pour notre part, qu’elle serait parfaitement impossible, et, en tout cas, inutile et impolitique de ce côté des monts2. Cependant, en 1903, Pierre Vidal fait bel et bien du prosélytisme catalaniste et apporte sa pierre à l’édifice : il rend compte, dans une lettre du 18 octobre, à mossèn Alcover, de son

1

VIDAL P. [Pierre]. « Crónica Rossellonesa », La Veu de Catalunya, edició del vespre, 13 septembre 1903, p. 2. Voir annexe 2.3.3.

2 VIDAL Pierre (1885). Cansoner catalá de Rosselló y Cerdanya, 1 : Corrandes. Perpignan, Imprimerie-librairie

activité en faveur du Diccionari et de l’avancement, malgré l’indigence bibliographique perpignanaise, d’un projet d’ouvrage de vulgarisation sur la littérature catalane contemporaine:

Lo treball de cedules es en bona marxa ; ne tinch moltes de redactades de la lletra A, y totes se refereixen al catalá antich. […] No sé si es enterat voste d’un projecte que tinch d’escriurer una Historia de la literatura catalana moderna i ja’n tinch un gros tros de fet, es per aixo que vaig mendicant à dreta y esquerra llibres catalans ; es à dir que demani l’almoyna com un pobret – que som1.

[Le travail sur les fiches est en bonne voie ; j’en ai de nombreuses rédigées pour la lettre A, et elles se réfèrent toutes au catalan ancien. […] Je ne sais pas si vous êtes informé de mon projet d’écrire une Histoire de la littérature catalane moderne et j’en ai déjà une bonne partie de faite, c’est pour cela que je mendie à droite et à gauche des livres catalans ; c'est-à-dire que je demande l’aumône comme un pauvre homme – que je suis.]

Pour autant, Pierre Vidal ne renonce pas à son libre arbitre d’historien et de philologue érudit, ainsi il récuse la thèse de l’identité commune de l’occitan et du catalan qu’Antoni Maria Alcover oppose alors, dans son Bolletí del Diccionari2, au professeur de linguistique comparée de l’Université de Madrid, Ramón Menéndez Pidal (1869-1968), qui avançait, le 15 décembre 1902, dans le très suivi journal madrilène El Imparcial, sous le titre « Cataluña bilingüe », la thèse de la « castillanisation » du catalan3. Voici donc ce qu’écrivait à ce propos, en 1903, Pierre Vidal, le catalaniste natif des Fenouillèdes occitanophones, dans sa

Revue d’Histoire et d’Arc éologie du Roussillon:

Dire que la Langue d’Oc est notre langue, que la littérature d’Oc est notre littérature, cela implique à nos yeux la non existence d’une langue catalane et d’une littérature catalane. Le Catalan est une langue qui appartient au domaine linguistique d’Oc, c’est entendu ; mais il possède, de très bonne heure, toutes les qualités requises pour former et constituer une individualité, une personnalité, une

1

ARM : AM 23/102.

Cet ouvrage de Pierre Vidal ne verra pas le jour, en revanche, Jean Amade publiera, en 1908, Anthologie

catalane : Les poètes roussillonnais, Perpignan, Éditions de la Bibliothèque Catalane et, en 1924, sa thèse de

doctorat, Origines et premières manifestations de la renaissance littéraire en Catalogne au XIXe siècle et

Bibliograp ie criti ue pour l’étude des origines et des premières manifestations de la renaissance littéraire en Catalogne au XIXe siècle, Toulouse, E. Privat.

2

ALCOVER Antoni Maria (1903). « Questions de llengua y literatura catalana ». Bolletí del Diccionari de la

Llengua Catalana, n°15, abril-octubre 1903, p. 263.

3 Ramón Menéndez Pidal s’inscrivait dans le mouvement philosophique espagnol de la Generación del 98 qui

proposait une « regénération » de l’Espagne, après la perte de Cuba et des autres colonies en 1898, par le centralisme d’état et la prépondérance de la langue espagnole.

« entité » ; et c’est précisément ce qu’on semble lui dénier en l’identifiant aux autres dialectes ou plutôt à l’ensemble des autres dialectes de ce domaine linguistique dont il diffère d’une façon essentielle1. Ce point de vue ne faisait pas l’unanimité, en Roussillon, chez les « enflammés » du catalanisme. Ainsi, Jules Delpont2, le comptable perpignanais, originaire de Céret en Vallespir, ardent promoteur de l’œuvre du dictionnaire catalan d’Antoni Maria Alcover3

, en particulier auprès de l’évêque de Perpignan Jules de Carsalade du Pont, est aussi un enthousiaste défenseur du Félibrige. Il se confiait, en ce sens, dans une lettre du 17 janvier 1903, à l’instituteur et félibre audois Prosper Estieu (1860-1939), directeur de la revue Mont-

Segur (1894-1899 et 1901-1904), « revista mezadiera de la letradura occitana » :

Gran goig m’ha fet la seua apreciada carteta [del] 14 de janer, y li estimi lo que fera, en Mont-Segur, à favor dels catalans del Rosselló. Amb temps y paciencia, gracies à les ideyes catalanistes del nostre entusiaste Bisbe, y à l’obra del Diccionari catalá, encaminada per Mossen Alcover (de Mallorca), se podrá fer calcom, assi, pel felibrige. Bastaria que, una vegada ó altre, vostés, que tenen lo foch sagrat, vinguessen fins a Perpinyá, amb motiu d’una visita dels nostres monuments historichs […] y aixo m’ajudaria à mourer los literats massa afrancesats4.

[Votre appréciée petite lettre du 14 janvier m’a fait grand plaisir, et je vous suis reconnaissant pour ce que vous ferez, dans Mont-Segur, en faveur des Catalans du Roussillon. Avec le temps et de la patience, grâce aux idées catalanistes de notre enthousiaste évêque, et grâce à l’œuvre du

Dictionnaire catalan, dirigée par le père Alcover (de Majorque), on pourra faire quelque chose, ici, pour le Félibrige. Il suffirait que, un jour ou l’autre, vous, qui avez le feu sacré, vous veniez à Perpignan, à l’occasion d’une visite de nos monuments historiques […] et cela m’aiderait à faire bouger les lettrés trop francisés.]

Dans ce contexte de relations croisées entre lettrés de langue catalane et occitane, de part et d’autre des Albères et des Corbières, le manuel de français par les idiomes locaux dont Louis Pastre annonce, en 1903, la publication prochaine, marque, étant donné le profil du co- auteur Pierre Vidal, une rupture idéologique que les collaborations éditoriales antérieures de

1 VIDAL Pierre (1903). « Questions de langue et de littérature catalane : Une querelle scientifique ». Revue

d’Histoire et d’Arc éologie du Roussillon, 1903, p. 335.

Voir aussi : RAFANELL August (2006). La Il·lusió occitana. La llengua dels catalans entre Espanya i França. Barcelona, Quaderns Crema, p. 210-212.

Pierre Vidal cite, en note, la référence à François-Roman CAMBOULIU (1820-1869) qui publia en 1857 son

Essai sur l’ istoire de la littérature catalane, dans lequel il défendait aussi la distinction entre littérature catalane

et littérature provençale..

2

Voir illustration 3.1.10.

Jules Delpont a publié, en 1899, une anthologie de poésie catalane : Flors rosselloneses : Aplech de catalanades, Perpinya, J. Payret, 84 p.

3

Voir illustration 3.1.12.

l’instituteur laïc ne laissaient pas augurer. Nous croyions, en effet, Louis Pastre immergé dans le milieu républicain radical, peu enclin aux particularismes régionaux, et donc éloigné des acteurs de la Renaissance catalane, parmi lesquels, en ces temps de guerre scolaire, se distinguaient davantage, les ecclésiastiques et les bourgeois cléricaux que les instituteurs de l’école publique. En effet, le titre complet de l’ouvrage en préparation laisse pantois :

Le français enseigné par les idiomes locaux aux enfants de 9 à 13 ans, par Pierre VIDAL,

conservateur de la bibliothèque de Perpignan et Louis PASTRE, instituteur. 1re partie. – Catalan de Roussillon et de Cerdagne. – Catalan de Catalogne et des Baléares. – Catalan ancien. – Notions de littérature catalane1.

Faut-il revoir les schémas préétablis fondés sur la dichotomie entre régionalisme et républicanisme ? Effectivement, l’analyse des faits incite à moins de manichéisme. On constate ainsi que La République des Pyrénées-Orientales, le journal radical-socialiste dont l’imprimerie a été sollicitée par Louis Pastre pour son dernier ouvrage, présente, à la même époque, des positions uniformisatrices et des concessions aux particularismes régionaux. Ainsi, Marcel Huart (1865- 1930)2, rédacteur en chef de La République des Pyrénées-

Orientales, oppose, dans son éditorial du 29 octobre 1902, le français « verbe républicain »,

au « patois local », « verbe de la sédition »

Quand ils ne parlent point latin, – cette langue qui, dans les mots, brave l’honnêteté, – ses prêtres parlent le patois de terroir aux Bretons inconscients que l’alcool stupéfie, le flamand aux paysans des Flandres, ailleurs le catalan, partout les idiomes du crû, pourvu que leur éloquence facile entretienne et réconforte les frustes ignorances du peuple. Le français, au contraire, est suspect, dans les campagnes, aux orateurs de la sacristie ; il vient de Paris, il sent la Révolution, – c’est le verbe républicain. [...] Le gouvernement a donc bien fait en proscrivant le bas breton dans les chaires de Bretagne. [...] Il était inadmissible et intolérable que [...] les ennemis de la civilisation et de la démocratie eussent le droit de bouder, de s’isoler et de transformer un patois local en un verbe de sédition3.

1 Voir illustration 3.1.8. 2

Marcel, Maximilien Huart, né à Reims, utilise parfois le pseudonyme « Maximilien Champagnac » dans les colonnes de La République des Pyrénées-Orientales, le journal radical socialiste fondé par l’industriel Joachim Violet. Issu du parti républicain socialiste du 18e arrondissement parisien, qu’il quitta en 1902 pour diriger la République des P.-O., il retourna à Paris, en 1904, après sa rupture avec Joachim Violet et son échec aux élections législatives partielles de l’arrondissement de Céret. Il fonda, à Perpignan en juin 1903, une loge maçonnique du Grand Orient de France, « L’Athénée social » (1903-1914). D’après CORRETGER Denis (2011). « Marcel Huart ». In BONET Gérard, dir. Nouveau dictionnaire de biographies roussillonnaises :

Pouvoirs et société. Perpignan, Publications de l’Olivier, p. 539 et RAMON-BALDIE Patricia, MONGAY

Jacques (2003). Deux siècles de maçonnerie en Roussillon (1744-1945). Saint-Estève, Presses Littéraires, p. 194.

3 HUART Marcel (1902). «Le verbe républicain». La République des Pyrénées-Orientales, 29 octobre 1902, p.

On remarque cependant que l’éditorialiste situe le conflit linguistique en Bretagne, en des terres moins républicaines que les Pyrénées-Orientales ; il n’en demeure pas moins que la question devait se poser immanquablement au pied du Canigou, mais le journal radical ne s’y risqua pas. À la Chambre, le député radical-socialiste des Pyrénées-Orientales Jean Bourrat (1859-1909) prit lui aussi le soin d’évacuer la question du catalan et du catéchisme1, dans le débat du 16 janvier 1903, qui opposait principalement deux députés bretons à Émile Combes :

Je protesterais si, dans mon département, on enseignait le catéchisme en catalan. (Bruit à droite.) Il est indispensable que tout le monde apprenne et parle le français. […] On parle patois dans mon département entre soi ; mais on parle français en public2.

Or, comme le député qui, de retour dans sa circonscription, parlait la langue du terroir dans