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Boursier de l’enseignement secondaire spécial

De Clermont-l’Hérault à Perpignan (1863-1888)

2.1.3 Boursier de l’enseignement secondaire spécial

« Enfant studieux appartenant à une nombreuse famille d’ouvriers », voici le commentaire en regard du nom de Louis Pastre, tel qu’il figure, le 19 juin 1878, dans l’« État des élèves auxquels il a été accordé une bourse d’externe de l’État au Collège de Clermont- l’Hérault »2. S’il est vrai que le terme « ouvrier » ne correspond pas tout à fait à l’emploi de

« ramonet » et moins encore à l’activité d’« homme d’affaires » occupés par son père, il n’en demeure pas moins que Louis Pastre, au regard de l’administration, est issu du prolétariat.

Quant à l’appréciation « enfant studieux », comparée à celle d’autres bénéficiaires, qualifiés d’«excellent élève », de « très intelligent », ou de « très studieux », elle n’est pas des plus favorables, d’autant que Louis Pastre, quatrième sur sept, est le plus âgé de la liste. En effet, il s’apprête, à la rentrée 1878-1879, à doubler la première année de l’enseignement spécial3. Auparavant, le 9 octobre 1876, le principal délégué du collège avait établi la « Liste par ordre de mérite des élèves qui se sont présentés le 5 octobre dernier aux examens pour l’obtention des bourses de l’État et du département, vacantes au collège de Clermont »4

; Louis Pastre y figurait en deuxième place. Le 19 février 18815, la troisième position, sur un total de seize, lui revient pour l’attribution d’une nouvelle bourse de l’État, lors de sa troisième année de l’enseignement spécial.

Étant donné que les bourses d’État étaient réservées à l’enseignement secondaire et qu’à cette époque, « seule une élite très restreinte reçoit effectivement un enseignement secondaire complet », comme le précise Antoine Prost6, c'est-à-dire commencé dès les petites classes au collège, Louis Pastre, « l’enfant d’ouvriers », est sans doute issu de l’école primaire communale dont la scolarité était gratuite pour la moitié7 des élèves de sa génération.

1 PASTRE Louis (1907). « Llengues germanes ». Revue catalane, n° 9, septembre 1907, p. 270-278. 2

AMCH : 1 R 36.Illustrations 2.1.6. et 2.1.7.

3 On a retrouvé des relevés de note semestriels, de première année, de 1878-1879 (« Collège de Clermont-

l’Hérault, examens du 1er semestre 1878-1879 – Partie littéraire : Enseignement spécial 1ere année », AMCH :

1T6386) et 1877-1878 (« Collège de Clermont-l’Hérault, examens de semestre de l’année scolaire 1877- 1878 [Louis Pastre en première année] », AMCH : 1 T 6386).

4

AMCH : 1 R 36.

5 AMCH : 1 R 36. 6

PROST Antoine (1968). L’enseignement en France 1800-1967. Paris, Armand Colin, p. 34.

La ville ne possède pas d’école primaire supérieure ; alors le collège, qui a 82 élèves en 1877-18781, propose un cursus d’enseignent secondaire spécial, année préparatoire incluse. Près de 40% des élèves de l’établissement, presque autant que ceux suivant les humanités classiques, fréquentent l’enseignement spécial ; les 15% restants correspondent aux effectifs de la classe primaire. Créé par Victor Duruy en 1865, cet enseignement secondaire sans latin était coupable de « crime de lèse-classique »2, selon la formule d’Antoine Prost, pour ses détracteurs de la bourgeoisie, élitiste ou inquiète de la concurrence de l’enseignement classique congréganiste. Quoi qu’il en fût, le succès de l’enseignement spécial à Clermont- l’Hérault, ville agricole, industrielle et commerciale, était représentatif de l’engouement qu’il suscita partout en France dans les années 1880, car les humanités classiques convenaient mal aux enfants que les parents quelque peu aisés destinaient à ces secteurs d’activité.

L’orientation pratique de certaines disciplines spéciales relevait de l’initiative locale ; au collège de Clermont, on étudiait le français, l’histoire, la géographie, l’allemand3

, l’arithmétique, la géométrie, l’histoire naturelle, la physique, et la comptabilité4

. Le cycle spécial comprenait quatre années proprement dites, et une classe préparatoire destinée aux « primaires ». L’établissement s’inscrivait, comme il se devait, dans la professionnalisation du cursus secondaire spécial ; l’absence d’école primaire supérieure locale et l’éloignement de l’École normale aidant, les carrières de l’enseignement primaire étaient particulièrement mises en avant sur le prospectus du collège de Clermont-l’Hérault : « Les cours d’enseignement secondaire spécial, appropriés aux besoins du pays, préparent particulièrement au brevet simple et au brevet supérieur de l’enseignement primaire (un cours spécial vient d’être organisé pour la préparation de ces examens) » 5

. A titre de complément d’information, le collège de Lunel, également dans l’Hérault, précisait, peu après 1885, que l’enseignement secondaire spécial débouchait aussi sur le « baccalauréat spécial »6

ou « brevet de l’enseignement spécial », et sur la préparation à l’école normale de Cluny, réservée aux futurs professeurs de cette filière. Des carrières intermédiaires, hors

1 « Collège de Clermont-l’Hérault : Examens de semestre de l’année 1877-1878 », AMCH : 1 T 6386. 2

En 1902, l’enseignement spécial disparaît au bénéfice de l’enseignement « moderne », voir : PROST Antoine (1968). L’enseignement en France 1800-1967. Paris, Armand Colin, p. 59, 254.

3 Conséquence de la défaite de 1870 et du prestige pédagogique de l’Allemagne victorieuse, l’allemand devient

la première langue vivante étrangère enseignée en France, devant l’anglais qui l’emportait auparavant, sauf dans les départements de l’est. Voir : PUREN Christian (1988). Histoire des méthodologies de l’enseignement des

langues. Paris, Clé international, Nathan, p. 107.

4« Collège de Clermont- l’Hérault : tableau de l’ordre des compositions pour le premier semestre 1876-1877 »,

AMCH : 1T6386.

5

« Collège de Clermont-l’Hérault : Prospectus », AMCH : 1 R 25.

enseignement, étaient aussi recommandées : à Clermont, on insistait sur la poursuite d’études à l’École des Arts et Métiers d’Aix.

En fin de compte, Louis Pastre a été élève du collège de Clermont-l’Hérault pendant six années scolaires, d’octobre 1876 à juillet 1882, pour un cycle d’études secondaires spéciales de quatre années (dont la première doublée), et une année préparatoire. C’est donc à treize ans qu’il fit sa rentrée en tant qu’élève boursier1

de l’État dans le collège communal, fondé en 1803 et installé dans l’ancienne abbaye des Dominicains2

. Il en sortit à presque dix- neuf ans, ayant échoué au brevet supérieur ; il était donc titulaire du brevet élémentaire qu’il obtint probablement en 1881. Le bulletin de notes3 du deuxième semestre de la deuxième année de l’enseignement spécial, en 1879-1880, donne un aperçu des performances de Louis Pastre : « assez bien » en français, « passable » en mathématiques, « assez bien » en sciences physiques et « bien » en allemand. Louis Pastre a donc suivi, quant à la durée et aux aides de l’État, une scolarité comparable à celle, gratuite, d’un élève de l’École normale d’instituteurs, qui après trois années d’études, commencées à seize ans au sortir de l’école primaire supérieure ou du cours complémentaire, aspirait aussi à l’obtention du brevet supérieur.

En revanche, en ce qui concerne les contenus, il a bénéficié d’un enseignement obligatoire de langue étrangère, à la différence d’un élève-maître pour lequel l’étude de l’allemand aurait été facultative, voire impossible selon les écoles. Si les autres matières, à l’exception de la morale et la pédagogie, ont un intitulé semblable à l’école normale et en filière spéciale du collège, les enseignants ne sont pas toujours comparables. Même s’il n’y a pas de professeur agrégé dans un collège communal, à la différence d’un lycée de grande ville, les professeurs de la filière classique sont licenciés ou bacheliers, c'est-à-dire issus, a minima, de l’enseignement secondaire. La contigüité des parcours classique et spécial aidant, ceux-ci pouvaient aussi intervenir dans la filière spéciale, aux côtés d’enseignants titulaires du brevet supérieur primaire, qui y étaient principalement destinés. Louis Pastre, élève de l’enseignement secondaire spécial, au tout début des années 1880, au-delà du contact avec professeurs et élèves de la filière classique, bénéficia donc d’une formation qui, même si elle

1 Nous n’avons retrouvé de mentions de bourses que pour les années 1876-1877, 1878-1879 et 1880-1881. A

titre indicatif, le prix de la scolarité au collège de Lunel (Hérault), juste après 1885 était de 480 F. par an (Collège de Lunel : prospectus. Nîmes, Imprimerie Crémier Teyssier, p. 5. ADH : 1 T 6407) ; la même année, un maître primaire au collège de Pézenas touche 1600 F. par an (ADH : 1 T 6468).

2

HERNANDEZ Patrick (2005). Clermont-l’Hérault. Saint-Cyr-sur-Loire, A. Sutton, 127 p., p. 47. Le même site accueille aujourd’hui le lycée René-Gosse.

3 « Collège de Clermont-l’Hérault, année scolaire 1879-1880, enseignement spécial, examens du 5e mois »,

ne dispensait pas la « haute culture » par les humanités classiques, la rhétorique et la philosophie, « s’élevait fort au dessus des préoccupations de l’école primaire »1, comme le revendiquait Victor Duruy.

Par contre, il est une matière à laquelle l’enseignement secondaire répugnait et qui était la marque de l’école normale, et à laquelle le futur instituteur n’aura paradoxalement pas accès : la pédagogie. « Dans la logique du système scolaire de l’époque, se reconnaître le monopole de la pédagogie, affirme Francine Muel-Dreyfus, c’est se reconnaître un certain usage de la culture (fonctionnel), c'est-à-dire un rapport utilitaire à la culture [l’instituteur s’instruit pour les autres] qui s’oppose point par point au rapport désintéressé et artiste [des étudiants], rapport dominant qui appartient en propre à la classe dominante »2. Élève de l’enseignement secondaire spécial, Louis Pastre aura donc, dès les années de formation, pris conscience du clivage entre la culture des élites et celle du peuple.

En septembre 1882, nommé répétiteur au collège de Béziers, à quarante-cinq kilomètres au sud-ouest de Clermont-l’Hérault, il se permet d’écrire à l’inspecteur d’Académie, sans détour par la voie hiérarchique, pour solliciter une place d’instituteur adjoint dans la même ville, et argumente de ses « aptitudes particulières pour l’enseignement »3

et de l’espoir de « préparer de nouveau le brevet supérieur ». Voici, la démonstration de la vocation de Louis Pastre pour l’enseignement primaire, même s’il n’est pas passé par le « séminaire laïque » de l’école normale.