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De la patrie de Peyrottes, poète-ouvrier d’oc

De Clermont-l’Hérault à Perpignan (1863-1888)

2.1.2 De la patrie de Peyrottes, poète-ouvrier d’oc

La langue de l’enfance de Louis Pastre est l’occitan5

, plus précisément « le sous- dialecte bas-languedocien de Clermont-l’Hérault ». C’est le titre de l’ouvrage6 que le futur

exilé en Pays Catalan consacrera bien plus tard, en 1913, la cinquantaine venue, « à cette

langue qui nous est chère entre toutes, dira-t-il dans la préface, puisqu’elle est notre langue maternelle […] ce bon patois que nous avons appris au berceau, des lèvres d’une femme adorée […] ». Il s’agit de la langue populaire de Clermont, de la fin du dix-neuvième et des premières décades du vingtième siècle, car elle « résonne encore si agréablement à nos oreilles lorsque, ajoutera-t-il, après quelques années d’absence, nous revenons au pays natal […] ». Cette langue maternelle, Louis Pastre écolier a dû la voir persécutée ; il semble conjurer un vieux souvenir dans son livre de 1913 :

1 Acte de mariage d’Hippolyte Pastre et Marie Neyrac : ADH, 3 E 81/21 / Clermont - l'Hérault / 1843 – 1850. 2 Acte de mariage de Benjamin Pastre et Marie Neyrac, op. cit. Il n’est cependant pas certain que « marchand de

peaux », pelatièr ou pelissièr en occitan, soit un signe univoque d’ascension sociale, même si les tanneries locales pouvaient favoriser, en amont, cette activité commerciale, entre le paysan et l’artisan.

3

Informations recueillies le 22 novembre 2011 auprès de Clermontois de souche, op. cit.

4 Élie dit Benjamin Pastre (1847-1914), frère ainé de Louis Pastre, possède une concession au cimetière de

Clermont, surmontée d’un petit monument funéraire, dans une allée principale, face aux caveaux les plus imposants de la grande bourgeoisie clermontoise. Cette tombe accueille également les parents de Benjamin et de Louis, Hippolyte Pastre et Marie Neyrac, ainsi que le fils cadet de Louis Pastre, Hippolyte Pastre, nourrisson décédé à Clermont en 1888.

5

L’occitan parlé à Clermont est situé aujourd’hui dans la variante du languedocien oriental. Voir : SUMIEN Domergue (2009). « Classificacion dei dialèctes occitans ». Revistadoc.org, n°7, p. 1-55. http://www.revistadoc.org/file/Linguistica-occitana-7-Sumien. BALAGUER Claudi (2009). « Qualques caracteristicas del lengadocian mediterranèu », p. 181-196. In ARNAVIELLE Teddy, CAMPS Christian, éd.

Discours et savoirs sur les langues dans l'aire méditerranéenne. Paris, L'Harmattan, 352 p

6 PASTRE Louis [1913]. Le sous-dialecte bas-languedocien de Clermont-l’Hérault. Notes istori ues,

philologiques, grammaticales, lexicographiques, folkloriques et bibliographiques. Perpignan, Louis Pastre

Le sous-dialecte bas-languedocien est, sans contredit, l’un des plus originaux de la langue d’oc. […] Dès l’école, les fils du peuple apprennent à mépriser le langage maternel qu’on leur représente comme un grossier jargon indigne d’un enfant bien élevé et d’un bon français. C’est très regrettable1. D’autre part, il est curieux de signaler que les jeunes années de Louis Pastre ont coïncidé avec celles du futur écrivain Jules Boissière2, né lui aussi en 1863, à Clermont, et auteur remarqué, en 1896, du roman Fumeurs d’opium. Jules Boissière a laissé deux recueils de poèmes en occitan provençal, qu’il cultiva auprès des félibres parisiens des années 1880, et non en occitan languedocien, qu’un enfant de la bonne société héraultaise ne parlait pas3

. Ainsi, les deux jeunes clermontais ne se sont probablement jamais fréquentés. En effet, Jules Boissière, fils de bourgeois, est élève des classes primaires du collège de Clermont4, avant de rejoindre le lycée de Montpellier, à l’âge où, comme nous allons le voir, Louis Pastre, boursier, quitte l’école élémentaire pour s’élever jusqu’à l’enseignement secondaire « spécial » du même collège.

En revanche, il est un autre écrivain de Clermont-l’Hérault, Jean-Antoine Peyrottes (1813-1858), mort cinq ans avant la naissance de Louis Pastre, que ce dernier aura certainement pratiqué dès l’enfance, tellement ses vers écrits « dins lou léngagé ué m’o

bréssat déjoust lou tioulat paternel »5 [dans le langage qui m’a bercé sous le toit paternel], étaient familiers autour du Piog. Certains furent mis en musique, dont justement Lou tioulat

1 Ibid, p 15. 2

Jules Boissière (Clermont-l’Hérault, 1863- Hanoï, 1897). Outre deux recueils de poésies en français et une œuvre poétique en occitan provençal, Jules Boissière, un des meilleurs écrivains de l’Indochine, se distingue par ses textes littéraires sur l’opium, et ses récits sur la conquête du Tonkin. D’abord journaliste au quotidien de Clemenceau La Justice, il adhère à la Société des Félibres de Paris. Considéré par Frédéric Mistral comme un de ses plus prometteurs disciples, il se rend en Provence et rencontre le primadié Joseph Roumanille, dont il épousera la fille, une reine du Félibrige, en 1891. Après deux recueils de poèmes publiés chez Lemerre à Paris, dont Provensa en 1886, il part pour l’Indochine et devient fonctionnaire dans le corps des administrateurs à Hué et Saïgon. Il apprend l’annamite et publie à Hanoï, en 1890, Propos d’un intoxi ué. Directeur de la Revue

indochinoise, il publia, en 1896, chez Flammarion, le recueil de nouvelles anticolonialistes, Fumeurs d'opium

(réédité en 2005). En 1899, son épouse édita, chez Roumanille, le recueil bilingue posthume de poésies en provençal, traduit en regard en français par elle-même, Li gabian. Vinrent ensuite, Propos d’un intoxi ué (1911) et Indochine avec les français. Voir : GRANIER Georges, ROQUES Clovis, THIBERT Jacques (1991). « Jules Boissière ». GREC : Bulletin du Groupe de Rec erc es et d’Études du lermontais, n°59-60, avril-juillet 1991, p. 24-29.

3 En effet, le français était synonyme d’ascension sociale. De retour du régiment, les clermontais qui

conservaient le français appris auprès des camarades francimands, faisaient l’admiration de leurs aïeux occitanophones : « Nostre efont, disent alors les vieux émerveillés, parla tant pla francés couma l’éfant de Moussu Mestre de la Fatùra. » [Notre petit parle aussi bien le français que le fils de monsieur le contremaître de la fabrique.] Dans : PASTRE Louis [1913]. Le sous-dialecte bas-languedocien de Clermont-l’Hérault : Notes

historiques, philologiques, grammaticales, lexicographiques, folkloriques et bibliographiques. Perpignan, Louis

Pastre [édit.], Imprimerie J. Comet, p. 16.

4

Voir illustration 2.1.9.

5 Orthographe non normée, extrait de : « Apouthéosa dé Pierre-Paul Riquet – A ma mèra ». In PEYROTTES J.-

A. (1897). Œuvres patoises de J.-A. Peyrottes, potier de Clermont-l’Hérault. Montpellier, Comité Peyrottes, Imprimerie Méridionale, 302 p., p. 206.

Peyrottes présenta ce poème à la Société archéologique de Béziers, en 1838, dans le cadre d’un concours en l’honneur de l’inventeur et fondateur du canal des deux mers ; la Société proposera dès lors un prix spécial aux auteurs des deux meilleures pièces de vers patois.

paternel, « l’hymne des Clermontais », et on lui éleva même un monument par souscription

publique1. Le poète-ouvrier Peyrottes, potier de son état, « espèça de tarail é ue s’es mès

dins la testa d’estre pouète »2

[espèce de potier qui s’est mis en tête d’être poète], qui se revendiquait, par convention, de la langue poétique de Godolin3, défia publiquement, en 1847, un autre poète-ouvrier d’oc, très célèbre, le coiffeur agenais Jasmin (1799-1864). Peyrottes était, en réalité, de la veine contestataire d’un autre contemporain, le très apprécié chansonnier parisien Pierre-Jean de Béranger (1780-1857). Le poème satirique Los Orcholets4 [Les Cruchons], contre le juge de paix de Clermont, lui valut, en 1838, quinze jours de prison ferme, mais aussi la célébrité et le succès de son recueil Pouesias patouèsas, publié en 1840. Peyrottes, candidat républicain malheureux à la députation en 1848, marqua son temps jusqu’à émouvoir Victor Hugo, qui lui écrivit, en 1850 : « Votre voix, Monsieur, n’est pas seulement la voix du poète ; c’est la voix du peuple. […] Mon nom enchâssé dans vos rimes populaires, m’est la plus douce des récompenses »5

. « Authentique fils du peuple, souligne Claire Torreilles6, voilà la différence entre Béranger, ou Hugo, et lui » ; ainsi, les échos de l’œuvre de Peyrottes marquèrent-ils aussi Louis Pastre, enfant du peuple, comme peut-être cet extrait de l’« Hymna das Trabailhayres : As oubriés dél départémèn dé l’Héraou » [Hymne des Travailleurs : Aux ouvriers du département de l’Hérault], écrit en mars 1848 :

Bourgès, per té distrayre [Bourgeois, pour te distraire] As prou rist couma un fol [Tu as ri comme un fou] Dé nostre dol ! [De notre deuil !]

As prou tengut, pécayre, [Tu as assez eu, peuchère,] Toun pé sus nostre col7 ! [Ton pied sur notre cou !]

1

Le monument à Peyrottes fut érigé, en 1898, devant la mairie de la ville (et s’y trouve toujours), sur initiative du conseil municipal et sous le patronage du comité présidé par Frédéric Mistral, avec discours d’usage que le préfet prononça en langue d’oc. Voir : AZÉMARD Pierre (1991). « Jean-Antoine Peyrottes : poète-potier, chantre clermontais de la langue d’oc (1813-1858) », p. 17-20. GREC : Bulletin du Groupe de Recherches et

d’Études du lermontais, n°59-60, avril-juillet 1991, p. 20. Illustration 2.1.5.

2 En-tête du poème « Lous Orcholets ». 3

Pèire Godolin, poète toulousain du XVIIe siècle.

4 « Lous Orcholets » fut distribué par ses soins en 1838, contre le juge de paix de Clermont qui l’avait humilié en

ne reconnaissant pas sa valeur de poète, lors d’une plainte pour la destruction de son cahier de poèmes, par un notable.

5

En 1850, Peyrottes écrivit un poème « Coucarrous e cassibrailha », dédié au député Victor Hugo qui s’était élevé contre la loi du 31 mai 1850 retirant le droit de vote à une grande partie de l’électorat populaire. « Dans notre idiome, vagabond signifie coucarrou, et ville multitude, cassibrailha. C’est très flatteur. » (Note de Peyrottes). Voir : VIGNÉ D’OCTON P. (1898). J.-A. Peyrottes, poète-potier (1813-1858) : Lettres inédites et

documents. Clermont-l’Hérault, Imprimerie Saturnin Léotard, p. 36-37.

6 TORREILLES Claire (1986). « La revendication identitaire de J.-A. Peyrottes », p. 189-206. Revue des

Langues Romanes, n°2, tome XC, p. 196.

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Extrait de : PEYROTTES J.-A. (1897). Œuvres patoises de J.-A. Peyrottes, potier de Clermont-l’Hérault. Montpellier, Comité Peyrottes, Imprimerie Méridionale, p. 51-53.

Plus tard, Louis Pastre se souviendra de Jean-Antoine Peyrottes : en 1907, dans l’article

Llengues germanes1, et en 1913 encore, avec une abondante bibliographie sur le poète- ouvrier, dans Le sous-dialecte bas-languedocien de Clermont-l’Hérault.