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Typologie et discussion des déplacements de capitale

Logiques territoriales et réticulaires

Chapitre 2 - Le transfert du pouvoir : un processus politique et territorial

3. Typologie et discussion des déplacements de capitale

3.1. Processus politiques et processus territoriaux

Ce qui distingue les changements de capitale entre eux, ce sont avant tout les circonstances dans lesquelles ils interviennent (figure 10).

La lecture de ce schéma, au regard des cas recensés dans cette étude, montre que ce sont les contraintes territoriales et politiques qui sont les plus répandues. Le nombre de capitales nées de la dislocation d’Etats est à mettre en relation avec la tendance lourde de la deuxième moitié du XXe siècle de voir le nombre d’Etats augmenter considérablement avec la décolonisation (années 1950 et 1960) et l’éclatement d’anciennes fédérations socialistes (années 1990). Cette augmentation du nombre d’Etats s’accompagne inexorablement de celle du nombre de capitales. Surtout, tous les cas liés au territoire soulignent encore une fois que la formation de chefs-lieux est bien liée à la formation territoriale de l’Etat. Les cas de rupture politique ou de mise en place de politiques, à l’origine de déplacements de capitales, soulignent le lien indéfectible qu’a la capitale, non pas seulement avec le territoire, mais avec la politique elle-même conduite par l’Etat. Dans les deux cas, la capitale a une charge identitaire très forte, à laquelle l’Etat fait référence, qu’il s’agisse d’une approche territoriale ou d’une approche politique. A l’inverse, le déplacement de la capitale pour des raisons proprement urbaines est encore rare.

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Un dernier exemple particulier peut être évoqué, celui de la capitale déplacée dans l’Empire colonial en cas d’invasion du territoire « métropolitain », qui devient donc contrôlé à distance. Cela a été le cas pour le Portugal durant les guerres napoléoniennes, quand le pouvoir royal s’est déplacé de Lisbonne à Rio de Janeiro. La France de 1940 aurait pu connaître une situation similaire si l’initiative du Massilia avait fonctionné ainsi que le projet d’établir le gouvernement à Alger.

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Figure 10 – Typologie des déplacements de capitale

La Malaisie forme le seul cas d’un Etat qui, parmi les exemples présentés dans ce chapitre, soit parvenu à déplacer sa capitale avec un projet de décongestion d’une métropole. Les autres cas sont dictés par des circonstances tragiques et une réaction dans l’urgence, souvent provisoire (4 ans pour Vichy, 20 ans pour Tuscaloosa en Alabama), comme si, à la différence de n’importe quelle autre fonction, le gouvernement d’un Etat avait besoin d’un appareil politique ou de circonstances touchant à l’existence même du territoire de l’Etat pour être déplacé.

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3.2. D’autres lectures de la typologie

3.2.1. Niveau intra-urbain et fonctionnement quotidien du pouvoir

En premier lieu, le changement de capitale a presque toujours pour conséquence l’adaptation de l’appareil de l’Etat a une ville de destination est différente de la ville de départ, d’où une nécessité d’adaptation (tableau 3). Le plus souvent, les déplacements de capitale s’opèrent vers des villes plus petites. Mais surtout, le passage a lieu dans des conditions toujours bien différentes. Les grandes villes deviennent capitale dans les cas d’unification d’Etats alors que les petites accueillent le statut de chef-lieu plutôt à l’occasion de mouvements politiques brutaux ou de dislocations d’Empires.

Tableau 3 – Déplacements de capitales et taille démographique

Une dernière dimension de la résilience des villes-capitales tient dans le fonctionnement quotidien de l’administration du pays. La pratique quotidienne du pouvoir, en particulier dans les Etats à régime démocratique et parlementaire implique une multiplication d’interactions entre des institutions. Le conseil des ministres par exemple, qui rassemble chaque semaine tous les membres d’un gouvernement, est le type même de ces occasions d’interactions. C’est ce qui rend alors notamment presque impossible l’établissement de ministères hors de la capitale. D’ailleurs, si les déplacements des chefs d’Etat et des ministres se multiplient, il est extrêmement rare que ces personnalités quittent la capitale plus de 4 jours de suite. Si on décline le fonctionnement du quotidien d’un gouvernement et d’un parlement, on trouve alors un grand nombre d’interactions récurrentes et nécessaires. Il en est des rencontres interministérielles, des rapports entre le gouvernement et le parlement, des conférences de presse pour la communication sur l’action de

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l’Etat, des rapports entre le pouvoir et les ONG, les lobbys ou de tous les grands acteurs de la vie économique et culturelle du pays ou encore, dans le champ de la politique elle-même, le rapport entre les centrales des partis et les élus. Leur nécessité, leur fréquence ou leur récurrence, leur spontanéité parfois sont autant d’éléments qui requièrent plus ou moins la présence des acteurs intéressés dans la capitale. La proximité est aussi fréquente entre institutions militaires et lieux du pouvoir dans des Etats non démocratiques.

Ces rencontres perpétuelles entre les agents de la vie politique au sens large produisent de l’espace. On peut aussi ajouter aux proximités liées de la récurrence des liens entre acteurs, celles qui sont issues des proximités par la distance, celles qui facilitent les rencontres fortuites, ou qui augmentent la probabilité de se trouver ensemble dans des lieux tiers. Ces doubles proximités (sociales et spatiales) forment des configurations qui rendent la géographie interne des capitales unique. Ce qui est original lorsqu’un déplacement de capitale intervient, c’est que ces configurations sont totalement modifiées, bouleversées par la topographie de la nouvelle ville. A la marge, elles le sont parce que le déplacement du statut de capitale ne signifie pas forcément déplacement de l’ensemble des acteurs qui formaient la communauté des travailleurs de la capitale. Ainsi, certains peuvent sortir du système de proximité quotidien. D’autres peuvent y entrer. Surtout, pour ceux qui se déplacent, toutes les logiques de localisation et donc de proximités, de densités, de concentrations sont réinterrogées. Par exemple, si deux institutions, l’une politique, l’autre médiatique, se déplacent en même temps et gardent le même niveau de relations, la disponibilité en bureaux, le prix de l’immobilier, les choix politiques peuvent allonger les distances, réduire les proximités spatiales, et donc, peut-être altérer le fonctionnement des réseaux interpersonnels.

L’Etat a sa part dans la nouvelle géographie des capitales. Nous l’avons vu, la fonction de capitale n’est pas une fonction comme les autres, avec des dimensions symboliques et politiques très importantes. Donc, les logiques de localisation valant pour les autres fonctions ne sont pas transposables telles quelles. Dans des capitales créées de toutes pièces, comme au Kazakhstan par exemple, l’Etat s’est chargé d’installer les palais présidentiel et du gouvernement à chaque extrémité d’un axe central et a installé les fonctions qui lui semblaient les plus importantes le long. Mécaniquement, ce sont donc les proximités politiques (et sociales ?) qui ont suscité l’établissement de proximités spatiales. A l’inverse, prenons un autre exemple, celui de Putrajaya en Malaisie. Nous avons vu que toutes les institutions liées à la capitale n’avaient pas déménagé. On peut se poser la question du devenir de ces proximités spatiales disparues pour les proximités sociales, ou encore se demander si le pouvoir ne s’est pas un peu isolé. En Birmanie, la dictature a opéré ce déplacement à dessein. Il s’agissait d’établir une sorte de cordon sanitaire entre des activités du pouvoir volontairement inaccessibles et tous ceux (dans la population) qui auraient pu d’une manière ou une autre faire fléchir le régime.

Le déplacement d’une capitale implique aussi des temporalités. On peut imaginer que, selon les circonstances, la recomposition des proximités spatiales peut prendre un peu de temps. Nous en faisons l’hypothèse parce que le déplacement du pouvoir ne s’inscrit pas forcément dans les mêmes rythmes selon les institutions. Tout le monde n’est pas en capacité de déménager en

même temps surtout si le déplacement est assez so

Mieux, on peut aussi imaginer le cas où dans la capitale déplacée, les différents acteurs du pouvoir s’installent dans des lieux provisoires, avant de recevoir un emplacement définitif,

eu le temps de réfléchir, de construire

temps, certains qui avaient prévu de rester dans l

durablement établi, se rendre compte que le mode de fonctionnement à distance est impossible sur le long terme, que les proximités sociales nécessitent, à des fins d

spatiales. Cela peut être à l’origine de déplac

emplacements comme des ajustements postérieurs à la mise en route du travail dans la nouvelle capitale font partie d’un temps de latence avant un autre moment de stabilité

celui précédant la décision du déplacement, qui peut donc être qualifié de résilience.

3.2.2. Une constante

déplacement

Une autre grille de lecture peut se superposer à la question de la taille de la capita s’agit des implications de la position de la capitale par rapport aux environnements intérieurs et extérieurs du pays. En effet, il serait totalement fallacieux de considérer le déplacement de la capitale comme une question strictement intérieure. L

porosité des frontières, les rapports diplomatiques et économiques avec les autres Etats interviennent également dans les décisions prises quant à la géographie du pouvoir. Cela ne se passe nullement directement mais par l

On peut prendre deux exemples classés plus haut dans une même catégorie, celle des déplacements de type politiques motivés par des considérations propres à l

territoire à savoir le déplacement Moscou Brasilia de 1960 (figure 11).

Figure 11 – Accessibilité et déplacement de la capitale au Brésil et en Russie

En Russie, Pierre le Grand cherche volontaireme les échanges commerciaux avec l

territoire dans l’ensemble géopolitique européen. Ce déplacement s siège du pouvoir en un lieu de moins accessible depuis l

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surtout si le déplacement est assez soudain et qu’il se manifeste une certaine inertie Mieux, on peut aussi imaginer le cas où dans la capitale déplacée, les différents acteurs du pouvoir

ieux provisoires, avant de recevoir un emplacement définitif,

eu le temps de réfléchir, de construire afin de lui donner sa dimension symbolique. Dans le même temps, certains qui avaient prévu de rester dans l’ancienne capitale peuvent, une

durablement établi, se rendre compte que le mode de fonctionnement à distance est impossible sur le long terme, que les proximités sociales nécessitent, à des fins d’efficacité, des proximités origine de déplacements tardifs. Le caractère provisoire de certains emplacements comme des ajustements postérieurs à la mise en route du travail dans la nouvelle

un temps de latence avant un autre moment de stabilité. Il est dant la décision du déplacement, qui peut donc être qualifié de résilience.