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La capitale de l’Empire allemand

De Bonn à Berlin : l’Allemagne déplace (encore) sa capitale

Carte 2 – Saint-Empire Romain Germanique en 1648

2. Berlin capitale (1871-1945)

2.1. La capitale de l’Empire allemand

Comme l’explique l’historien Wolfgang J. Mommsen, la création de l’Empire allemand en 1871 ne s’est pas accompagnée d’un seul débat concernant la légitimité de sa capitale. Berlin est la capitale de l’Allemagne parce qu’elle est celle du royaume de Prusse, moteur de l’unité. « Es hätte eine solche Debatte gar nicht geben können, dann Berlin wurde zum Zentrum des politischen Institutionen des neuen Reiches einfach nur deshalb, weil es die Hauptstadt der Hegemonialmacht Preußen war. »86 (MOMMSEN, 2000, p.182). Dans les faits, la question de la capitale n’a pas été résolue de manière aussi claire. Pierre-Paul Sagave, rappelant qu’à l’époque les événements de la Commune de Paris étaient dans tous les esprits, évoque le cas du journal conservateur Deutsche Landeszeitung qui propose en 1871 de déplacer la capitale à Kassel, loin des masses laborieuses et donc (évidemment !) dangereuses. Bismarck avait proposé au Kaiser un projet similaire de déplacement des institutions à Potsdam (l’équivalent allemand de Versailles) qui avait refusé (SAGAVE, 1995).

85 Il n’est pas judicieux ici de parler de « régions » et de « provinces » puisque dans le droit, il s’agissait de « royaumes » (Königreiche) ou de principautés (Fürstentüm). Le terme générique en allemand était Staat.

86 « Sur la question de Berlin comme centre des institutions politiques du nouvel Empire, un tel débat n’aurait pu avoir lieu, pour la raison simple que la ville était la capitale de la puissance hégémonique de la Prusse. »

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Berlin endosse un rôle alors nouveau cumulant le statut de capitale impériale de l’Allemagne et celle de capitale royale de la Prusse. Ce changement perpétue et amplifie une tendance entamée au milieu du XIXe siècle, à savoir de doter la ville de la monumentalité et de bâtiments à la fois dignes de son nouveau rang et capables d’abriter une administration toujours plus nombreuse. Même, elle met en conflit la monumentalité d’origine royale avec celle d’une monumentalité de type impériale. La situation administrative actuelle de Berlin, qui est à la fois ville et Etat fédéré, ne doit pas induire en erreur concernant l’époque de l’Empire. La ville ne jouissait pas d’une autonomie particulière. Cela a eu notamment pour conséquence l’implication de l’Etat dans le budget municipal, qui ne pouvait supporter toute la charge des constructions et des aménagements (ESCHER, 2004). Or, un autre argument qui va dans le sens d’une continuité avec la période antérieure, surtout celle de la Confédération d’Allemagne du Nord, est que la Prusse a mis du temps à faire la différence entre ses propres institutions et celle de l’Empire. La confusion était d’autant plus difficile que la Prusse représente plus de la moitié de la surface et de la population de l’Empire. De plus, le chef d’Empire (Kaiser) est l’héritier de la couronne prussienne, un Hohenzollern et le chancelier (Reichskanzler), est presque toujours ministre-président (Ministerpräsident) de la Prusse. Celle-ci envoie une majorité d’élus au Bundesrat qui a l’initiative des lois. A Berlin, il faut attendre 1910 pour que l’Empire investisse plus de moyens que la Prusse dans la transformation de la ville pour sa charge de fonction de capitale.

Néanmoins, sur la question de Berlin, le pouvoir impérial se retrouve donc devant le dilemme qui agite tous les autres gouvernements jusqu’à aujourd’hui, à savoir maintenir l’équilibre entre le renforcement d’une capitale symbole de l’unité nationale et le respect du fédéralisme. La mise en place de ce dernier avait été au départ l’une des conditions pour un ralliement rapide des Etats du sud à l’Empire. En compensation, la Bavière garde notamment la liberté de conserver une armée (en temps de paix exclusivement !) et quelques Représentations à l’étranger. Là se situent les limites du pouvoir de la capitale, qui ne peut en aucun cas être comparé à celui d’un pays très centralisé. Par exemple, dans le fonctionnement des institutions, le Tribunal suprême de l’Empire (Reichsgericht) est installé à Leipzig (SONNE, 2003, p.103) et non à Berlin comme caution d’une prise en compte de l’importance des régions. Le vote qui décida cette localisation contre Berlin est un des rares cas de mise en minorité de la Prusse sous l’Empire. Cet acte constitue une ébauche d’un trait particulier de la géographie du pouvoir et de l’administration en Allemagne.

Berlin réunissait déjà des conditions pour accueillir la fonction de capitale. En 1871, c’est déjà depuis longtemps la ville la plus peuplée d’Allemagne. Elle est en train de prendre le tournant de la seconde révolution industrielle, celle de l’électricité et de la chimie et sa population (900000 habitants) augmente rapidement, au rythme d’environ 30000 nouveaux habitants par an. A cette époque, Berlin est aussi devenue une ville très accessible, véritable nœud d’un réseau de voies ferrées qui partent en étoile autour de la ville. N’oublions pas qu’à l’époque, une grande partie du territoire allemand se situait à l’est de l’Oder, et que sur le plan géométrique, la ville de Berlin occupe une position relativement centrale.

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Cependant, il s’agit aussi d’une agglomération dont le développement est alors très récent et extrêmement rapide et c’est pourquoi les infrastructures n’ont pas toujours pu être réalisées au même rythme. Certes, la Prusse, qui avait préparé les conditions de l’unité allemande sur le plan politique, avait aussi largement doté Berlin d’une monumentalité qui lui manquait encore en comparaison d’autres villes du monde germanique comme Vienne ou encore Leipzig et Munich. Comme le montre Felix Escher, dès les années 1840 et 1850, la Prusse étoffe le nombre des palais dans lesquels elle fait siéger des institutions royales. C’est l’époque de la restauration des palais Mendelssohn et Hardenberg devenus respectivement l’Abgeordenetenhaus et la Preußisches

Herrenhaus, en un mot les deux chambres parlementaires de la Prusse87 (ESCHER, 2004). La ville se dote ou restaure des hôtels particuliers pour les transformer en ministères. Mais l’idée reste répandue bien après 1871 parmi les responsables de la ville, au niveau de l’Etat comme chez les aménageurs et les architectes, que la ville de Berlin a un retard à rattraper. L’Empire cherche en premier lieu à donner à Berlin son caractère de capitale d’un Etat-nation, en créant notamment l’ensemble de l’Ile des Musées, près du château des Hohenzollern, afin de faire participer Berlin à l’édification d’un Etat-nation, et à en faire le creuset de la culture allemande. Si l’on excepte les extensions résidentielles des quartiers ouvriers et populaires (Friedrichhain, Prenzlauer Berg) ou bourgeois (Charlottenbourg, Schöneberg), le cœur de la ville de Berlin est déjà constitué lorsque la ville devient capitale alors qu’à Paris par exemple, le développement de la ville et l’investissement en foncier par le pouvoir et l’administration sont allés de pair. Berlin doit accueillir une fonction dont la localisation ne peut symboliquement qu’être centrale, alors que précisément son centre est construit. Le jeu d’échelles entre Prusse et Empire se manifestait donc indirectement à une autre échelle, de manière très pratique, pour le partage des espaces centraux de Berlin. Cette surimposition de la fonction de capitale au tissu urbain se traduit par l’utilisation de palais situés dans la périphérie ouest de la Dorotheenstadt et de la Friedrichstadt (le quartier aux rues en damier qui est aujourd’hui à peu près l’arrondissement de Mitte), et en particulier la Wilhelmstraße, l’avenue Unter den Linden qui mène de cette périphérie (la Pariser Platz) au château, ainsi que les premiers abords du Tiergarten, auprès duquel sera construit le Reichstag à partir de 1884. Cependant, autour de 1900, la géographie des institutions reste pour beaucoup inachevée et en devenir, comme le montre la citation de l’époque de Karl Scheffler « there is no city in Germany which fully represents the empire »88 (SCHEFFLER, 1910 cité par SONNE, 2003, p.103). Notamment, l’historien Wolfgang Sonne rappelle une citation de 1911 de l’artiste et architecte Franz Jansen : « Given the ugly, nay undignified impression, which the stranger receives when entering Berlin, (…) the hope invested in such aesthetic improvement is surely quite considerable »89 (SONNE, 2003, p.112). Le principal reproche fait à Berlin en comparaison avec d’autres capitales nées au XIXe siècle, est précisément ce manque de plan global, de

comprehensive plan comme l’écrivent les architectes anglo-saxons, qui avaient présidé aux

constructions notamment de Ottawa et de Canberra.

87 Ces deux bâtiments abritent aujourd’hui la Berliner Abgeordnetenhaus et le Bundesrat.

88 « Il n’y a pas de ville en Allemagne qui représente pleinement l’Empire. »

89 « Etant donnée l’expression de laideur et de stupéfaction que perçoit l’étranger qui entre à Berlin, (…) l’espoir engagé dans des améliorations esthétiques, est à coup sûr assez considérable. »

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L’extension de la ville de Berlin de 1920 consiste en un agrandissement territorial qui repousse considérablement les limites (toujours en vigueur) de la ville en intégrant les communes avoisinantes. Elle intervient au début de la République de Weimar, bien que planifiée dès l’Empire et va dans le sens de la recherche d’une cohérence générale à la ville et la volonté de lui donner une taille critique, capable de rivaliser avec les plus grandes villes européennes. A la même époque, l’Empire allemand lui-même cherchait à comparer sa puissance à celle de ses voisins, dans l’industrie, par sa démographie ou dans la course aux colonies. Il n’empêche que la ville de Berlin ne se défait alors pas de son image de ville « parvenue » (Parvenü-Stadt), grandie trop vite et qui porte sa fonction de capitale comme un costume trop large. A la fin de la période de l’Empire, dans les années 1910, elle cherche encore, en dépit d’une taille démographique notable (environ 2 millions d’habitants), à symboliser l’Etat-nation que l’Allemagne est devenue.

Cette centralisation ne fait pas de Berlin en Allemagne ce que sont Paris et Londres dans leurs Etats respectifs. Detlev Briesen, en comparant le rôle de Berlin par rapport aux autres grandes villes allemandes montre que si une tendance à une concentration des fonctions existe au cours de la période de l’Empire, elle est loin d’atteindre autant dans l’économie que dans la culture, le rôle centralisateur de Paris en France. Si Berlin commence à avoir, par exemple, une force d’attraction très importante pour les artistes, la ville n’enterre pas pour autant l’importance de villes comme Munich ou Leipzig notamment (BRIESEN, 1992).