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Logiques territoriales et réticulaires

3. La capitale, une fonction donc multiple

3.2. Un angle socio-économique

Les capitales ne sont pas à étudier uniquement en fonction de leur rapport au territoire. Du moins, leur rapport à l’espace ne s’arrête pas là.

L’Etat investit donc de plusieurs manières et à divers degrés sa capitale. En premier lieu, la fonction politique et administrative est à mesurer non pas en soi mais par rapport à d’autres domaines et notamment économique. Il s’agit en fait d’essayer d’isoler (ce qui est dans la pratique

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est souvent sinon impossible, au moins très difficile) ce qui relève de la fonction de capitale d’Etat et des autres fonctions que la ville renferme par ailleurs. Par exemple, c’est dans ce domaine que se situe la principale différence entre des capitales des pays neufs, créées seulement pour être capitales et des métropoles, qui dans le même pays imposent leur leadership en matière économique. La capitale dans ces Etats joue un rôle marginal économiquement dans le PIB du pays. C’est le cas dans des Etats comme les Etats-Unis, le Canada ou le Brésil. La difficulté avec cette approche, c’est de mesurer précisément en quoi le développement de fonctions, notamment économiques, est indépendante de la fonction de capitale. Dans le cas de Bonn, capitale de l’Allemagne fédérale, Helmut Kohl avait fait développer à partir de la fin des années 1980, un grand quartier comprenant des fonctions culturelles supérieures, ce qui deviendra la « Museumsmeile ». Il s’agissait clairement à l’époque de doter Bonn d’institutions dignes de son rang de capitale. Ici, la concentration de lieux à usage culturel et à audience nationale est conjointe à la fonction de capitale politique et correspond donc à l’une de ses extensions.

En deuxième lieu, l’importance et le rôle d’une capitale peut être évalué en fonction de la part des administrations nationales qu’elle abrite. Or, celui-ci se mesure en deux temps. En premier lieu, il s’agit de comprendre quelles sont les attributions et les compétences juridiques et institutionnelles de l’Etat par rapport, par exemple, aux régions. Dans un Etat de type fédéral, cette part est plus faible en ce qui concerne l’Etat. Un grand nombre de compétences sont déléguées aux régions (qu’on peut appeler selon les cas, Etats fédérés, Länder, communautés autonomes…). A l’inverse, dans un Etat de type unitaire, les instances nationales concentrent une très grande partie des rôles d’administration et de gouvernement.

Dans un deuxième temps, il s’agit de voir quelle part des attributions assurées par l’Etat central a son siège dans la capitale. Et là aussi, les situations peuvent être très variables (tableau 2). Par exemple, aux Etats-Unis, si les Etats fédérés ont des compétences politiques étendues à des domaines aussi importants que l’éducation, la sécurité publique ou à des dispositions pénales comme la peine de mort, les institutions de niveau fédéral, elles, sont presque toutes concentrées à Washington ou dans l’immédiate périphérie, débordant légèrement sur le Maryland et la Virginie. A l’inverse, en Suisse, Etat également fédéral, la capitale est à peine reconnue dans le droit41, et un certain nombre de ses institutions nationales publiques se trouvent hors de Berne. On peut citer la banque centrale à Zürich ou le tribunal fédéral qui siège à Lausanne. Cette distinction existe également parmi les Etats unitaires. On peut opposer la France, dont les efforts de décentralisation depuis les lois de 1982 sont très timides et qui n’a encore déménagé aucune institution importante42, aux Pays-Bas où Amsterdam, bien qu’ayant le statut de capitale, n’abrite que peu d’institutions et dont aucune n’est hautement importante comme le Parlement, situé à La Haye.

41Berne, la capitale de la Suisse, est officiellement une « Bundesstadt » ou « ville fédérale ». La distinction avec une capitale vient du fait qu’officiellement, ce sont les cantons qui sont souverains et que Berne n’est qu’un nécessaire lieu de réunion pour la diète fédérale.

42A l’exception de quelques établissements comme l’Ecole Nationale d’Administration déplacée à Strasbourg, et de la partie recherche de Météo France qui a quitté Paris pour Toulouse.

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Tableau 2 – Position relative de la capitale dans l’appareil institutionnel de l’Etat (symbolisé par le nombre d’étoiles par case)

Poids de la capitale dans le système institutionnel national

Etat fédéral Etat unitaire Centralisation des institutions

nationales dans la capitale

**

Etats-Unis (Washington)

*** France (Paris) Décentralisation des

institutions nationales hors de la capitale

* Suisse (Berne)

**

Pays-Bas (Amsterdam)

Les capitales sont un lieu où se concentrent des fonctions et des éléments ayant trait au pouvoir de l’Etat. Cependant, cela implique-t-il, à l’échelon intra-urbain une concentration ou une juxtaposition de ces fonctions dans un ou quelques quartiers contigus ? L’organisation du pouvoir peut-elle au contraire se satisfaire de formes au mieux polycentriques sinon totalement éclatées ?

La question n’est pas artificielle parce qu’elle implique de véritables contraintes pour ceux qui parcourent cet espace. La pratique du pouvoir suppose des interactions régulières entre les différents mondes qui gravitent autour du pouvoir politique. Ceux-ci, dont la présence est inhérente à celle du pouvoir forment des ensembles distincts qui se partagent un même espace.

En premier lieu se trouvent les fonctions qui sont au cœur même du pouvoir, à savoir l’appareil politique et l’administration. Ces deux ensembles sont à l’initiative du choix d’une ville comme capitale et de son importance sur le territoire. Même si l’on trouve dans le monde quelques capitales officielles n’abritant pas de gouvernement, ce sont des exceptions. L’appareil politique se compose du chef de l’Etat et de son entourage immédiat ainsi que de tous les membres du gouvernement (en un mot le pouvoir exécutif), des membres du ou des Parlements et de leurs employés (le pouvoir législatif). Les hautes cours de justice et les cours constitutionnelles y résident le plus souvent. On peut aussi inclure dans cet ensemble, les centrales des partis politiques dont l’activité dépend des organes de décision. Il s’accompagne de tout ce qui sert à la gestion et à l’administration du pays (comme par exemple le commandement des forces armées ou de la police). En premier lieu, on peut citer les ministères et toutes les institutions publiques de direction nationale.

Puis, viennent trois grands secteurs, dont la présence dans la capitale est déterminée par la pratique de la politique et la présence des administrations centrales. Il s’agit en premier lieu de ce qui tourne autour de la diplomatie et donc des ambassades de tous les Etats avec lesquels l’Etat a des relations. On peut y joindre la présence éventuelle de consulats ainsi que de Représentations diplomatiques d’entités non reconnues comme des Etats (les Représentations de l’UE, la Représentation des territoires palestiniens notamment) ainsi que, pour certains Etats comme l’Allemagne, les Représentations des régions qui investissent des immeubles. Leur rôle n’est pas diplomatique mais s’apparente de plus en plus à celui d’une ambassade, notamment dans les domaines économiques et culturels. Deuxième secteur très lié à la fonction politique, celui de la presse. La nécessité pour les organes de presse de se trouver « là où la musique se joue », pour reprendre une expression allemande, les conduit à se concentrer dans les capitales, et en

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particulier la presse spécialisée dans l’actualité politique et dans l’actualité internationale. Puis, l’ensemble de ce que l’on nomme les « lobbys » ou les groupes de pression se trouvent aussi nécessairement près du pouvoir. Ils regroupent tous ceux qui, sans avoir de plein droit le pouvoir, ou ont besoin d’interagir avec lui. Il peut s’agir aussi bien des agences représentant les intérêts de tous les secteurs économiques que d’associations engagées dans le domaine de l’écologie, le développement ou la défense de consommateurs, ou encore les différentes centrales des syndicats et des partenaires sociaux.

Enfin, il y a un certain nombre de secteurs d’activités qui sont plus indirectement encore liés à la présence du pouvoir politique (figure 9). On peut citer par exemple la présence d’institutions culturelles de niveau supérieur, souvent subventionnées par l’Etat et visitées par une population au profil socioéconomique et socioculturel élevé. Il en est de même pour la présence de boutiques de luxe ou de produits rares ou encore le développement de transports du type taxis ou loueurs de voitures. Enfin, la présence du politique induit également ce que l’on appelle le tourisme politique, c’est-à-dire des séjours dont l’un des buts est la fréquentation des lieux du pouvoir, comme par exemple lors de visites organisées de parlements ou de ministères.

Figure 9 – Secteurs d’activités que l’on peut trouver dans une capitale

Ces trois niveaux ne peuvent être étudiés de la même manière car leur lien avec l’espace urbain et leur répartition dans l’Etat diffèrent. Plus on descend dans la hiérarchie des fonctions présentées, moins leur présence exclusive dans la capitale est assurée. Les cas de capitales sans gouvernement ni parlement existent mais restent rares (Amsterdam, Pretoria la moitié du temps). Par contre, on rencontre un peu plus de cas d’Etats dans lesquels les capitales n’ont pas le monopole de l’implantation de la diplomatie, de la presse et des lobbys. C’est le cas par exemple en Malaisie où après le déplacement du gouvernement à Putrajaya, les ambassades sont massivement restées à Kuala Lumpur. Enfin, pour ce qui est de la géographie des fonctions culturelles supérieures et du commerce de luxe, leur présence dans la capitale est plus favorisée que réellement assurée. Il est bien évident que la présence d’une population aisée n’est pas l’apanage des seules capitales et peut constituer des effectifs très importants comme par exemple à New York par rapport à Washington, à Milan par rapport à Rome, à Rio par rapport à Brasilia.

appareil politique, administration diplomatie, presse politique et internationale, lobbying fonctions culturelles supérieures, tourisme politique, commerce de luxe

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Ce graphique a une morphologie qui peut également se lire avec un angle de vue spatial. Du moins, la validation de cette hypothèse est l’un des objets de cette recherche. Il s’agit de vérifier, que les fonctions centrales de la capitale, celles liées à la pratique de la politique et à l’administration de l’Etat, occupent des espaces centraux dans la ville ou se concentrent sur un quartier où se nouent des proximités entre les individus. Puis, viennent se rapprocher de ces premières fonctions (et d’un premier quartier ?), ceux qui suivent la fonction capitale sans en être à l’origine. Leur géographie reflète peut-être ces dimensions puisque la présence auprès du pouvoir est sans doute recherchée sans forcément être atteinte. Enfin, les fonctions liées au tourisme politique et plus généralement à tous les électrons plus ou moins libres qui gravitent autour du pouvoir sans avoir avec lui de rapports exclusifs, pourraient produire un espace plus lâche. Cette activité ne couvrirait pas forcément non plus toute la ville mais sans doute un ensemble urbain mal défini plus étendu que les deux premiers. Nous faisons ainsi l’hypothèse qu’à l’intérieur même de toute capitale, se trouve aussi des sortes de trous noirs, lieux répulsifs ou simples isolats (CBD, grands parcs, ports) indépendants de la géographie du pouvoir politique.

La deuxième difficulté à laquelle on se confronte en étudiant le lien entre ces secteurs d’activité et la fonction de la capitale est la relation économique entre les deux et le danger de l’erreur écologique. La politique et l’administration doivent évidemment le plus souvent leur présence à la fonction de capitale, ainsi que le deuxième type de secteurs. Du moins, ils ont par rapport aux autres la liberté et la capacité d’investir une ville alors que les autres secteurs cités ne peuvent que les suivre, et rarement les précéder. Pour ce qui est du troisième, il devient extrêmement hasardeux de chercher à mesurer la relation entre le développement de ces activités et la pratique de la politique. Le tourisme politique, par exemple, est très révélateur. Les touristes visitent-ils les lieux uniquement pour les institutions qui s’y trouvent ou sont-ils venus pour d’autres fonctions (culture, patrimoine historique, conférences) ? Dans le second cas, il est clair que ces touristes auraient visité la ville, si elle n’avait pas été capitale.