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Pour les médias internationaux : Berlin nouveau hub ?

limat de croissance grâce au départ de la capitale ?

3.4. Pour les médias internationaux : Berlin nouveau hub ?

3.4.1. En direct de Berlin, Allemagne…

En 1999, la plus grande partie des correspondants étrangers sont arrivés à Berlin, précédés, comme nous l’avons déjà exposé, par quelques pionniers travaillant notamment dans la télévision. Le graphe présenté plus haut montre que les effectifs de la VAP sont irréguliers mais que la tendance est plutôt à la hausse dans les dernières années190. Berlin est pour de très nombreux médias internationaux un lieu incontournable, et bien plus que d’autres capitales. La ville s’impose comme un des premiers centres de presse européens. La VAP en Allemagne soutient tout à fait la comparaison avec d’autres associations de la presse étrangère dans le monde (tableau 20).

Tableau 20 – Nombre de membres dans quelques associations de presse étrangère installées dans plusieurs capitales (2008-2011)

Nom de l’association Siège Nombre de

membres

Foreign Press Center Washington 1480

Associazione della Stampa Estera in Italia Rome 505 The Foreign Correspondents’ Club of South Asia New Delhi 500

Foreign Press Association Tel Aviv 480

Verein der Ausländischen Presse in Deutschland Berlin 440

Association de la Presse Etrangère Paris 386

Foreign Correspondents’ Association Singapour 220

Verband der Auslandspresse in Wien Vienne 155

Asociación de Corresponsales Extranjeros en Argentina Buenos Aires 138

Foreign Press Association of Sweden Stockholm 137

Asociación de Prensa Extranjera en el Perú Lima 113 Den Udenlandske Presseforening i Danmark Copenhague 76

Foreign Press Association in Norway Oslo 75

Association de la Presse Etrangère au Sénégal Dakar 37 Source : Données rassemblées auprès des différents organismes

Ces données n’ont évidemment absolument rien d’exhaustif et ne valent pas une étude systématique. Cependant, d’autres arguments plaident pour un rôle très important de Berlin dans une géographie européenne des médias. La présence d’un correspondant à demeure et non d’un pool d’envoyés spéciaux pour couvrir l’actualité depuis Berlin est souvent une priorité bien qu’il s’agisse d’un surcoût très important. En quoi la capitale allemande justifie-t-elle des correspondants permanents ?

En premier lieu, parce que Berlin, et avant Bonn sont des noms qui servent d’antonomase pour le pays entier. Etre dans la capitale allemande, c’est relater la vie de l’Allemagne. Par

190 Au tournant de la décennie 2000, en même temps que le déménagement, la VAP a absorbé la VAP de Berlin. L’attitude arrogante de certains Bonnois avait créé des frictions et une baisse de la capacité d’organisation de l’association qui peut expliquer une baisse du nombre de membres. L’anticipation du départ à Berlin par d’autres, dans les années 1990, avait également peut-être conduit à un affaiblissement de l’association de Bonn.

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conséquent, c’est l’importance du pays qui transparaît dans la présence de tel ou tel journaliste. Il faut rappeler que l’Allemagne est le premier Etat de l’Union Européenne par la population ainsi que pour la production de richesse. Abritant la Banque Centrale Européenne et membre fondateur de l’UE, son poids est considérable dans toutes les décisions prises à l’échelon communautaire. Pour Francisco Assuncão, correspondant pour l’agence de presse portugaise LUSA, Angela Merkel s’affirme dans le monde comme le principal leader du continent et est perçue comme un « Obama européen »191. Les journalistes enquêtés venus de France, de Belgique, de Pologne et d’Autriche ont tous mentionné que l’Allemagne était leur principal partenaire commercial (argument valable pour de nombreux autres Etats de l’Italie à la Tchéquie, des Pays-Bas au Danemark). Depuis 1994, l’Allemagne intervient par une présence militaire sur plusieurs théâtres d’opérations, notamment l’ex-Yougoslavie, le Liban et l’Afghanistan.

Dans l’armature générale de la présence des médias dans les capitales, l’Allemagne semble un espace émergeant. Patrick Saint-Paul, correspondant du Figaro depuis 2008, estime que son journal publie autant d’articles sur l’Allemagne que depuis son bureau de Londres. Pour

France 2, Berlin se trouve tout de même en retrait par rapport à Londres et Washington (hors

périodes exceptionnelles comme autour des 20 ans de la chute du Mur) mais produit plus de reportages que les bureaux de Dakar et de Moscou.

3.4.2. Des correspondants à Berlin avec un champ élargi

Le 10 avril 2010, le président polonais Lech Kaczyński meurt dans un accident d’avion, près de l’aéroport de Smolensk, en Russie. La presse du monde entier suit l’enterrement quelques jours plus tard. Des dizaines d’entreprises de médias (journaux, radios, télévisions, agences de presse) veulent être présentes. En Pologne, il n’existe pas (à notre connaissance et malgré nos recherches) d’association de presse étrangère comme la VAP à Berlin et peu de médias ont des correspondants à demeure dans ce pays (comme l’AFP, Reuters ou encore le journal Le Monde). Pour être présents, les autres rédactions n’ont que deux solutions. Ou elles envoient des envoyés spéciaux depuis leur siège d’origine, ou elles dépêchent quelqu’un qui est correspondant dans un Etat voisin, et qui pourra, espère-t-on, être plus rapide du fait de sa proximité géographique. C’est ainsi que pour couvrir l’enterrement du président polonais à Cracovie, France 2 envoie son correspondant à Berlin, tout comme Radio France mais aussi la Radio Nacional España et l’agence de presse espagnole EFE.

Il n’est donc pas rare que le correspondant en poste dans un pays couvre ponctuellement des événements dans un pays proche. D’ailleurs, d’après une enquête faite auprès des journalistes de la VAP en 2004, si 43% ne couvrent que l’Allemagne, 28% des correspondants déclarent couvrir les Etats voisins de l’Allemagne et 10% l’Europe en entier (ROTHENBERGER, 2004, p.68).

Nous avons interrogé trop peu de correspondants pour savoir si la couverture géographique des correspondants étrangers s’est modifiée avec le temps, et si Berlin remplit une fonction fondamentalement différente de Bonn avant 1999. Autrement dit, est-ce que le hub

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centre-européen que constituerait Berlin est simplement un transfert d’un système développé à Bonn, ou s’est-il étendu ?

Il est très difficile d’établir de règle générale avec les données que nous avons récoltées. Il faudrait avoir une base de données plus complète intégrant l’architecture générale des correspondants des rédactions. L’hypothèse serait la suivante et elle est un peu sous-tendue par le commentaire dans le mémoire de Liane Teresa Rothenberger en 2004. L’étendue de la couverture du correspondant dépend du semis des envoyés permanents des rédactions sur le continent européen. Plus il est dense, et moins la couverture spatiale de l’actualité est étendue. Par exemple, le correspondant de Radio France Internationale ou celui du Monde sort peu d’Allemagne parce que son entreprise a d’autres employés en poste à Vienne, à Varsovie, à Bruxelles, à La Haye. Le travail se concentre donc exclusivement sur l’Allemagne. A l’inverse, des correspondants de médias américains ou russes basés à Berlin sont susceptibles de couvrir toute l’UE et même une partie du Proche-Orient (ROTHENBERGER, 2004, p.69). L’étude des entretiens que nous avons réalisés auprès des correspondants étrangers fait ressortir quelques constantes.

L’extension de la couverture de l’actualité, quand elle s’étend hors d’Allemagne, se fait en premier lieu sur l’Autriche, du fait de l’unité linguistique entre les deux pays notamment. Si Vienne présente une économie bien plus florissante, elle n’apparaît pas comme un centre très important pour la presse étrangère. Le pendant de la VAP sur place a presque trois fois moins d’adhérents. Autre extension, la Pologne. La position de Berlin rend évidemment la couverture des événements polonais très faciles à relater, même si pour certains médias comme France 2, la Pologne était déjà intégrée dans le champ de compétence du bureau allemand quand il siégeait à Bonn192. La VAP, comme d’ailleurs plusieurs associations de journalistes étrangers dans le monde, organise des voyages à l’intérieur du pays. Au cours des années 2000, des voyages en Pologne ont été organisés à l’occasion d’élections.

La couverture journalistique de la Pologne et plus généralement de l’Europe centrale paraît une évidence pour des médias venus de France ou d’Espagne. A l’inverse, le correspondant d’une agence de presse du Koweit, intègre dans sa couverture de l’actualité les Pays-Bas. Enfin, d’autres s’occupent également de l’Europe du Nord. L’agence de presse espagnole EFE centralise dans le bureau de Berlin les informations envoyées de pigistes en Scandinavie et en Finlande. Le correspondant du Times de Londres envoie également des articles sur la Suède du fait de ses compétences linguistiques en suédois.

L’importance de Berlin comme capitale de l’Allemagne implique une présence forte de la presse internationale et dont l’influence passe parfois les frontières nationales. Il est cependant intéressant de souligner que cette puissance n’est pas suivie par une accessibilité égale à d’autres grandes métropoles européennes. Bertrand Gallicher, de Radio France, explique avec humour dans quelles circonstances il a dû se rendre aux obsèques du président polonais.

« Ca m’est arrivé de travailler en Pologne. A plusieurs reprises. La dernière fois, c’était pour l’accident dans lequel a trouvé la mort Kaczynski. On est tous partis. Je dis "tous" parce qu’évidemment, tous les confrères

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français qui étaient ici sont allés rapidement là-bas, ce qui n’était pas forcément d’ailleurs la solution la plus pratique. Parce que pour aller d’ici à Varsovie, il n’y a pas des avions tout le temps. Et finalement, quand je suis allé à Varsovie, j’ai du arriver deux heures avant mon confrère qui était parti de Paris. Parce qu’il a fallu que je passe par Francfort.»193

La couverture de l’actualité allemande peut également déboucher sur des reportages dans un contexte très éloigné de Berlin mais si elle est plus rappelée ici à titre d’anecdote que comme quelque chose de véritablement récurrent. De par son statut de correspondant en Allemagne, le journaliste du Figaro Patrick Saint-Paul a couvert le conflit afghan depuis les déploiements de l’armée allemande.

« En revanche, là je suis allé en Afghanistan, au mois de mars, j’ai passé deux semaines pour suivre un peu ce que faisaient les troupes allemandes là-bas. Quand il se passe un truc qui concerne l’Allemagne à l’étranger, ça j’y vais plus facilement pour faire ce genre de sujets-là. (...) Je trouvais que le sujet Afghanistan était intéressant. (...) Il y a tout un débat ici : « Est-ce que l’Allemagne est en guerre en Afghanistan ? » Avec toujours ces mêmes tabous politiciens. Ni le Ministre de la Défense, ni Merkel n’ont encore parlé de guerre. On parle toujours de « mission de stabilisation ». Et ça, c’est lié au passé. Les Allemands sont allergiques à tout engagement armé. C’est marrant de voir les soldats qui sont engagés dans ces missions en Afghanistan (...). Tous les jours, ils se font tirer dessus. Eux tuent des insurgés ou des talibans. Et ils perdent leurs camarades dans les combats plusieurs fois par an. Pour eux, c’est une évidence que l’Allemagne est en guerre en Afghanistan. C’est difficile de le voir si on reste à Berlin. Il faut y aller pour raconter à partir de récits et de témoignages. »194

Conclusion

L’idée avancée en 1991 de la constitution d’une capitale bicéphale, reposant sur deux pôles vivant en bonne intelligence dans le cadre d’une juste répartition du travail, s’est avérée impossible à mettre en place, ou du moins à faire perdurer. Pour l’administration, dont la localisation et l’organisation dépendent des décisions de l’Etat et du vote du Parlement, on constate évidemment le maintien de structures qui s’affranchissent de la distance. Néanmoins, le pouvoir, qui ne peut se planifier, qui est une donnée subjective, qui ne se compte pas en nombre d’emplois, n’est plus à Bonn. Comme le dit l’adage désormais souvent répété, « la musique se joue à Berlin », et ce, en particulier parce que la pratique de la politique demande des interactions permanentes, qui ne peuvent s’accomplir quand il y a de la distance. Les structures mises en place ne tiennent aujourd’hui que par l’existence de la loi Berlin/Bonn toujours en vigueur mais cette dernière n’empêche pas un glissement permanent, ce fameux « effet toboggan », des emplois et des responsabilités vers Berlin, qui a été mis en évidence dans l’administration mais plus encore dans la diplomatie et les médias. Ce constat sévère, qui ne doit pas faire oublier qu’un peu moins de la moitié des fonctionnaires des ministères vit et travaille toujours à Bonn, l’est encore plus pour tous les secteurs pour qui la proximité de l’Etat et du pouvoir est nécessaire mais dont les logiques de localisation ne peuvent être imposées par en haut. Dans le domaine de la diplomatie, le prisme d’une capitale bicéphale résultait d’une illusion d’optique, liée au manque de moyens pour beaucoup d’Etats de déplacer leur ambassade. Leur participation à une spécialisation de Bonn sur le secteur du développement et des partenariats nord-sud a été un échec. Enfin, dans le

193 Entretien réalisé à Berlin, le 6 juillet 2010

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domaine de la presse, l’idée d’une capitale double a été une illusion, puisque là encore, la proximité du pouvoir prévalait sur toute considération.

Le déménagement de la capitale allemande débouche cependant sur d’autres problématiques, en particulier celles liées aux conséquences économiques et sociales du déplacement du pouvoir pour le chef-lieu déchu comme pour le nouvel élu. La ville de Berlin dans les années 1990 se trouve dans cette situation ambivalente « entre le boom et la crise » (« zwischen Boom und Krise », BORST et KRÄTKE, 2000). Beaucoup attendent de l’agglomération qu’elle devienne ce fameux pont économique entre Europe de l’Ouest et Europe de l’Est et constatent dans le même temps la montée du chômage, la paupérisation de la population, l’endettement de la ville. La municipalité riposte en mettant en avant l’offre culturelle, qui coûte fort cher, et qui, malgré la très bonne image qu’elle procure, ne pallie pas aux grandes difficultés. Dans ce contexte, qu’apporte l’arrivée de la capitale ? En premier lieu, le statut de capitale, notamment au travers de la presse et de la médiatisation de l’action politique, permet une visibilité beaucoup plus grande à la ville de Berlin. Celle-ci, dans un contexte d’accélération très rapide des flux d’information, permet de développer un pôle centré sur les médias. Berlin n’est pas le pendant de Bonn, où l’on envoyait quelques correspondants mais au contraire un centre capable d’un certain tropisme pour des rédactions entières. Le travail de ces dernières rejaillit mécaniquement sur d’autres domaines proches comme l’édition195.

A Bonn, à l’inverse, le début des années 1990 respiraient le pessimisme malgré le fait que dans les premières années, le « lobby bonnois » comme beaucoup l’appellent, aient négocié des conditions très avantageuses dans le maintien d’instituions, avec l’attrait de prestigieuses institutions internationales et aussi des mesures de compensation très élevées pour une si petite ville (plus de 1000 euros par habitant si on intègre la population des deux Kreise limitrophes). Certes, les années 2000 semblent montrer les limites d’une capitale siégeant sur deux villes. Par contre, le dynamisme économique et la relative attractivité du bassin bonnois montre qu’il peut exister un effet post-capitale, c’est-à-dire une sorte d’inertie de la puissance passée qui donne la capacité de se reconvertir dans de très bonnes conditions. A la différence d’une ville industrielle qui perd son usine, l’exemple de Bonn montre que ce n’est pas le fait d’avoir une mono-activité qui rend vulnérable quand celle-ci part, mais la nature de cette fonction principale.

Enfin, cette remise en cause d’une fonction de capitale partagée déborde sur d’autres enseignements. La fonction politique ne répond pas aux mêmes logiques de localisation que l’industrie par exemple mais en revanche, son fonctionnement quotidien ne résiste pas aux sirènes des économies d’échelle et de la concentration, avec des difficultés à pallier le handicap de la distance. Par contre, l’Etat semble imperméable, pour des raisons politiciennes et des considérations sociales à la recherche à tout prix de l’efficacité et de la rentabilité.

195 L’éditeur Suhrkamp a quitté en 2010 son siège historique de Francfort où a pourtant lieu l’un des plus grands salons professionnels d’Europe dans l’industrie du livre pour Berlin.

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