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Découpage administratif de l’Allemagne par Gaue début 1940

De Bonn à Berlin : l’Allemagne déplace (encore) sa capitale

Carte 3 Découpage administratif de l’Allemagne par Gaue début 1940

Source : Extrait de Grosser Volksatlas (VELHAGEN et KLASINGS, 1940, p.16)

Cependant, c’est bien Berlin qui attire le plus l’attention des dirigeants nazis. L’objectif des aménagements d’Hitler sur la capitale du Reich est la mise en scène du pouvoir et en premier lieu dans le quartier gouvernemental. Le premier changement d’adresse d’une institution sous les nazis intervient un mois seulement après leur arrivée. Les parlementaires quittent le Reichstag après son incendie pour l’opéra Kroll situé juste en face. L’investissement de la capitale Berlin par le pouvoir est alors totalement théorisé et empreint d’idéologie. Il ne s’agit pas comme à l’époque de l’Empire de faire de Berlin une capitale et de lui permettre d’accueillir dans une période de forte croissance de nouvelles institutions. Au contraire, on cherche à refonder Berlin. La construction de la capitale du Reich, rebaptisée Germania, commence donc dans les années 1930 et s’accélère après la nomination d’Albert Speer comme Inspecteur général à la construction de la capitale du Reich (Generalbauinspektor für die Reichshauptstadt) en 1937.

Comme toute capitale d’Etat (voire dans ce cas d’Empire), la ville ne doit pas être uniquement le siège du pouvoir mais incarner l’image du pouvoir pour le pays et être l’expression de sa politique aux yeux du monde. Chez les nazis, la tâche prend une dimension incroyable. La ville devait grossir pour atteindre les 10 millions d’habitants. Germania (Berlin) s’organiserait entre deux axes longs chacun de plusieurs dizaines de kilomètres. L’un, est-ouest, devait suivre la Charlottenchaussee (l’actuelle Straße des 17. Juni) et Unter den Linden, et le second, dans le sens nord-sud, devait passer près de la Porte de Brandebourg de l’hôpital de la Charité jusqu’au-delà de l’aéroport de Tempelhof. L’idée était de joindre par cet axe une coupole de 280 m de haut à un arc de triomphe gigantesque. Près de la coupole, dans la Spreebogen devaient se tenir les principaux organes du gouvernement dont le Reichstag ne serait qu’un petit élément (STEINBACH, 1999 ; REICHHARDT & SCHWÄCHE, 2001). Le quartier gouvernemental devait s’installer le long de ce

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dernier axe, au niveau du carrefour (carte 4). Speer avait prévu des travaux terminés en 1950 (THAMER, 2000, p.215). Dans un premier temps, les travaux ont porté sur la transformation de bâtiments existant déjà en palais de très grande taille, avant l’édification de plans définitifs. Le Ministère de la Guerre est reconstruit et devient le Ministère de l’Air du Reich (Reichsluftfahrtministerium) en 193692. A deux pas, la Chancellerie du Reich (Reichskanzlei) est totalement reconstruite en un bâtiment gigantesque au cours de l’année 1939. De même, des ambassades nouvelles sont créées dans le quartier du Tiergarten en particulier celles de l’Italie et du Japon, les principaux alliés de l’Axe. Les constructions, et surtout les destructions en vue de futures constructions, se poursuivent jusqu’en 1942, soit assez tard dans la guerre. Cela en dit d’ailleurs long sur un régime qui porte alors ces efforts militaires sur deux fronts et qui dégage pourtant toujours des fonds pour de l’aménagement urbain.

Carte 4 - Schéma des projets urbains pour Germania et les zones de construction du quartier gouvernemental le long des axes ouest-est et nord-sud

Source : Extrait de Berlin. Die Hauptstadt. Vergangenheit und Zukunft einer europäischen Metropole (SÜSS, W. et R. RYTLEWSKI (dir.), 1999, p.154)

C’est surtout dans le domaine du symbole que les nazis ont investi leur capitale. Le nazisme, comme le fascisme mussolinien avant lui, ou la Russie soviétique, a beaucoup utilisé l’espace public dans sa communication politique. « Die Ästhetisierung von Politik war nicht nur politisches Stilmittel des Nationalsozialismus; sie gehörte zu dem Instrumentarium, das den

92 Il s’agit aujourd’hui de l’actuel Ministère fédéral des Finances. On notera la proximité à l’époque entre cette institution dirigée par Hermann Göring, et les Parlements prussiens, également dirigés par Göring.

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politischen Massenmarkt der Moderne überhaupt auszeichnet »93 (THAMER, 2000, p.215) 94. Cela est passé par un nombre très important de parades militaires, sur Unter den Linden et sous la Porte de Brandebourg. D’ailleurs, cette dernière a longtemps été, avant la joyeuse nuit du 9 novembre 1989, marquée au fer rouge par ces défilés nazis (SEIBT, 2007). De même, c’est à Berlin que le 10 mai 1933, a eu lieu le premier incendie public de livres. Les grands événements durant cette période comme les Jeux Olympiques de 1936 ou la visite d’Etat de Benito Mussolini en Allemagne en 1937 y ont massivement investi l’espace public.

3. Bonn capitale (1949-1999)

Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, la ville de Berlin a perdu près de 1,6 million d’habitants sur les 4,4 millions qu’elle comptait en 1939, du fait des déportations et de la répression, des victimes des bombardements et des combats de rue ou surtout de tous ceux qui ont trouvé refuge dans les campagnes. Contrairement à une idée reçue, la ville n’a pas été totalement détruite, et même plutôt moins, en pourcentage de bâtiments en ruines que d’autres villes allemandes comme Cologne ou Hambourg. Ce n’est pas cette dernière considération qui interdit à Berlin tout retour au statut de capitale, ni même l’image répulsive que lui avait imposé douze ans de nazisme.

Le problème principal est que Berlin se trouve dans une position géostratégique de plus en plus difficile au fil de la fin des années 1940 et au début des années 1950. La ville est divisée en quatre secteurs qui ne deviennent sur le plan politique très vite deux, qui voient leurs divergences s’accentuer jusqu’à une confrontation réelle. La position de Berlin comme lieu cristallisant une Guerre Froide naissante entre Etats-Unis et URSS rend très vite impossible le retour au statut de capitale d’Allemagne de l’Ouest. Et là encore, comme dans les années 1870, l’aménagement de Berlin dépend très directement des forces en place à une échelle bien plus petite. Là, il ne s’agit plus d’un chevauchement Prusse/Reich en Europe comme dans les quartiers centraux mais d’un continent et d’une ville qui en même temps, se coupent en deux.

3.1. Le choix du « Provisorium » Bonn

Peu d’auteurs ont abordé le sujet de la question de la capitale entre 1945 et 1949 (GLOTZ,

2000 par exemple, traduit dans RIQUET, 2002) et la plupart n’en font qu’un argument introductif à des développements portant sur la question de la capitale de 1991. Surtout, ils se réfèrent presque exclusivement à une même source, à savoir l’ouvrage de l’historien Reiner Pommerin (POMMERIN,

1989). Sauf mention contraire, c’est sur cet auteur que nous nous appuierons. Le hasard a rendu la publication contemporaine de la Chute du Mur et des débats sur le retour de la capitale à Berlin.

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« L’esthétisation de la politique n’était pas seulement le style politique du national-socialisme ; elle était l’instrument par lequel se dessinait en premier lieu la politique moderne à destination des masses »

94 L’esthétisation de la politique est un concept développé par le philosophe Walter Benjamin (1892-1940) dans ses réflexions sur l’art. Il y voyait le signe de la subordination de l’art à l’utilisation massive de la technique par les régimes fascistes.

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Dès l’année 1947, alors que les discussions entre les quatre puissances occupant l’Allemagne s’éternisent, il devient évident que Berlin ne pourra pas garder les institutions d’un futur Etat ouest-allemand. La tension est trop vive, et d’ailleurs, l’URSS finit par isoler totalement Berlin-Ouest pendant onze mois entre 1948 et 1949 avec le fameux « blocus de Berlin ». Sous la pression des Alliés, les Allemands de l’Ouest déménagent les directions générales de l’administration. La direction de l’économie arrive à Minden, celle de l’agriculture à Stuttgart, celle des transports à Bielefeld.

En vue de la création de la future République Fédérale, les armées alliées découpent leurs zones respectives en Länder et organisent dans chacun d’eux des élections pour désigner de futurs représentants dans une Assemblée constituante (Verfassungsgebende Versammlung). A partir de juillet 1948, la question du siège de cette nouvelle institution se pose. Karlsruhe est la première ville à se porter candidate, d’abord pour accueillir une conférence des ministres-présidents des

Länder, puis pour l’Assemblée constituante, arguant une légitimité historique un peu artificielle

(la ville a été une des premières à mettre en place un parlement en 1848). D’autres municipalités posent également des candidatures comme Coblence, qui avait vu la charge de capitale de Rhénanie-Palatinat lui échapper au profit de Mayence. Stuttgart et Celle présentent aussi une candidature. Pour la dernière, l’argument portait sur la volonté de créer une capitale totalement neuve, presque ex nihilo. Francfort s’est aussi proposé avec, à ce moment-là, beaucoup d’arguments comme une position centrale et des fonctions de commandement assez importantes du fait de la présence des Américains. Enfin, Bonn ferme la marche des candidates sans avoir pris au départ l’initiative de se proposer. En effet, à peine créé, le Land de Rhénanie du Nord Westphalie souhaite ne pas être laissé de côté et cherche à suggérer un lieu. Tour à tour, Düsseldorf et Cologne, détruites à plus de 80% (HÄNSGEN, LENTZ et TZSCHASCHEL, 2010, p.112), refusent mais Bonn, avec le soutien des villes d’eaux voisines de Bad Godesberg et de Königswinter, accepte de porter une candidature (carte 5). La ville se trouve en secteur britannique mais à la limite avec le secteur français et à moins de 100 km du secteur américain. Et surtout, la ville a une capacité d’hébergement en salles et en chambres suffisante95. Ce dernier argument de la capacité d’accueil a été un des plus déterminants et Bonn sera finalement choisie lors d’une consultation téléphonique des ministres-présidents de tous les Länder en août 194896.

Cependant, ce n’était qu’une étape. Une des tâches de l’Assemblée constituante réunie à la

Pädagogische Akademie de Bonn à partir de septembre 1948, est de trouver un siège provisoire

pour les institutions issues de leurs travaux. 4 villes cherchent à accueillir la charge de capitale : Kassel, Stuttgart, Bonn et Francfort. Cependant, très vite, la lutte politique porte exclusivement sur les deux dernières. Ni Kassel, ni Stuttgart ne parvenaient à rassembler derrière elles les appuis suffisants.

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Bonn opposait par exemple plus de 500 chambres disponibles dans ses hôtels contre seulement 47 à Karlsruhe (Pommerin, p.74) !

96 Seuls 3 Länder ne votent pas pour Bonn : la Basse-Saxe choisit Celle, le Württemberg-Baden et le Württemberg-Hohenzollern choisissent Karlsruhe. La Sarre et Berlin-Ouest encore non constitués comme

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Aux logiques géopolitiques liées à la question allemande (les tensions de plus en plus visibles entre Occidentaux et URSS) et aux raisons imposées par les difficultés du moment (la destruction des infrastructures et des villes notamment), commence à s’ajouter la lutte politique intérieure proprement dite. La légende colportée sur le choix de Bonn consiste à rappeler que le premier chancelier fédéral, Konrad Adenauer en était originaire. La réalité a été beaucoup plus complexe. La première divergence tient au rôle à donner à la nouvelle capitale. Pour le parti social-démocrate (SPD) reconstitué, le caractère provisoire du siège des institutions doit être primordial car le dialogue doit se maintenir avec les territoires orientaux (eux-mêmes dans une phase de construction : la soviétisation du régime est alors en marche mais pas encore achevée), prélude à une réunification rapide et un retour naturel des institutions à Berlin. Carlo Schmid, figure du SPD, propose même une ville de préfabriqués (Barackenstadt) installée près de la frontière est-allemande. A l’inverse, la toute jeune union chrétienne-démocrate (CDU) conduite par Konrad Adenauer met l’accent sur l’effort de rapprochement avec les puissances occidentales occupantes97. Cet avis penche pour une capitale plus ferme et éloignée de la frontière est-allemande. C’est ainsi tout naturellement qu’Adenauer se range aux côtés de Bonn comme une majorité de la CDU face à Kurt Schumacher, défenseur de Francfort. Quelques exceptions viennent changer ce schéma. La CSU bavaroise, alliée d’Adenauer, rejoint le camp de Francfort. Le rôle des Alliés en sous-main est aussi très important. Les Britanniques soutiennent franchement Bonn qui se trouve dans leur zone d’occupation98. Francfort, en revanche, avait une position stratégique pour les Américains qui en avaient fait leur quartier général et leur principale base de ravitaillement de Berlin-Ouest durant le blocus. En dernier lieu, la capacité à héberger de manière plus durable encore les institutions que dans le cas d’une assemblée constituante était un élément encore très important, même pour une capitale provisoire. Outre le Parlement, la ville devait accueillir le chancelier et le président fédéral, des ministères, les Représentations des

Länder, quelques ambassades et les Représentations des gouvernements militaires des occupants.

Les Américains, qui soutenaient la candidature de Francfort, ont invoqué les capacités d’accueil de la ville thermale de Bad Homburg par exemple. Mais dans ce domaine, la région de Bonn, beaucoup moins endommagée avait un avantage. Outre le centre-ville détruit, les quartiers périphériques de la ville et les communes de Königswinter et Bad Godesberg étaient intacts, tout comme les réseaux d’eau, d’électricité et de téléphone.

Le maire de Berlin-Ouest, Ernst Reuter, défend aussi une décision en faveur de Bonn, qui incarne bien mieux que Francfort ce rôle de capitale provisoire. Le manque de légitimité invoqué

97 Parallèlement, la CDU s’enthousiasme sur le plan politique pour un rapprochement avec les Etats-Unis. La fin des années 1940 marque également les bases de nouveaux rapports de force militaires et économiques en Europe de l’Ouest, notamment après la mise en place du plan Marshall (qui contribue à la réindustrialisation rapide de la RFA). Ce parti est également bien disposé par rapport au Traité de Bruxelles de 1948 prélude à la mise en place de l’Union de l’Europe Occidentale et à celle de l’OTAN, à laquelle la République Fédérale adhérera en 1955.

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Selon Marcel Delvaux, correspondant de 1953 à 1995 pour des médias belges, le Royaume-Uni promet même une démilitarisation de la capitale, effort d’autant plus facile que l’administration militaire de Bonn est alors déléguée à l’armée belge. Le général Piron, en poste à Bonn, dans le palais Schaumburg, le futur palais présidentiel, aurait même refusé la demande des Britanniques et refusé de partir, d’où un incident diplomatique entre le Royaume-Uni, la Belgique et l’Allemagne de l’Ouest.

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pour Bonn semble permettre à Berlin, de redevenir beaucoup plus facilement la vraie capitale de l’Allemagne, une fois les conditions géopolitiques éclaircies.

Le 10 mai 1949, 13 jours avant la proclamation de la Loi Fondamentale et donc l’avènement de la République Fédérale d’Allemagne, l’Assemblée constituante choisit après un vote très serré, par 33 voix contre 29, la ville de Bonn comme capitale fédérale provisoire.