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Une fracture du vote non traditionnelle

Carte 8 à 11 - Visualisation spatiale des hypothèses de travail concernant les logiques du vote

3.2. Une fracture du vote non traditionnelle

3.2.1. La dimension biographique du vote

Le réflexe spontané lors de l’analyse d’un vote parlementaire est d’essayer de comprendre les rapports de force politiques et d’observer les alliances qui ont pu mener à la constitution d’une majorité. Dans le cas du débat sur la capitale de 1991, une telle lecture est à l’évidence incomplète (tableau 7).

Tableau 7 – Pourcentage de votes en faveur de la motion pro-Berlin selon les partis politiques

Partis Pourcentage de votes

pour Berlin CDU/CSU 49 SPD 47 FDP 67 PDS/Linke Liste 94 Grüne/Bündnis90 75

Alliances politiques traditionnelles

Coalition (CDU/CSU + FDP) 52 Opposition (SPD + PDS + Grüne) 51

La préparation du débat avait fait transparaître des divergences à l’intérieur même des partis et des convergences entre des camps improbables où, par exemple, une grande part de la CDU vote comme l’extrême-gauche mais contre la majorité des députés CSU. Le décompte du vote vient confirmer cette tendance. Si elles avaient voté seules, la coalition comme l’opposition auraient fait basculer le vote en faveur de Berlin et donc ce qui divisait le Bundestag pour n’importe quelle autre loi n’opère pas ici. De même, la CDU/CSU et le SPD apparaissent extrêmement divisés en leur sein alors que les partis plus modestes en nombre d’élus ont voté de manière plus unanime. Cette distinction dans la structure du vote entre petits et grands partis appuie cette première distinction déjà évoquée entre élus sur circonscription et élus sur liste et accrédite la thèse que si le Bundestag avait été élu avec un scrutin strictement majoritaire comme en France ou au Royaume-Uni, c’est un maintien des institutions à Bonn qui aurait été décidé. En tous les cas, l’extrême division des grands partis nous pousse à chercher vers d’autres types de critères les lignes de fracture entre les pro-Bonn et les pro-Berlin.

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La génération n’apparait pas non plus comme extrêmement discriminante à première vue (tableau 8).

Tableau 8 – Pourcentage de votes en faveur de la motion pro-Berlin selon l’année de naissance des députés

Génération Pourcentage de votes

pour Berlin

Nés avant 1933 49

Nés durant le début de la période nazie (1933-1938) 54 Nés durant la Seconde Guerre Mondiale (1939-1945) 48 Nés après la guerre (après 1945) 53

En moyenne, les députés pro-Bonn n’ont que 8 mois de plus que les députés pro-Berlin, et les députés et députées ont voté dans les mêmes proportions pour l’une et l’autre ville. L’idée que les plus anciens, qui auraient connu de leur vivant une Allemagne avec un centre unique à Berlin, seraient plus enclins à déplacer le pouvoir ne tient pas. Cela est en lien avec l’ambivalence des représentations portées sur Berlin, à la fois symbole d’unité et mauvais souvenir de pouvoirs totalitaires. L’idée inverse, que les plus jeunes, élevés (surtout à l’Ouest) avec l’image d’une Allemagne pacifique, intégrée à la construction européenne et aux circuits économiques rhénans préféreraient Bonn n’est pas non plus valide. Ou alors, l’image de jeunes élus prompts au changement et de plus âgés, plus conservateurs, cherchant à rester enracinés en terre rhénane, ne constitue pas plus une grille de lecture crédible.

Le débat entre Bonn et Berlin n’est à l’évidence pas un débat générationnel, entre ceux qui par exemple auraient subi le nazisme et la guerre et les autres. Des essais avec des discrétisations différentes (notamment en classes d’étendues égales) ont donné des résultats similaires, situés entre 46 et 54% en faveur de l’une ou l’autre ville.

En ce qui concerne la religion, en revanche, les lignes de clivage sont à l’évidence plus nettes (tableau 9).

Tableau 9 – Pourcentage de votes en faveur de la motion pro-Berlin selon leur religion

Religion Pourcentage de votes

pour Berlin (tous)

Pourcentage de votes pour Berlin (mandats sur circonscriptions)

Catholiques 30 29

Protestants 63 62

Religion non déclarée ou non connue 52 55

L’appartenance religieuse semble être une ligne de partage plus évidente entre les deux camps même si celle-ci n’a été reconstituée pour les 313 députés qui ont déclaré leur confession sur leur notice biographique. 70,8 % des députés catholiques ont voté pour Bonn et 62,3% des protestants ont voté pour Berlin. Une étude citée à l’époque (WENGST, 1991 cité par MENUDIER,

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1991, p.20) comprend une liste plus complète de députés. Elle constate également cet écart entre catholiques et protestants. 67% des premiers votent pour Bonn et 64% des seconds pour Berlin. Cette donnée est particulièrement frappante pour des régions comme la Saxe, proche de Berlin et anciennement en RDA mais catholique et qui vote pour Berlin modérément, surtout pour les élus sur circonscription. Même schéma avec le Bade-Wurtemberg à l’ouest, proche de Bonn mais avec une population protestante plus nombreuse que dans les régions environnantes.

3.2.2. La dimension spatiale du vote

Quelle place prennent les éléments spatiaux dans ce vote ? Voit-on émerger une géographie du vote Berlin/Bonn ?

La première hypothèse dans le traitement de notre vote serait d’y lire une permanence de la frontière inter-allemande dans le vote pour Bonn et Berlin (tableau 10).

Tableau 10 – Pourcentage de votes en faveur de la motion pro-Berlin selon le Land d’appartenance des députés

Distinction Est/Ouest Pourcentage de

votes pour Berlin

Anciens Länder 44

Nouveaux Länder 79

La carte des votes, établie à l’échelle des Länder pour pouvoir tenir compte des élus sur circonscription et sur liste régionale, a permis de balayer l’hypothèse d’un strict partage des voix entre l’ex-RDA et le reste de l’Allemagne. Bien sûr, l’argument de l’appartenance Est/Ouest joue mais la part du camp berlinois à l’Est et celle du camp bonnois à l’Ouest ne sont pas écrasantes. Le rapport de force démographique aurait de toute façon été favorable à Bonn. La ville ne recueille que 55% des voix en ex-RFA et Berlin que 76% en ex-RDA (Berlin non compris). De toute manière, les élus des nouveaux Länder ne représentent qu’à peine 20% de l’ensemble des membres du Bundestag si on retranche Berlin et 23% avec. Même s’ils avaient voté tous, sans exception, pour Berlin, le déplacement de la capitale n’aurait jamais pu être décidé sans des voix de députés d’anciens Länder. Autrement dit, la clé de lecture ne peut se réduire à un débat entre Allemands de l’Est et Allemands de l’Ouest, même si elle peut s’avérer structurante.

L’hypothèse suivante accrédite l’idée que le vote dépend de la nature de l’espace depuis lequel l’élu vient, et en particulier, si cet espace est rural, périurbain ou urbain (tableau 11).

Plus l’espace peut se décrire comme urbain, moins les élus qui y sont choisis ont tendance à voter pour Berlin. Là, encore, l’hypothèse d’un vote rural plus conservateur, qui serait favorable à Bonn, est totalement invalidée. Cependant, ce type de typologie ne semble pas pour autant structurer une rupture nette entre les deux camps. Il ne peut pas expliquer le vote à lui tout seul.

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Tableau 11 – Pourcentage de votes en faveur de la motion pro-Berlin selon la nature de l’espace des circonscriptions représentées

Morphologie de la circonscription Pourcentage de votes pour Berlin

Espace urbain 44

Espace périurbain 50

Espace rural 62

La dernière hypothèse suggère que le vote n’aurait pas eu lieu en fonction de découpages territoriaux, mais selon la distance relative à l’une ou l’autre ville. Autrement dit, les élus voteraient en fonction de la ville dont ils sont les plus proches (tableau 12).

Tableau 12 – Pourcentage de votes en faveur de la motion pro-Berlin selon la distance des circonscriptions à Bonn et à Berlin

Distance à Bonn et à Berlin126 Pourcentage de votes pour Berlin

Proche de Bonn 27

Régions intermediaries 49

Proche de Berlin 86

L’écart entre les catégories proposées est très important. L’effet de proximité semble ici beaucoup plus fort qu’avec d’autres critères. Si on se contente d’une analyse univariée telle que celle-ci, c’est la plus structurante parmi les arguments de nature spatiale.

On peut faire l’hypothèse légitime que la proximité peut recouper ou du moins aider à l’explication d’autres caractères. Par exemple, elle recoupe en partie la division Est-Ouest dans la mesure où les régions proches de Bonn et celles proches de Berlin ont une très forte probabilité de se trouver respectivement dans des anciens ou des nouveaux Länder. De même, de nombreux

Kreise se situent dans l’est de l’Allemagne alors que la vallée rhénane est en majorité urbaine. La

tendance à choisir l’une ou l’autre capitale peut donc, pour un même Kreis s’expliquer de différentes manières. C’est pourquoi une analyse multivariée s’avère nécessaire.

126 La distance retenue ici est une mesure accessibilité (exprimée en minutes par la route) entre la circonscription, Berlin et Bonn comme présentée précédemment. Ici, les trois classes retenues ici découpent la distribution en classes d’amplitude égale.

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