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La répartition des ministères entre Bonn et Berlin

: une capitale née le 20 juin 1991

1. La redistribution spatiale de l’administration fédérale

1.1. Bonn, gagnant du partage des institutions

1.1.2. La répartition des ministères entre Bonn et Berlin

Michael Deres nous a reçu début 2010 dans son bureau du Ministère fédéral des Transports, de la Construction et de l’Urbanisme (Bundesministerium für Verkehr, Bau- und

Stadtentwicklung ou BMVBS151) à Bonn. La pièce est située au 5e étage et les fenêtres donnent sur deux côtés offrant une très belle vue panoramique. Avant de commencer à répondre à notre enquête, il tient à nous présenter le paysage. Vers l’est, on devine la dépression du Rhin derrière

149 Selon les calculs de Von Einem (VON EINEM, 1991) cité par Hartmut HÄUSSERMANN et Andreas KAPPHAN, la ville de Berlin et son agglomération débordant sur le Brandebourg devait atteindre 5,9 millions en 2010 (HAÜSSERMANN et KAPPHAN, 2000, p.192) alors que dans les faits la population n’a fait que stagner. Voir également à ce sujet, CARROUE, 1993.

150 Ainsi, malgré des taux de chômage qui augmentent rapidement dans les années 1990, la somme reçue par la ville de l’Etat et des systèmes de péréquation entre Länder passe de 14,5 milliards de marks en 1991 à 5,5 en 1994. La part de ces recettes dans le budget de la ville passe donc de 53% en 1990 à 19% en 1995 avant de se stabiliser dans les années suivantes autour de 25% (REIMERS et ROLFINK, in BIEDENKOPF, p.33-37).

151 Avant 2009, l’institution s’appelle Bundesministerium für Verkehr, Bau- und Wohnungswesen et c’est pourquoi dans la suite du texte, l’abréviation BMVBW peut être également utilisée pour désigner ce même ministère.

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les arbres du parc de la Rheinaue. Plus loin, sur l’autre rive, se dessine l’extrémité boisée des Siebengebirge. De l’autre côté, les deux immeubles du Langer Eugen et de la Post Tower dominent. Au premier plan, un peu vers la gauche se trouve la Robert-Schuman-Platz. M. Deres donne un nom aux bâtiments que nous dominons légèrement. En face, se trouve le Ministère Fédéral de l’Environnement, un des six ministères (avec celui depuis lequel nous regardons) restés principalement à Bonn. Derrière, la Post Tower, inaugurée en 2003, dont le verre reflète le bleu éclatant du ciel est le plus grand immeuble de bureaux d’Allemagne hors de Francfort. Elle abrite le siège de la Deutsche Post AG, partie privatisée du Ministère des Postes et des Télécommunications qui se situait également non loin. Devant, le bâtiment abrite l’Institut fédéral pour la formation professionnelle (Bundesamt für Berufsbildung) déménagé de Berlin à Bonn alors que celui complètement à gauche de notre paysage, à l’entrée de la place, le service fédéral des équipements ferroviaires (Bundeseisenbahndienst), est arrivé de la région de Francfort.

Ce panorama montre toute la complexité des changements dans la géographie des administrations en Allemagne et en particulier concernant la position de Bonn. Si la ville renferme tant d’institutions de niveau fédéral, aussi importantes que des ministères, cela tient à un paragraphe de la motion votée en 1991. Celui-ci stipulait qu’entre Bonn et Berlin doit être établie une juste répartition du travail d’administration du pays152. Le terme de « juste » (fair) ne renvoie pas à l’égalité devant la loi mais plus à l’équité établie lorsqu’une personne souffrant de handicap obtient un tiers-temps pour passer un examen ou un concours. L’ambiguïté se situe entre ce qui est considéré comme légal et ce qui est vu comme légitime.

Les conditions du déménagement et donc également de la part des institutions laissée à Bonn sont validées dans les grandes lignes le 11 décembre 1991 et dans les détails par une loi budgétaire, nommée « loi Berlin/Bonn » (Berlin/Bonn Gesetz), adoptée le 26 avril 1994, qui fixe à 20 milliards de marks le coût de l’opération pour l’Etat (BGBl, 1994). La ville est déclarée « ville fédérale » (Bundesstadt), titre qui n’existait pas en Allemagne et qui désigne désormais une commune non capitale mais centre de l’administration153. En ce qui concerne les ministères fédéraux, il a été très vite décidé que tous laisseraient une partie de leur personnel à Bonn tout en étant tous au moins représentés par un cabinet à Berlin. C’est la part du personnel présent dans l’une et l’autre ville qui varie. Dans un cas, le siège principal sera installé à Berlin avec une antenne à Bonn. Dans d’autres, ce sera l’inverse. En règle générale, d’après M. Deres154, les ministères sont restés assez libres de leur choix de localisation et de leur investissement respectif à Berlin en termes de personnel (tableau 17).

152 Le texte exact est le suivant : « Zwischen Bonn und Berlin soll eine faire Arbeitsteilung vereinbart werden, so daß Bonn auch nach dem Umzug des Parlaments nach Berlin Verwaltungszentrum der Bundesrepublik Deutschland bleibt, indem insbesondere die Bereiche in den Ministerien und die Teile der Regierung, die primär verwaltenden Charakter haben, ihren Sitz in Bonn behalten; dadurch bleibt die größte Teil der Arbeitsplätze in Bonn erhalten. » « Entre Bonn et Berlin doit être mise en place une juste répartition du travail, par laquelle Bonn doit rester, également après le déménagement du Parlement à Berlin, centre de l’administration de la République Fédérale d’Allemagne. Des ministères notamment dans des domaines de premier ordre dans le gouvernement doivent garder un siège à Bonn, de manière à ce qu’une majorité des emplois soient laissés à Bonn. » (DEUTSCHER BUNDESTAG, 1991f, 12/815, §4)

153 Le terme vient de la capitale suisse, Berne, où il a un sens différent, celui de lieu d’assemblée des représentants des cantons.

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Tableau 17 – Répartition du personnel dans les ministères fédéraux (hors personnel politique) entre Bonn et Berlin approuvée par le Bundestag le 11 décembre 1991

Institution Emplois déplacés

à Berlin

Emplois

maintenus à Bonn

Part des emplois maintenus à Bonn (%)

Chancellerie 409 110 21

Ministères fédéraux :

Affaires Etrangères 1583 328 17

Equipement, Urbanisme et Construction 395 100 20

Justice 562 145 21

Economie 1113 500 31

Finances 1202 740 38

Intérieur 868 529 38

Femmes et Jeunesse ; Famille et Personnes Agées 220 230 51

Transports 282 880 76

Travail et Affaires Sociales 120 889 88

Postes et Télécommunication 0 413 100 Education et Science 0 472 100 Santé 0 473 100 Coopération Economique 0 567 100 Recherche et Technologie 0 665 100 Environnement 0 688 100

Alimentation, Agriculture, Forêts 0 993 100

Défense 0 5011 100

Autres :

Agence d’information du Gouvernement 496 200 29

Total : 7260 13933 65

Source : Drucksache 12/1832 (DEUTSCHER BUNDESTAG, 1991h, p.34)

65% des employés des ministères fédéraux devaient donc rester à Bonn. La « répartition juste du travail » semblait au départ très favorable à la partie rhénane. Ce pourcentage reflète une réticence assez profonde parmi le personnel des ministères comme chez beaucoup de décideurs, au gouvernement comme au Bundestag à partir à Berlin. Cette répartition des postes entre les deux villes entérine une séparation entre Berlin comme lieu d’exercice de la politique et Bonn comme centre administratif.

La liste des ministères fédéraux restés principalement à Bonn ne tient pas au hasard. Les ministères régaliens qui nécessitent une très grande proximité quotidienne avec l’exécutif sont partis à Berlin. Il s’agit en particulier des Affaires Etrangères, de l’Intérieur, des Finances, de l’Economie. A l’inverse, 8 ministères n’envoient au bord de la Spree que le ministre et son cabinet mais aucun bureau. Même si ces institutions rassemblent un personnel nombreux, elles ont un rôle plus secondaire dans le gouvernement. Les Postes et Télécommunications sont en passe d’être privatisées et donnent naissance dans les années 1990 aux deux multinationales Deutsche Post et Deutsche Telekom. Le portefeuille de la Défense est un autre exemple. L’armée allemande n’était

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engagée dans aucun conflit international en 1991 et était même sous la tutelle tacite dans ce domaine des quatre occupants d’après-guerre. C’est pourquoi le Ministère de la Défense n’a pas la même importance que le Pentagone aux Etats-Unis par exemple même s’il compte le personnel le plus nombreux par ailleurs. De même, le ministère en charge de l’éducation est beaucoup moins important que l’institution homologue en France, car ce domaine est très largement délégué aux

Länder. Le ministère fédéral n’est qu’un organe de coordination des politiques régionales.

En ce qui concerne l’agriculture et l’environnement, la décision de ne pas aller à Berlin a été motivée par la position de Bonn, et en particulier son accessibilité à Bruxelles. En effet, il s’agit de deux domaines pour lesquels l’UE joue un très grand rôle dans les prises de décision. La formation d’une capitale bis à Bonn se justifiait par une position de plate-forme entre un centre de l’exécutif national (Berlin) et l’UE comme institution et comme instance à qui est déléguée une part de souveraineté.