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Un jeu d’échelles induit par le débat

Carte 8 à 11 - Visualisation spatiale des hypothèses de travail concernant les logiques du vote

4. L’analyse des discours

4.3. Un jeu d’échelles induit par le débat

Le choix d’une capitale charnière s’efforce également de surmonter les rivalités régionales anciennes qui se manifestent sous forme de prétérition, qu’il s’agisse des rivalités entre Allemagne rhénane et Allemagne prussienne, entre nord et sud, ou entre ex-RFA et ex-RDA. Chaque candidate est en effet perçue comme le symbole de la région environnante, tout particulièrement soumise aux effets de l’arrivée, de la conservation ou de la perte des fonctions de capitale. Pour le député CDU/CSU et Ministre de l’Intérieur Wolfgang Schäuble, « Es geht auch nicht um (...) Regionalpolitik »138. Pour le maire de Berlin Eberhard Diepgen, « regionalpolitische Sorgen, so ernst man sie nehmen muss, können letztlich nicht entscheidend sein »139.

La logique de capitale charnière prend également sens à l’échelle européenne. L’ancrage à Bonn constitue un héritage des débuts de la construction européenne, centrée sur le couple franco-allemand, tandis que le choix de Berlin, à proximité de la frontière polonaise, parie sur son rôle de tête de pont en direction de l’Europe de l’Est. La localisation géographique, que ce soit à trois heures de route de Bruxelles ou à 80 kilomètres de la Pologne, est utilisée comme caution pour un

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« la seule ville est-ouest que nous ayons à offrir» (ibid., p. 2744).

137 « die Ostverschiebung Deutschlands » (ibid., p. 2810).

138 « Il ne s’agit pas (...) de politique régionale » (ibid., p. 2746).

139 « les soucis de politique régionale, si sérieusement qu’ils doivent être considérés, ne peuvent finalement pas être décisifs » (ibid., p. 2766)

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projet de politique européenne de l’Allemagne : faire perdurer des liens privilégiés avec les capitales des Etats ouest-européens, ou anticiper une translation du centre de gravité politique et économique du continent vers l’Est. Pour l’ancien Chancelier Willy Brandt, « Deutschland bleibt nicht der Osten vom Westen, sondern es wird zu neuem Mitte Europas »140. Eberhard Diepgen va jusqu’à interpréter la situation de Berlin comme prédestinée. Le député SPD Wolfgang Roth explique : « für mich als Wirtschaftspolitiker gibt es keinen Zweifel, dass Berlin wirtschaftlich, als Dienstleistungsmetropole zwischen Ost und West das Zentrum dieses neuen Europas, zusammen mit London, Paris und anderen Großstädten, wird »141. La question de la construction européenne s’invite ainsi dans le débat allemand, comme en 1949, la question de la proximité politique avec les futurs fondateurs de la CEE s’était posée.

Le modèle métropolitain monocentrique est soutenu par certains partisans de Berlin, qui soulignent les avantages d’une capitale qui soit au moins potentiellement une ville mondiale, dotée d’un « weltoffenes Leben »142 selon l’expression du député CDU/CSU Oscar Schneider. A contrario, les partisans de Bonn défendent implicitement, contre le modèle monocentrique de la France ou de l’Angleterre, le modèle allemand de polycentrisme fondé sur des métropoles de taille moyenne. Selon Paul Laufs, « Die Wachstumsträger der Zukunft werden mittelgrosse Städte sein, die unbelastete Spielräume anbieten können und eine ausgebaute Infrastruktur bis hin zur Universität besitzen »143. Un souci aigu de la préservation du polycentrisme allemand se manifeste dans les actes parlementaires. Le partage des fonctions à l’échelle fédérale entre Berlin, capitale culturelle, Bonn, siège politique, Francfort, capitale financière, Munich, puissante ville industrielle, Hambourg, grand port, Cologne, Düsseldorf, et Stuttgart est défendu au nom de l’équilibre territorial comme au nom de l’efficacité économique nationale et internationale.

Le choix du cumul ou de la disjonction des fonctions centrales dans la capitale fait toutefois débat, au point de susciter des comparaisons internationales. Tandis que Wilfried Böhm signale que 155 Etats sur 160 dans le monde font siéger Parlement et gouvernement dans la capitale, les partisans de Bonn s’appuient sur deux modèles de capitales fédérales faibles : Washington et Ottawa. Alors que le partisan de Berlin Eckart Kuhlwein mobilise le cas de la Bavière, exemple de cumul réussi entre fonctions de capitale et fonctions métropolitaines à une autre échelle, Wolfgang Roth vante le dynamisme des capitales économiques : « Es gibt viele grandiose Metropolen in der Welt, die mit Regierung und Parlament überhaupt nichts zu tun haben »144.

La question du polycentrisme s’articule donc à la question du fédéralisme. Le débat est traversé par le dilemme entre capitale forte et capitale faible. Opposer Bonn et Berlin, c’est non

140 « L’Allemagne ne reste pas l’Est de l’Ouest, mais devient le nouveau centre de l’Europe » (ibid., p. 2750).

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« tant que politicien spécialisé dans les questions économiques, cela ne fait aucun doute : Berlin sur le plan économique deviendra une métropole des services entre l’Est et l’Ouest, au centre de cette nouvelle Europe, au même titre que Londres et Paris et d’autres grandes villes » (ibid., p. 2812).

142 « vie ouverte sur le monde », selon la formule du député CDU/CSU de Nüremberg Oscar Schneider (ibid., p. 2782).

143 « Les porteurs de croissance du futur seront les villes moyennes, qui peuvent offrir des espaces de loisirs non pollués et qui possèdent une infrastructure développée jusqu’à l’Université » (ibid., p. 2770).

144 « Il y a beaucoup de métropoles grandioses dans le monde qui n’ont rien à voir avec le gouvernement et le Parlement » (ibid., p. 2812)

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seulement opposer deux villes, deux mémoires, deux représentations, mais aussi deux modèles de capitale. Les partisans de Bonn soulignent la neutralité d’une ville de petite taille adaptée à la gestion d’une fédération, qu’ils défendent dans le cadre de l’Europe où les régions jouent un rôle très important. Ils montrent au contraire en Berlin une ville qui aurait la taille critique pour être à la tête de toutes les formes de pouvoir sur le territoire et donc capable de remettre en cause le fédéralisme, fondement de la construction politique allemande. Le député SPD Peter Glotz résume l’opinion de nombreux de ses collègues : « Berlin ist schon jetzt eine wunderbare Stadt. Wenn auch noch die Entscheidungen und das Zeremoniell der Demokratie von Berlin ausgehen, dann wird die Bedeutung der Landeshaupstädte heruntergedrückt »145. La crainte des problèmes urbains de gestion de la croissance, problèmes urbanistiques, politiques et même environnementaux est assortie d’un refus du retour à la centralisation.

L’idéologie anti-urbaine récurrente est également utilisée contre Berlin, - par exemple Norbert Blüm considère que « Das schöne Berlin (...) ist groß genug. Das Maximum ist nicht das Optimum »146 - dont la puissance est plus fantasmée que réelle. Le poids métropolitain de Berlin qui compte 3 465 000 habitants en 1992 se trouve quasi systématiquement surévalué, comme en témoignent les comparaisons à Londres et à Paris, et les prévisions de croissance démographique rapportées à plusieurs reprises. Cette surévaluation découle de la forte opposition qui se manifeste envers une « mégaville », une « ville mondiale » voire une « capitale dominante »147 potentielle. On notera à nouveau l’importance des réminiscences historiques : la grande ville centralisatrice est implicitement associée en Allemagne au régime nazi ou dans une moindre mesure à l’Empire, tandis que la ville mondiale qu’était Berlin juste avant la prise de pouvoir nazie représente pour les uns un âge d’or à retrouver, pour les autres le danger d’une nouvelle marche au pouvoir totalitaire. Le fantasme de la ville trop grande est d’autant plus fort que moins d’un an après la réunification, l’opinion dominante penche toujours pour un développement rapide et très important de Berlin.

Quant aux partisans de Berlin, ils soulignent le caractère infondé de ces craintes, dans un contexte de fédéralisme solide garanti par la constitution, et s’opposent à la conception minimaliste voire nominale de la capitale promue à l’heure de la décentralisation par les partisans de Bonn et dans laquelle Lothar de Maizière dénonce un « concept de capitale presque schizophrène »148. Par-delà cette polémique, le dilemme de la capitale forte ou faible oppose deux conceptions de l’effet capitale : les partisans de Berlin considèrent que la présence du siège du pouvoir dans une métropole exerce un effet catalyseur sur les régions environnantes et sur le pays tout entier, tandis que les opposants évoquent comme Norbert Blüm un effet inhibiteur de « pompe aspirante ».

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« Berlin est déjà actuellement une ville exceptionnelle. Si les prises de décision et le cérémoniel de la démocratie partent de Berlin, la signification des capitales des Länder sera amoindrie » (ibid., p. 2754).

146 « Le beau Berlin (...) est assez grand. Le maximum n’est pas l’optimum. » (ibid., p. 2738).

147 « Megastadt », « Weltstadt », « dominierende Hauptstadt » (ibid., p. 2737) .

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5. Conclusion

Le choix final du partage des fonctions de capitale entre Bonn et Berlin témoigne de la vivacité des débats sur le repositionnement géopolitique et géoéconomique de l

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