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TROISIEME PARTIE : VIVRE SUR LA FRONTIERE DE VENIR FRONTIERE

Prélude

Khader a été arrêté à la préfecture «des étrangers» rue Saint Sébastian (néons, faux plafond, file d’attente depuis cinq heures du matin, présence policière imposante, fouille au corps, détecteur de métaux, cris, sonnerie intempestive «numéro 256, guichet B. Numéro 256, guichet B»). Il était venu déposer une demande de régularisation en tant parent d’enfant français. Après son mariage avec So- nia quelques années plus tôt, il avait fait une demande de titre de séjour, rejetée sans motivation. Ils ont fait appel à Toulouse, l’affaire est toujours en cours.

« J’étais arrivé au guichet à 8 heures du matin, un peu plus tôt, j’ai donné mon son dossier à la guichetière qui m’a dit d’attendre, qu’elle devait vérifier un truc ou deux sur le dossier avant de me recevoir. Je me suis posé à attendre. Les heures passant, la salle s’est vidée. Je me disais que la guichetière m’a oublié, alors je suis allé la chercher, on m’a dit de patienter, qu’elle n’allait pas tarder à arriver. Vers onze heures ou midi, un homme me demande de descendre au rez-de-chaus- sée. Deux policiers m’ont suivi. J’attends au rez-de-chaussée avec un policier, puis trois autres ar- rivent et disent qu’ils vont m’amener à la PAF, à Bougainville. Ils n’expliquent pas ce qu’est la PAF, mais j’ai bien compris que j’y allais, que j’étais d’accord ou non. J’ai appelé mon épouse qui m’at- tendait à la maison, lui demandai de regarder sur internet c’est quoi PAF - elle répond : police aux frontières.

Le plus choquant, c’est la manière qu’ils m’ont arrêté et emmené là-bas. Comme un criminel. Sous escorte, dans la voiture, assis au milieu à l’arrière, un policier de chaque côté, deux devant, ça fai- sait quatre policiers juste pour moi, conduisant en sens interdit, et voilà la sirène qui tourne, insul- tant les gens au passage. Pourtant, j’avais rien fait de mal, et y avait pas de quoi être pressé parce- que j’étais allé moi-même à la préfecture, je me cachais pas. C’était dangereux, comme ils condui- saient, pas respectueux des gens sur la route. Pour moi non plus ils avaient pas de respect... c’était... brutal. Mais je me disais que ça devait aller, ils s’étaient trompés j’allais sortir. J’ai de- mandé aux policiers pourquoi ils m’emmènent là, ils répondent pas ou de pas s’inquiéter, juste quelques vérifications, ça prend quelques heures, après on vous relâche. Je me retrouve à Bougain- ville et là je reconnais l’endroit : j’y étais déjà passé en 2015, j’étais sorti à cause d’une lettre de ma femme. Là je dis à la policière c’est pas possible, c’est quoi ce truc, j’ai un enfant, une femme ici, pourquoi m’arrêter et m’emmener là ? Je pensais pas qu’ils pouvaient m’expulser, j’ai un en- fant. La policière dit, c’est vrai. J’ai un enfant, français en plus, par ma femme. Une vie de famille,

c’est sacré. Elle est d’accord, mais son travail à elle c’est ça, enregistrer les dossiers, alors elle enregistre le mien et l’envoie à la préfecture. C’est pas sa faute à la policière elle fait son boulot. C’est pas elle qui décide, après tout. Elle a pas le choix non plus, c’est les, comment on dit, les exé- cutants, voilà. Ils m’ont laissé là tout seul à la PAF.

Après quelques heures, le retour de la préfecture tombe, OQTF. Là je comprenais pas. C’était pas possible. J’ai dit à la policière c’est pas possible, elle dit qu’elle est désolée mais qu’elle pouvait rien faire, elle fait son métier. Elle me dit d’aller voir Forum à l’intérieur du CRA, que sans doute ce qui a joué c’est que j’étais fiché SIS. Et j’appelle encore ma femme, qu’elle re- garde sur internet. Sur internet, c’était pas clair, on comprend pas d’où ça sort, fichier SIS. Ils m’ont emmené au CRA. Empreintes, fouille, enregistrement, tout ça. Le lendemain voir l’associa- tion de Forum, heureusement qu’ils sont là, c’est des gens très bien. Ils m’ont beaucoup aidé. Ils ont été très clair sur le fait que tout pouvait arriver. En plus, le dossier de demande de titre de sé- jour, y avait tout dedans, mais il est resté à la préfecture. Aucun moyen de le récupérer. Pourtant ça pouvait être un élément dans le dossier à monter au juge, mais impossible de le retrouver. Ça c’est pas normal. Toutes les pièces elles étaient dedans, elles sont à la préfecture, la préfecture elle a les dossiers, et elle m’accuse au tribunal de ne pas pouvoir démontrer des preuves. Mais les preuves je les ai pas - elles sont à la préfecture !

(...)

Ce qu’ils se rendent pas compte c’est comment ils brisent les familles. Ce matin là, avant d’aller à la préfecture, j’étais allé acheter des choses pour mon enfant, des carottes, on s’est dit que c’était le moment qu’elle commence à goûter la nourriture, on se faisait une joie avec ma femme, j’allais à la préfecture, je déposais le dossier, on s’enlevait ce poids et après on commençait à apprendre à ma fille à manger. J’ai juste ça a faire, nourrir mon enfant, faire vivre mon enfant... ».

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