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Chapitre II : Quelle Justice ?

B. Le Droit peut-il devenir un piège ?

1. Lois explicites, règles implicites

Comme nous avons pu l’explorer dans les parties précédantes de ce mémoire, le droit des étrangers déjà marqué par l’extension du régime discrétionnaire, l’est de façon plus accrue encore en rétention administrative. Ce discrétionnaire, pour Danielle Loschak «faute d’un contrôle éfficace, se mue souvent en arbitraire et laisse l’étranger désarmé face aux prérogatives exhorbitantes des services administratifs» (1982 : 177). Dans ce cadre où les pratiques prennent des tangentes parfois lointaines du droit la personne sujette à l’administration comme à la justice doit s’efforcer de com- prendre un nombre de codes implicites qui régissent en souterrain les possibles. Un exemple de ces prérogatives implicites peut être observé dans les pratiques qui régissent l’accès au droit à l’assigné à résidence (comme alternative à la détention dans la période qui précède l’expulsion). Un premier obstacle à ce droit consiste en l’exigence de remise du passeport (chose que les personnes enfer- mées redoutent puisqu’elle est réputée précipiter les expulsions), un second obstacle peut être aper- çu dans la notion de «confiance» que le Juge accorde ou refuse à la personne demandant l’assigna- tion à résidence. La confiance, notion discrétionnaire par excellence, s’établit sur une réponse à une question posée lors de l’interpellation «Voulez-vous quitter la France». A cette question, la réponse est assez invariablement «non», «non, je ne souhaite pas quitter la France, non, j’ai ma famille,

mon travail, ma vie ou mes affaires ici». Or, la réponse requise est «oui». Et ce malgré que tout dé-

montre de l’inverse. Si la personne ne répond pas oui, le JLD va estimer qu’il «présente un risque élevé de fuite» et ne lui permettra pas d’être assigné à résidence si il le demande. L’honnêteté se porte en défaveur, il faut procéder avec stratégie, dans un parcours d’obstacles non-dits. Plus que d’être fidèle au vécu ou à la réalité, la personne doit démontrer sa maîtrise des codes, et qu’elle ar- rive à se faufiler à travers un parcours d’obstacles où les pré-requis sont prévus d’avance mais son tenus dans le silence.

2. L’Asile en CRA : une forme sans fond ?

Les mêmes logiques implicites, agencées les unes avec les autres viennent former des archi- tectures implicites faisant frontière à l’accès à la demande d’asile en centre de rétention. La loi in- terdisant la rétention administrative des demandeurs d’asile, tout demandeur d’asile, qui par un ha- sard, une erreur de présentation, un excès de zèle ou une fénéantise57 des agents de police qui ont

57 En théorie un agent de police confronté à une personne qui exprime la volonté de demander la protection asilaire en

France doit l’accompagner à la préfecture pour qu’il soit enreigistré. Ceci est rarement fait, et les demandeurs d’asile sont plutôt envoyés au CRA.

prodédé à son interpellation se retrouve en CRA sera automatiquement considéré comme un «faux» demandeur d’asile, faisant une demande de manière opportune pour tenter de faire obstruction à son expulsion.

La qualité restrictive du filtrage effectué par les procédures d’asile s’accroît de manière draco- nienne. Lorsque je rencontrai Husseyn au parloir, je commençai à essayer de me renseigner sur l’ef- fectivité des procédures d’asile en rétention, très peu de choses sont publiés à ce sujet. Les nom- breuses recherches et réflexions dédiées aux procédures de demande d’asile en «milieu ouvert» por- tent un regard critique sur cette procédure qui fait une «exploitation stratégique d’un certain ethno- centrisme» (pour reprendre les termes d’Estelle d’Halluin (2012 : 200)) dans la forme valide de mise en récit, excluant la majorité des personnes menées à produire ces discours, qui, pour la majo- rité, ne possèdent pas les codes implicites auxquels sont conditionnés sa recevabilité, mais n’étant pas pour autant dépourvus de motifs de présence et de besoins de protection internationale58. Ceci

pour le processus de tri qui s’effectue hors du CRA, mais quid pour les demandes depuis le CRA ? Les juristes du CRA affirmaient faire nombreuses démarches de demande d’asile, sans jamais les voir aboutir, à l’exception d’un homme pour lequel l’examin de l’OFPRA révéla qu’il était déjà re- connu réfugié statutaire à l’ONU. Les conditions d’application pour cette procédure, tortueuse, qui prend des mois de préparation en milieu libre est terminée en deux heures au centre de rétention, l’entretien questionnant le parcours se fait par visio-conférence depuis un bureau de la police aux frontières rempli d’agents de police. Et les réponses sont toujours négatives. David Rohi, de la Ci- made m’informa que le nombre de réfugiés reconnus en CRA oscillait entre 20 et 50 personnes par an, sur plus de 20 000 personnes internées - même si tous ne font pas une demande d’asile, c’est indicateur. Husseyn fut donc débouté de l’asile. Si cela ne vient pas comme une surprise au vu des statistiques, et que les statistiques ne viennent pas comme une surprise lorsqu’on sait que les de- mandes partent avec un a-priori d’être frauduleuses, la surprise est toujours pour la personne qui elle sait ce qu’elle a traversé et qui est intimement convaincue du bien-fondé de sa demande. Com- ment expliquer que les demandes d’asile n’aboutissent jamais en CRA ? Si la démarche de l’asile suspend un temps l’éloignement (d’environ dix jours le temps du traitement et du rejet) elle tient aussi les demandeurs dans l’espoir que cela aboutisse, dans la tension vers la reconnaissance de leur parcours. Elle a aussi pour conséquence de mettre les gens dans des démarches d’exposition d’eux- mêmes, et de détourner un certain nombre de personnes de la tactique d’évitement de l’expulsion qui consiste à dissimuler son identité. Ainsi, comme ce fut le cas pour Husseyn, une personne dé- boutée de l’asile présentée au consulat de son pays de nationalité pour l’obtention d’un accord de

58 Voir à ce propos le récent Rapport Primo Levi "Persécutés au pays, déboutés en France - Rapport sur les failles de

notre procédure d'asile" http://www.primolevi.org/wp-content/uploads/2016/11/Pers%C3%A9cut%C3%A9s-au-pays-d %C3%A9bout%C3%A9s-en-France-WEB.pdf, consulté le 10.02.2017.

réadmission, qu’il collabore ou non (c’est à dire, qu’il taise toute expression de son identité cultu- relle ou non), il sera reconnu par son consulat, informé de sa nationalité de par les démarches d’asile effectués. Si dans le milieu libre il existe un droit de recours à toute décision d’un tribunal, ceci n’existe pas pour les déboutés du droit d’asile en rétention. L’asile en rétention peut ainsi se présenter comme un véritable piège pour les personnes qui s’y investissent. Nouvelle frontière. Pour suivre l’histoire de Husseyn, une fois débouté du droit d’asile, il fut soumis à trois tentatives d’ex- pulsion vers le Soudan, qu’il refusa, ce qui précipita sa poursuite devant le tribunal pénal au terme de ses quarente-cinq jours de rétention. L’argumentaire du procureur accusait l’imposture en tant que demandeur d’asile. Remis en liberté conditionnelle dans l’attente de son procès, il fit un recours devant la Cour Nationale du Droit d’Asile, et fut reconnu refugié, décision qui allait à l’encontre d’une spirale de refus amorcés le jour où, à la Gare Saint Charles, Husseyn demanda à un agent de police qu’il croisa si il pouvait l’orienter vers le bureau d’accueil des demandeurs d’asile.

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