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Pour tenir le rythme, faire quelques raccourcis pratiques

Chapitre II : Administrer l’illégalité

A. Traiter l’Urgence

4. Pour tenir le rythme, faire quelques raccourcis pratiques

S’il existe en théorie des dispositifs visant à garantir la dimension équitable des audiences, les conditions pratiques les rendent souvent inaccessibles. Prenons l’exemple de la Commission d’Expulsion (ComEx) qui se prononce sur l’expulsion des étrangers incarcérés au pénal. Cette commission prend la forme d’audiences opposant le représentant de la préfecture (défendant l’expulsion) à l’étranger et son avocat devant une composition de trois juges. La forte présence policière, l’obstruction à la publicité des séances, le peu de conviction des avocats commis d’office, la connivence entre représentants de la préfecture et juges rappellent les audiences du JLD. L’étranger menacé d’expulsion doit se défendre par l’intermédiaire de son avocat. Il peut engager son propre avocat - ou plutôt le faire engager par des proches libres qui aideront à préparer la

défense - ou prendre un avocat commis d’office. Les commis d’office n’intervenant pas en prison et ayant rarement rencontré leurs clients avant l’audience, ils dépendent principalement du rapport «socio-éducatif» rédigé par les travailleurs sociaux du SPIP41 en détention qui permet de

contrebalancer la «compilation de condamnations» présentée par la préfecture. Or, une réorganisation nationale de la mission du SPIP a créée une pénurie d’intervenants et là aussi, une économie des missions effectuées : les nouveaux arrivants en CRA ne sont désormais plus suivis par un SPIP. Cependant, tout continue à fonctionner comme si le SPIP continuait à intervenir, mais sans dire un mot. Les personnes incarcérées en sont pénalisées, mais (les murs ayant vocation à faire silence), cela ne s’entend guère au-dehors. A la ComEx du 31 Mars 2017, un avocat proteste «cette formule ne s’apparente pas à un jugement objectif. Je m’étonne devant tous ces accrocs à la Justice et ne puis que dire que cette enquête serait fautive de légèreté en égard à monsieur M. sans report du SPIP. C’est un problème en termes de droit à la défense. Si [nous avions] ce dossier du SPIP, l’éclairage serait totalement différent qu’un dossier où l’éclairage est unique. Il y a une injustice lorsque le dossier présenté est uniquement à charge». L’étranger pourtant présent, n’était pas accrédité à parler de lui-même pour lui-même - le dossier fut conclu par le Juge «nous n’avons rien sur la personne. Faut-il vous rappeler, il y a le formel et le réel. Le réel c’est la Possibilité De. Le fait que Monsieur n’ait pas un dossier du SPIP n’empêche pas que ce soit un débat contradictoire nourri». Cette formulation révèle la force du langage en ce qu’il permet au magistrat de redéfinir le «réel», comme «la possibilité de». Monsieur M. aurait pu avoir un dossier SPIP, il n’en a pas, l’absence de ce dossier ne pose pas problème parce qu’il n’y a pas de preuve matérielle devant le juge d’une impossibilité d’avoir ce dossier. Ainsi fait-on économie des «débats contradictoires aux partis égaux».

B. «Marges d’appréciation» et Economies morales

TGI de Paris, audience JLD du 5 décembre 2016 : M. Bâ de nationalité guinéenne sera libéré par le Juge des Libertés et de la Détention, statuant sur l’illégalité de la mesure de retenue dont il fut l’objet, étant donné qu’il ne lui avait été proposé ni de s’alimenter ni de boire depuis son interpellation à la Gare du Nord à midi jusqu’à son internement à Vincennes le soir-même à 20h45. L’absence d’alimentation étant invoquée comme attentatoire à la dignité humaine. TGI de Marseille, audience JLD du 14 janvier 2017. Le maintien en rétention de A.

41 Service Pénitencier d’Insertion et de Probation. Les SPIP ont pour mission d’accompagner les détenus et d’aider à

préparer la sortie. Une extension récente de la mission aux surveillances électroniques fait que les nouveaux incarcérés en PACA sont privés de relation individuelle avec un SPIP (entretien Jean-Luc, visiteur de prison pour la Cimade).

Ferrache de nationalité algérienne est prononcé par le Juge des Libertés et de la Détention, estimant que l’exception de nullité soulevée par l’avocat de M. Ferrache n’est pas pertinente. L’avocat évoquait une atteinte à la dignité humaine pour cause d’une absence d’alimentation de son client depuis son interpellation aux abords du marché aux puces de Bougainville à 11h34, jusqu’à son internement au CRA du Canet à Marseille survenu le soir-même à 21h27. En octobre 2015, le JLD de Marseille mit la barre haute au niveau de la jurisprudence sur l’alimentation des étrangers, jugeant que l’absence d’alimentation n’était pas attentatoire à la dignité humaine de huit personnes interpellées à Calais aux alentours de minuit et arrivant au CRA de Marseille le lendemain à 16h20. Leurs avocats, exaspérés, abandonnèrent le registre de la légalité pour celui du «bon sens» : «même sʼil nʼy a pas de texte dans le CESEDA disant quʼil faut nourrir les personnes retenues en transfert, cʼest pas pour autant que cʼest dispensable, il nʼy a pas non plus de texte disant quʼil ne faut pas les frapper, pourtant cela relève du sens commun». En vain.

La notion de «marge d’appréciation» accordée aux magistrats peut être comblée par des idéologies personnelles. Pour certains avocats, la différence de jugements entre différents magistrats est telle que la seule certitude qui se développe, in fine, est celle des positions des magistrats. « Je pense qu’on peut pas dire qu’il y a une lisibilité dans ce contentieux. Le seul truc lisible c’est ça, tu sais que si tu tombes devant tel magistrat c’est que t’es mort. Par contre t’es jamais sûr de gagner même devant un bon. Après y a des probabilités mais y en a devant lesquels tu sais que c’est cuit. Tu le sais. Tu sais. Tu déposes ta requête, tu vois revenir la requête avec le numéro de la chambre devant laquelle tu passes, et là, tu sais que tu perds. Tu sais, tu sais à ce moment là, c’est à dire tu sais le surlendemain du dépôt, avant même l’audience ... » (Maître Sanchez, avocat à la commission droit des étrangers, Marseille).

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