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LA NATURE DE L’UNION AVEC CHRIST ET SES DIMENSIONS

2. Unio mystica

2.1 L’union incompréhensible

2.1.1 Trois métaphores

Calvin utilise trois métaphores concrètes pour parler de l’unio mystica au lieu du langage abstrait.

1. L’unio mystica est d’abord présentée à plusieurs reprises par Calvin à l’aide d’une métaphore nuptiale. Le mariage sacré est une « image vive de l’union spirituelle que nous avons à nostre Seigneur Iesus Christ » : l’union avec Christ est une union intime comme celle d’un mariage.

« Il continue de confirmer et d’établir le devoir mutuel du mari et de la femme selon la loi du mariage, en proposant ce qui est en Christ et en son Eglise, d’autant qu’il n’avait rien de plus efficace que cet exemple. Premièrement, quant à ce qu’il a com-mandé de l’amour singulier du mari envers sa femme, il montre que Christ l’a ac-compli. Puis il atteste que l’exemple et le modèle de cette unité, qu’il avait mise dans le mariage, sont manifestés en lui et en l’Eglise. Et c’est un beau passage de la com-munication secrète que nous avons avec Christ ! (mystica comcom-municatione quam ha-bemus cum Christo) »818.

Calvin place très haut le mariage : « Le lien le plus sacré que Dieu ait mis entre nous, est du mari avec la femme (…) Le Seigneur Jésus préside sur le mari et la femme »819. Bien que Calvin ne considère jamais le mariage comme un des sept sacrements et qu’il critique cette tradition catholique, l’union conjugale est, pour lui, la plus sainte entre toutes les autres con-jonctions820. Le mari et la femme fusionnent par le lien du mariage : ils font une seule per-sonne, un seul corps.

818

Le Commentaire sur l’épître aux Ephésiens 5,29.

819

Sermon 41e sur l’épître aux Ephésiens, CO 51, col. 761, 3.

820

Le Commentaire sur l’épître aux Ephésiens 5,31. Voir aussi Le Commentaire sur la première épître

aux Corinthiens 6,16 : « Car il démontre que ce lien (du mariage) est si étroit et indissoluble, qu’il

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Dans ses sermons, nous pouvons constater que le mariage est comme une « image vive de l’union que nous avons avec le Fils de Dieu »821, qu’il est comme une « figure de l’union sa-crée que le Fils de Dieu a avec tous fidèles »822, qu’il est comme une « peinture de cette union sacrée que notre Seigneur Jésus a voulu avoir avec nous »823. Ces quelques citations montrent que cette union est intime, comme le mariage. En poussant un peu plus l’analyse, l’union d’un chrétien avec Christ est aussi un miroir pour le mariage, c’est-à-dire que l’union en tant que mariage entre Christ et le chrétien précise mieux l’union qui doit lier le mari et la femme824

. Le mariage fait du mari et de la femme une même chair, mais « nous sommes faits non seu-lement une même chair avec le Seigneur, auquel nous adhérons, mais aussi un même esprit »825. Le mariage spirituel entre nous et Jésus-Christ conduit à amplifier la vertu et la dignité du mariage entre le mari et la femme.

Calvin fonde sur l’image du mariage la soumission du fidèle : celui-ci doit au Christ la foi et l’amour, comme la femme à son époux ; comme l’épouse est soumise à son mari, le fidèle doit se soumettre au Christ826.

2. La deuxième métaphore concerne la conjonction de la tête (Chef) et du corps. Dans le

texte cité plus haut, où l’unio mystica est mentionnée, Calvin affirme la « conjonction que nous avons avec notre chef ». Selon lui, notre salut, pour ainsi dire notre résurrection et le fait que nous serons assis au ciel (sessione in coelis) est encore, quant à nous, caché en espérance, mais nous le possédons dans l’union avec Christ : « Les choses dont il parle n’apparaissent point encore dans les membres, mais seulement au Chef (in solo capite) ; toutefois, à cause de cette union secrète que les membres ont avec le Chef (arcanam unitatem ad membra), elles leur appartiennent certainement, et viennent jusqu’à eux »827. Comme S. Paul compare les membres de l’Eglise aux différentes parties du corps du Christ, Calvin pense que l’union

821

« Or maintenant il faut qu’il y ait une correspondance mutuelle au mariage, et que les femmes co-gnoissent, d’autant que le mariage est comme une image vive de l’union spirituelle que nous avons

avec le Fils de Dieu, que c’est aussi leur bien d’estre sous leurs maris pour leur rendre obeissance, et

que cela leur sera beaucoup plus profitable que si elles avoyent toute licence pour se gouverner et faire tout à leur appetit et qu’il n’y eust point de bride pour elles ». Sermon 39e

sur l’épître aux Ephésiens, CO 51, col. 741.

822

Sermon 41e sur l’épître aux Ephésiens, CO 51, col. 762.

823

CO 27, col. 668.

824

CO 54, col. 517.

825

Le Commentaire sur la première épître aux Corinthiens 6,16.

826

« Il faut que nous nous soumettions à Christ seul, qu’il nous soit chef unique… que lui seul ob-tienne la principauté de la gloire, afin qu’il reob-tienne le droit et autorité d’époux envers nous ». Le

Commentaire sur l’évangélique de Jean 3,29.

827

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tique avec Christ est aussi étroite et intime que l’union des membres qui existe dans un seul corps. « Que de même que la tête, dans le corps humain, est comme une racine, de laquelle la vertu de la vie est répandue à tous les autre membres, de même la vie de l’Eglise découle du Christ »828.

La soumission du corps à la seule tête est une affirmation du gouvernement du Christ et une opposition à la tyrannie du Pape comme Chef de l’Eglise. Calvin soutient que c’est Christ, dont dépend fondamentalement l’unité du corps, qui dirige l’Eglise. « Selon mon jugement, il (Paul) parle ici principalement du gouvernement. Il montre donc que le Christ est celui qui, seul, a la puissance de gouverner l’Eglise, qu’il est le seul auquel les fidèles doivent regarder, et que de lui seul dépend l’unité du corps »829

. Le thème de l’union entre la tête et les membres est traité dans sa dimension ecclésiologique830.

3. La troisième est la métaphore de la « greffe sur Christ » ou de l’ « ente » pour garder

son terme. Pour affirmer que le Christ n’est pas loin de nous, Calvin emploie une métaphore qu’il emprunte, comme les autres, à Paul et à Jean : nous sommes greffés sur Christ.

« Il donne à entendre par cela qu’il n’y a point d’autre vie de l’âme, que celle qui nous est inspirée par Christ. Parquoy lors nous commençons à vivre, quand nous sommes entez avec luy, pour jouir d’une mesme vie et commune avec luy »831

.

C’est pourquoi, sans cette greffe en tant qu’une union, nous sommes absents de la vie et du salut. Grâce à cette greffe, tous ses biens nous sont communiqués. Lorsque nous sommes « entés » sur Christ par la foi, nous prenons tout du Christ, ce n’est pas quelque parties du Christ !832

Calvin tient à interpréter la métaphore biblique de la greffe comme un changement de nature : elle vise à modifier la nature du fidèle en participant à celle de Christ. « Le terme d’enter ne signifie pas seulement conformité d’exemple, mais emporte une conjonction

828

Le Commentaire sur l’épître aux Colossiens 1,18.

829

Ibid. Le Commentaire sur l’épître aux Ephésiens 1,22 : « Il(Dieu) l’(Christ) a ordonné Chef sur l’Eglise, à cette condition qu’il ait la dispensation et le gouvernement de toutes choses. Or il montre que ce n’est point un honneur simple et nu, qu’il soit constitué Chef de l’Eglise, d’autant que la pleine puissance et l’administration de toutes choses lui ont été en même temps données. La métaphore et l’image de la tête se rapportent à la souveraine prééminence ».

830

Infra, troisième partie, chpitre III.

831

Le Commentaire sur l’épître aux Ephésiens 2,4.

832

IRC III. ii. 24, p. 42 : « Car ce que nous espérons salut de luy, n’est pas pource qu’il nous fait parti-cipans non seulement de tous ses biens mais aussi de soy-même ».

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crète (…) Nous passons de notre nature en la sienne »833. Le fait de changer de nature est l’effet nécessaire de la greffe. Il faut être greffé sur le Christ comme un sarment sur son cep. Calvin nous enseigne donc que « le Christ s’arrête principalement sur ceci : que le suc vital, c’est-à-dire toute la vie ou la vigueur, procède de lui seul. Il s’en ensuit que la nature de tous les hommes est infructueuse, stérile et vide de tout bien ; parce que nul ne tient de la nature de la vigne, jusqu’à ce qu’il soit enté en Christ »834

. Bien que Calvin ne parle pas directement de l’union de volonté comme Bernard de Clairvaux, mystique célèbre, il parle cependant du désir de suivre la volonté de Dieu et de garder ses commandements comme conséquence directe de la greffe en Christ835. Par le baptême, l’homme est capable d’être greffé au corps du Christ. Dans le Commentaire sur l’épître aux Romains 6,5, Calvin explique le baptême, par la notion de la greffe et de l’union :

« Il confirme en termes plus clairs l’argument qu’il avait déjà mis. Car la similitude qu’il applique maintenant, oste, de ce propos toute ambiguïté : parce que ce terme d’Enter ne signifie pas seulement conformité d’exemple, mais emporte une conjonc-tion secrète, par laquelle nous sommes tellement unis à luy, que nous donnant vie par son Esprit, il fait passer et comme descouler sa vertu en nous. Comme donc le greffe ha une condition commune de vie et de mort avec, l’arbre auquel il est enté : ainsi il faut que nous soyons participants aussi bien tant de la vie de Christ que de sa mort ».

Cette métaphore témoigne que la greffe du rameau (fidèle) sur le tronc (Christ) implique deux choses distinctes, mais inséparables. Calvin nous remarque à propos de la greffe que la notion de l’union avec Christ suit une des formules du Concile de Chalcédoine, avec les termes : « distincte » mais « inséparable ». Les trois métaphores « le mariage », « le Chef et le corps », «la greffe » soulignent que l’union avec Christ désigne une réalité concrète.