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L’homme en rupture avec Dieu et ses conséquences

L’UNION AVEC CHRIST DANS LA PERSPECTIVE TRINITAIRE

2. Dieu avec nous : l’œuvre du Christ

2.1.1 L’homme en rupture avec Dieu et ses conséquences

2.1 La cause de l’« incarnation » : l’actualité de l’être humain et la nécessité

du « Médiateur »

Contrairement à d’autres exposés théologiques antérieurs, du Moyen-âge notamment, Calvin ne commence pas immédiatement l’exposé par le thème d’une médiation de la per-sonne du Christ, de son être trinitaire, de sa préexistence, de sa double nature. Son départ est focalisé sur le rapport de l’homme et de Dieu549. C’est pourquoi Calvin traite de l’actualité de l’être humain en prouvant la rupture de la relation entre Dieu et l’homme depuis la chute adamique, puis il désigne la nécessité du médiateur tout en employant l’expression rhétorique « sans médiateur ».

2.1.1 L’homme en rupture avec Dieu et ses conséquences

Dans l’état d’intégrité, l’homme avait franc arbitre par lequel, s’il eût voulu, il eût obtenu vie éternelle. Toutefois, la « constance de persévérer » ne lui était pas donnée. Il s’est dégradé, ou plus exactement, il n’est tombé que de sa volonté propre. Quant à savoir pourquoi Dieu n’avait pas accordé à Adam le don de persévérance, « cela est caché en son conseil étroit, et

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« En somme, si nous parlons de nostre Seigneur Iesus Christ, quant à sa nature, et quant à l’office qui luy est propre, il est, comme i’ay dit, le fondement pour soustenir le salut de tous fidèles qui se rengent à luy ». Sermon 32e l’Harmonie Evangilique, CO 46, col. 393.

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Le Commentaire sur la première à Timothée 1,1. Le Commentaire sur la deuxième à Timothée 1,9. Voir Goumaz, La doctrine du salut (doctrina salutis) d’après les commentaires de Jean Calvin sur le

Nouveau Testament, p. 131, 189-90.

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notre devoir est de ne rien savoir qu’en sobriété »550

. Bien que Dieu l’ait voulu, l’homme n’était cependant pas excusable et il ne s’est pas libéré de sa responsabilité.

Cet homme, créature de relation, a rompu avec Dieu en raison de sa chute et de son péché, dont la conséquence est la séparation radicale de Dieu. La mort spirituelle pour l’être humain, comme on vient de le lire, est d’être séparée du Créateur ; la vie spirituelle, au contraire, est d’être unie avec ce dernier. Pour Calvin, le pécheur est une sortie de la sphère (sujétion ou supériorité) de Dieu et une dégradation de la confiance en Dieu à la confiance en soi. Le mal-heur de l’homme, la source de tous ses maux, c’est qu’ayant été promu maître du monde, il n’a pas voulu demeurer sujet de Dieu mais a cherché à tout prix son autonomie. La véritable identité de l’homme, c’est son être royal qui possède la dignité de fils de Dieu, mais en quit-tant Dieu, il l’a perdu et est devenu esclave du péché et de Satan. C’est la mort et elle seule qui lui est réservée comme sa conséquence.

Le Réformateur souligne que le péché a sa source dans l’ « orgueil » et dans la « déso-béissance » nés tous deux de l’ « infidélité », plutôt que dans l’amour de soi où l’avait trouvée saint Augustin551. A ce titre, le vice originel d’Adam, en fait, est un péché non pas moral, mais spirituel ; c’est le mépris de Dieu et de sa Parole, l’inclination à vivre séparé de Lui552.

« En ne tenant compte de la Parole de Dieu, on abat toute la révérence qu’on lui doit, parce que sa majesté ne peut autrement subsister parmi nous, et qu’aussi on ne le peut dûment servir qu’en se rangeant à sa Parole. C’est pourquoi l’infidélité a été la racine de la révolte .(…) Bref l’infidélité a ouvert la porte à l’ambition, et l’ambition a été mère d’arrogance et fierté, jusqu’à ce qu’Adam et Eve se jetassent hors des gonds, là où leur cupidité les tirait »553.

Eloigné de Dieu, Adam est, avec sa descendance, livré à l’ « infection » ou à la « servi-tude » du péché, ce qui lui fait engendrer une semence conforme à la sienne. C’est pourquoi tout homme est plongé en la misère d’Adam : « c’est la corruption héréditaire que les anciens ont nommé « péché originel », entendant, par ce mot de péché, une dépravation de la nature,

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IRC I. xv. 8, p. 219.

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Wendel, Calvin. Sources et évolution de sa pensée religieuse, 138. D’après Calvin, l’« infidélité » qui fait mépriser la vérité, la parole de vérité, est « la racine de la révolte ». De cette infidélité, sont procédés l’ambition et l’orgueil auquel l’« ingratitude » a été conjointe. IRC II. i. 4, p. 11.

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Biéler, La Pensée économique et sociale de Calvin. p. 187.

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qui était bonne et pure auparavant »554. « Même avant de sortir à la lumière, nous sommes contaminés devant la face de Dieu (…) La souillure des parents parvient aux enfants de lignée en lignée, de telle sorte que tous sans exception en sont entachés dès leur origine »555. Calvin expose ainsi qu’il suit la cause du péché :

« Voyent maintenant ceux qui osent attribuer la cause de leur péché à Dieu, quand nous disons que les hommes sont naturellement vicieux. Ils font perversement de con-templer et sonder en la nature qu’avait reçue Adam avant d’être corrompu. Notre per-dition donc procède de la culpabilité de notre chair, non pas être déclinés de notre première création .(…) Qu’il nous souvienne donc d’imputer toujours notre ruine à la corruption de notre nature, et non point à cette nature qui avait été donnée première-ment à l’homme, afin de n’accuser Dieu, comme si notre mal venait de lui »556

.

Le péché affecte non seulement tous les hommes mais tout l’homme, c’est-à-dire, le corps et l’âme. L’âme étant pervertie, ses propres facultés sont aussi perverties. Or d’après Calvin, cette perversité n’est point en lui « de nature » -ce mot « de nature » s’emploie comme ce qui a été créé de Dieu-, c’est plutôt « une qualité survenue à l’homme » (qualitatem quae homini acciderit) qu’« une propriété de sa substance » (substantialem proprietatem), qui a été dès le commencement enracinée en lui557. Cela veut dire que la cause de péché n’est pas Dieu, mais l’homme. Celui-ci est rendu responsable du péché. En raison de sa responsabilité, la na-ture corrompue de l’homme amène la condamnation. En la corruption d’Adam comme notre racine, « le genre humain par raison a été corrompu »558. Pour les Pélagiens, le péché s’est répandu dans le monde par l’imitation d’Adam. Calvin s’interroge à cet égard : « N’avons-nous donc autre profit de la grâce de Christ, sinon qu’elle N’avons-nous est proposée en exemple à suivre ? »559 Si nous péchions par imitation d’Adam, la grâce nous viendrait pareillement par imitation du Christ, et elle ne serait plus gratuite. Notre Réformateur estime que la déprava-tion originelle s’est diffusée par propagadéprava-tion, non par imitadéprava-tion : nous ne péchons point par

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IRC II. i. 5, p. 12. « Mais depuis la chute et révolte d’Adam, quelque part que nous tournions les yeux, il ne nous apparaît haut et bas que malédiction, laquelle étant épandue sur toutes créatures, et tenant le ciel et la terre comme enveloppés, doit bien accabler nos âmes d’horrible désespoir ». II. vi. 1, p. 108. 555 IRC II. i. 5-6, p.12-15. 556 IRC II. i. 10, p. 19. 557 IRC II. i. 11, p. 20. 558 IRC II. i. 6, p. 14. 559 Ibid.

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imitation, mais par génération560. « Nous tous donc qui sommes produits de semence im-monde, naissons souillez d’infection de péché »561

. Il s’agît du péché originel dont le Réfor-mateur donne la définition suivante :

« Nous dirons donc que le péché originel est une corruption et perversité héréditaire de notre nature, qui, étant épandue sur toutes les parties de l’âme, nous fait coupables premièrement de l’ire de Dieu, puis après produit en nous les œuvres que l’Ecriture appelle « œuvres de la chair ». C’est proprement cela que S. Paul appelle souvent pé-ché, sans ajouter originel. Les œuvres qui en sortent, comme sont adultères, paillar-dises, larcins, haines, meurtres, et gourmandises. Il les appelle, selon cette raison, fruits du péché : bien que toutes ces œuvres soient communément dénommées péché, tant par toute l’Ecriture qu’en S. Paul même »562

.

Cet homme déchu est totalement aliéné à la fois de Dieu qui lui avait donné la vraie na-ture, de lui-même en ce qui concerne la vraie nana-ture, et des autres créatures, par conséquent, celles-ceux qui « attendent la révélation des fils de Dieu en gémissant : les créatures attendent avec un ardent désir la révélation des fils de Dieu, en gémissant » (Romains 8,19)563. Comme Biéler le souligne : « la corruption de l’homme a des répercussions cosmiques »564. Adam étant lieutenant de Dieu, son « apostasie » a entraîné le trouble de toute la création. Elle a eu des conséquences tragiques pour toutes les créatures et a introduit le désordre dans la nature. Calvin affirme que la révolte d’Adam a permis de ruiner non seulement lui-même, mais aussi tout son lignage et toutes les créatures. Car Calvin caractérise là-dessus l’homme comme un être de relation inséparable de son environnement, c’est-à-dire, de Dieu, de son prochain, de la nature, de la société565. 560 IRC II. i. 5-6, p. 12-15. 561 Ibid. 562 IRC II. i. 8, p. 17. 563

« Il (l’humanité adamique) a ruiné tout son lignage par sa révolte, ayant perverti tout ordre de na-ture au ciel et sur la terre (.)… Si on cherche la cause, il n’y a doute que c’est d’autant qu’elles (toutes créatures) souffrent une partie de peine que l’homme a méritée, pour l’usage et service duquel elles ont été faites. Puisque donc la malédiction de Dieu s’est épandue haut et bas, et a la vogue par toutes les régions du monde à cause de la coulpe d’Adam, ce n’est point merveilles si elle est découlée sur toute sa postérité ». IRC II. i. 5, p. 12.

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Biéler, La pensée économique et sociale de Calvin, p. 236.

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« De même que le péché de l’homme est un drame spirituel qui affecte toute sa nature, corps et esprit, de même il atteint la société et la création dans leur totalité. Il n’est pas plus conforme à la pen-sée biblique de séparer l’homme de l’univers que d’isoler l’esprit de la matière ». Ibid. Puis Cf. Le

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Pourquoi Calvin insiste-t-il sur la chute humaine et sa misère comme sa conséquence ? Parce qu’il a voulu suggérer à la fois la nécessité du Médiateur et l’immensité de la grâce qui a permis de régénérer le pécheur : c’est-à-dire, que Calvin a souligné la force du péché origi-nel, c’est qu’il avait pour but de souligner la force de rédemption. Il écrit : « D’où il s’ensuit que ce qui est le plus noble et le plus à priser en nos âmes, non seulement est navré et blessé, mais totalement corrompu, quelque dignité qui y reluise, en sorte qu’il n’a pas seulement be-soin de guérison, mais il faut qu’il vête une nature nouvelle »566

. « La porte de vie est close à tous, jusqu’à ce qu’ils soient régénérés »567

.

L’être humain et sa volonté doivent être entièrement réformés et renouvelés568, sinon « Dieu ne reconnaît ni n’avoue pour son œuvre les hommes vicieux et abâtardis »569. De la même manière, la relation de l’union rompue avec Dieu ne peut jamais être restaurée à partir de l’homme, il ne peut pas se revêtir d’une nature nouvelle, puisque le péché a créé un abîme (une nuée) entre l’homme et Dieu, obstacle à toute relation entre ce dernier et la créature éloi-gnée de fait du royaume des cieux. La connaissance de notre péché doit préparer la connais-sance du Christ, puisque la connaisconnais-sance religieuse par et dans la création est inutile sans cette dernière570.