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L’UNION AVEC CHRIST DANS LA PERSPECTIVE TRINITAIRE

2. Dieu avec nous : l’œuvre du Christ

2.2 L’« incarnation » : l’union du Christ avec nous

2.2.2 L’union hypostatique : la distinction dans l’unité

2.2.2.3 Etiam extra Carnem

Voilà la mission de Calvin par rapport à l’union parfaite de l’humanité et de la divinité du Christ : éviter à la fois de magnifier sa nature humaine et de diminuer sa nature divine en les faisant participer l’une aux propriétés de l’autre. Sa proposition est claire : les deux natures conservent intégralement ce qui leur est propre. Mais ce qui importe avant tout à Calvin, c’est de ne rien affirmer qui puisse tant soit peu aboutir à un amoindrissement de la divinité du Christ. Pour cette cause, chez Calvin se trouve ce qui n’est pas découvert chez Luther. C’est la dimension de l’extra, comme Heiko A. Oberman l’a nommé632

. E. David Willis a consacré sa thèse à ce sujet : le point de départ de la dimension de l’extra, appelée précisément l’illud

629

IRC II. xiv. 3, p. 256.

630

IRC II. xiv. 4, p. 256.

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Pour Luther, parler de l’unité de la personne signifie une participation davantage de l’humanité à la divinité que de la divinité à l’humanité. « Dans un sermon sur Col 1,18-20 de 1537, Luther dit : « On parle de « communicatio idiomatum » lorsqu’on unit et mélange les propriétés des natures en Christ, de même qu’on unit et mélange les natures, Dieu et l’homme, en une personne ». Cité par M. Lienhard,

Luther, témoin de Jésus-Christ, Paris, Cerf, 1973, p. 357. Cette doctrine fournit, aux yeux de Luther,

un fondement théologique sur l’ubiquité du corps du Christ. Calvin n’admet pas la présence du corps du Christ dans la Cène, d’autant que la communication de deux natures se limite dans et par l’union hypostatique.

632

Heiko A. Oberman, « The ‘Extra’ Dimension in the Theology of Calvin », Journal of Eccesiastical

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extra calvinisticum par les théologiens luthériens du XVIIe, comme s’il s’était agi d’une doc-trine particulière à Calvin, bien que la position de Calvin n’eût rien d’original sur ce point et se bornât à reproduire une longue tradition dogmatique, par exemple chez Augustin, Pierre Lombard et Thomas d’Aquin, cela se situe au niveau de la christologie633

.

En traitant de la personne du Christ, Calvin entend soutenir ces deux faits : « Dans cet article de foi il nous faut principalement retenir deux choses. L’une est que les deux natures ont été unies en une personne dans le Christ, en sorte qu’un même Christ est vrai Dieu et vrai homme. L’autre, que l’unité de personne n’empêche point que les natures ne demeurent dis-tinctes ; en sorte que sa divinité retient tout ce qui lui est propre, et son humanité aussi retient à part ce qui lui appartient »634. Comme le texte l’affirme à bon droit, avant de dire la distinc-tion des deux natures, Calvin met l’accent en priorité sur leur unité parfaite, et après sur leurs distinctions.

S’il en est ainsi, qu’en est-il de la propriété de la nature humaine et de la nature divine ? Comment reprendre l’originalité théologique de Calvin ? Il insiste beaucoup sur l’humanité du Christ telle qu’elle est, une humanité véritable telle que son corps n’était ni un fantôme ni un corps céleste. L’humanité du Christ reste une véritable humanité et, par conséquent, son corps est un vrai corps humain avec toutes ses propriétés, même après sa résurrection : le corps du Christ devenu corps glorifié garde les caractéristiques du corps humain. Les choses humaines que le Christ possède sont la pauvreté, les misères externes, les affections de l’esprit, la crainte et l’horreur de la mort, mais à l’exception du péché. L’absence du péché est le résul-tat de sa sanctification par le Saint-Esprit.

Ce qu’importe pour nous est une des propriétés de la nature humaine, pour ainsi dire, une localisation. Même après la résurrection et l’ascension du Christ, le corps du Christ, le propre d’un corps humain étant localisé en un endroit donné, ne peut pas être simultanément à plu-sieurs endroits. L’ubiquité est un attribut réservé à Dieu, présent partout à tout instant, mais elle ne convient pas au corps du Christ. Si Calvin rejette catégoriquement l’ubiquité du corps du Christ, c’est qu’il veut repousser toute tentative de déification de l’homme, même en la personne de Jésus-Christ635.

D’un autre coté, sa nature divine est restée parfaitement immuable et n’a perdu ni com-muniqué aucune de ses propriétés, par son union avec la nature humaine. Par l’incarnation, la divinité du Christ s’est abaissée jusqu’à nous mais, elle n’a « rien quitté de sa majesté, ni ne

633

Willis, Calvin’s Catholic Christology : The Function of so-called Extra Calvinisticum in Calvin’s

Theology, p. 23-60.

634

Le Commentaire sur l’Evangile de Jean 1,14.

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s’est amoindrie ou diminuée en sa gloire éternelle »636

. C’est ce que Calvin exprime dans l’Institution chrétienne quand il écrit :

« Ils usent aussi d’une gaudisserie, en laquelle ils monstrent qu’ils n’ont ne crainte de Dieu ny honnesteté : c’est que si le Fils de Dieu a vestu nostre chair, il auroit esté en-serré en une bien petite loge. Car combien qu’il ait uny son essence infinie avec nostre nature, toutesfois c’a esté sans closture ne prison. Car il est descendu miracu-leusement du ciel, en telle sorte qu’il y est demeuré : et aussi il a esté miraculeuse-ment porté au ventre de la Vierge, et a conversé au monde, et a esté crucifié, telle-ment que ce pendant selon sa divinité il a tousiours rempli le monde comme aupara-vant »637.

Si la localisation est une propriété de l’humanité, par contre, l’ubiquité est une propriété de la divinité. Calvin admet donc pleinement l’ubiquité de la nature divine du Christ. Cette ubiquité, qui permettait au Christ préexistant de « remplir le monde », comme il dit, persiste entièrement après l’incarnation, de sorte que, malgré l’union avec la nature humaine, Christ reste en même temps au Ciel, durant toute sa vie terrestre, le Christ n’a jamais cessé d’avoir son existence et sa vérité « aussi hors la chair » (etiam extra carnem)638.

Calvin laisse nettement la place à la transcendance divine même dans l’incarnation qu’il a fait valoir « Dieu est manifesté en chair ». Même si Dieu s’incarne, il garde toujours sa divini-té en tant que sa transcendance, par laquelle il prend sa distance avec les hommes. Du fait que le fini n’est pas capable de l’infini « finitum non capax infinitum », le Christ existe et il agit aussi activement en dehors de la chair de Jésus. Pour faire ressortir cette idée, Calvin fait une distinction entre totus Christus et totum Christus. Le Fils de Dieu est « tout entier » (totus) en Christ, mais il n’est pas « totalement » (totum) en lui639

. Totus Christus qui signifie l’union entière de natures divines et humaines dans Christ, donne une licence à la « communication des idiomes ». Mais ses natures distinctes, la divinité et l’humanité, ne peuvent posséder les

636

Sermon sur Ephés. 1,15-18, CO 51, col. 318, cité par Wendel, Calvin. Sources et évolution de sa

pensée religieuse, p. 167. Voir Wendel, La christologie de la Réforme, Strasbourg, le cours professé à

la Faculté de théologie protestante, (ouvrage inédit), 1970, p. 16.

637

IRC II. xiii. 4, p. 250.

638

Gisel, Le Christ de Calvin, p. 91.

639

A. Gounelle, « Conjonction ou disjonction de Jésus et du Christ. Tillich entre l’extra calvinisticum et l’intra lutheranum », Revue d’histoire et de philosophie religieuses 61, 1981, p. 250. Calvin écrit : « … c’est que Iesus Christ est par tout en son entier, mais que tout ce qu’il a en soy n’est point par tout » IRC IV. xvii. 30. Le texte de latin : « Mediator ergo noster quum totus ubique sit, suis semper adest ;

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propriétés de l’une et l’autre, bien que seul le Christ ait les propriétés tant divines qu’humaines640

. La réalité du Christ déborde donc la personne de Jésus, et peut, dans une cer-taine mesure, en être disjointe. La sotériologie calvinienne se fondant sur sa christologie, les propositions (d’une part l’unio hypostatica, la communicatio idiomatum, d’autre part l’extra carnem ou extra calvinisticum, finitum non capax infinitum) de sa christologie sous-entendent qu’existent une continuité et une discontinuité entre le Christ et le croyant.

L’union a deux aspects, l’aspect du Christ et notre aspect. L’un est à coup sûr déjà effec-tué tel qu’il s’est uni avec notre nature, quand il s’est fait homme. Mais il y a encore une union plus proche et intime à réaliser dans le sens où il vit dans le croyant par son Esprit.

640

Paul Helm, Calvin at the Centre, Oxford, Oxford University Press, 2010, p. 300. Infra, troisième partie, chapitre III, section 3.2

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