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L’union avec Christ d’après l’Institution chrétienne de 1539/41

Chapitre I. La majesté divine et l’union avec Christ en tant que bipolarité de la théologie calvinienne

2. L’union avec Christ d’après l’Institution chrétienne de 1539/41

2.1 La nouvelle structure de l’Institution chrétienne de 1539/41

Le premier séjour de Calvin à Genève ne fut pas réussi. Pierre Caroli, théologien protes-tant français, qui était entré en conflit avec Farel en raison de la doctrine de la Trinité, accusa Calvin et Farel de pactiser avec l’arianisme. Aux élections de février 1538, les partis d’opposition l’emportent sans difficulté. A cause de la question liturgique, Calvin et Farel souffrirent de graves conflits avec les autorités genevoises qui étaient issues des élections de 1538. Ils durent quitter la ville319.

Passé à Bâle, Calvin se rendit à Strasbourg où il devint pasteur auprès des réfugiés fran-çais et professeur à la Haute Ecole. Cette ville libre d’Empire est passée à la Réforme depuis 1524, avec Martin Bucer. Notre réformateur y passa trois ans (1538-41), époque capitale dans l’histoire de son œuvre. Bernard Cottret met l’accent sur le fait que cette période de la vie de Calvin fut particulièrement importante et décisive :

« C’est à Strasbourg que Calvin devint « Calvin ». Ou plus précisément, au tournant de sa trentième année, Calvin trouva la formule d’une Réformation distincte de celle de ses prédécesseurs (.)… Calvin proclame clairement à la face du monde qu’il n’est ni Melanchthon, ni Bucer, ni Bullinger, mais Calvin tout simplement. Enfin, l’intronisation de Calvin par Bucer, le Réformateur de Strasbourg, confirme le sens d’une vocation exceptionnelle, déjà reconnue par Farel. Oui, Calvin a sans doute vécu à Strasbourg les années les plus heureuses de son existence »320.

Il faut rappeler que c’est à Strasbourg que Calvin publia en latin une nouvelle édition, entièrement remaniée, de son Institution chrétienne. L’Institution chrétienne de 1536 ayant porté un caractère catéchétique n’avait que six chapitres, ce qui n’est pas adéquat comme moyen pour développer sa théologie tout entière. Il y avait dix-sept chapitres dans l’Institution chrétienne de 1541. C’est désormais un livre fondant le dogme de la nouvelle Eglise : « Le bref manuel » de 1536 est devenu une véritable « somme » destinée à préparer les étudiants en

319

Wendel, op. cit., p. 32-34

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théologie à l’étude de l’Ecriture sainte321

. A la différence de la première édition, l’Institution chrétienne de 1541 s’ouvre sur deux chapitres à part consacrés au problème de la connais-sance de Dieu et de la connaisconnais-sance de l’homme. Calvin y ajoute le chapitre « pénitence », « de la similitude et différence du vieil et nouveau Testament », « de la prédestination et pro-vidence de Dieu », et « de la vie chrétienne ».

2.2 L’union avec Christ

Ce que Calvin avait écrit de l’union avec Christ dans l’Institution chrétienne de 1536 reste encore dans l’édition de 1541. Il nous faut trouver les choses nouvelles que Calvin y ajoute. A partir de la version de 1541, Calvin développe la notion de la communion avec Christ qui est synonyme de celle de l’union avec Christ.

En parlant de la cause de la corruption héréditaire, c’est-à-dire, du « péché originel », dans le chapitre II de « la connaissance de l’homme », Calvin s’oppose à l’opinion pélagienne. Après avoir établi l’analogie classique Adam et Christ, il compare la portée du péché ada-mique à celle de la communication avec Christ. Par comparaison à la communication avec Christ, il explique que le péché était descendu dans l’humanité comme par génération, non pas par imitation d’Adam. Il écrit :

« Or s’il n’y a nulle doubte, que la grace de Christ ne soit nostre, par communication : et que par icelle nous ayons vie : il s’ensuit pareillement, que l’une et l’autre a esté perdue en Adam, comme nous les recouvrons en Christ : et que le péché et la mort ont esté engendrez en nous par Adam, comme ilz sont abolis par Christ »322.

Calvin déclare précisément que nous recevons tous les bien que Dieu a mis en Christ, par la communication avec Christ, non pas comme Christ en tant qu’exemple à suivre ; l’imitation de Jésus-Christ est plutôt un effet de la communication.

Le réformateur a développé plus profondément la quatrième partie du symbole des Apôtres, à savoir « Je croy la saincte Eglise catholique, la communion des Sainctz ». A partir de la version de 1541, l’Eglise apparaît comme la « mère qui conçoit ses enfants ». En tant que mère elle est le « corps et plénitude de Christ, pilier et fondement de vérité, et perpétuel

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Arnold, op. cit., p. 80.

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habitacle de sa Majesté ». Calvin y tient compte de l’union avec Christ en particulier comme incorporation à l’Eglise du Christ. En outre, les membres de l’Eglise sont appelés pour son unité. Il y trouve le principe de l’unité de l’Eglise non seulement dans « une même foi, espé-rance et charité », « un même Esprit de Dieu », « un même héritage », mais aussi dans « la communion avec Dieu et avec Christ », qui est « un Chef » de l’Eglise323. Christ en est, selon Calvin, « Prince et Capitaine ». Abordant l’ecclésiologie, il confirme davantage le lien entre l’élection divine et l’entrée dans la communion de l’Eglise324

.

La condition préalable de l’union entre nous et Christ serait l’union des deux natures du Christ. Après avoir établi la divinité et l’humanité du Christ, Calvin aborde la question de l’union de ces deux natures en une seule personne. Ce faisant, Calvin recourt à la notion de la « communication des idiomes » des anciens théologiens : « Et mesmes exprime si diligem-ment ceste union des deux natures qui est en Jesus Christ, qu’elle communique à l’une ce qui appartient à l’autre ; laquelle forme de parler a esté nommée par les Anciens docteurs com-munication des proprietez »325.

La communion avec Christ apparaît au chapitre V de « la pénitence ». En définissant le troisième article de la notion de pénitence, il accorde de l’importance à la communication avec Christ. L’Esprit de Dieu transforme l’âme du fidèle en sa sainteté. Il lui donne de nou-velles pensées et de nounou-velles affections. La mortification et la vivification viennent de la communication que nous avons avec Christ326. A propos de cette communication, l’Esprit

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« D’avantage ceste compaignie est appellée catholique, ou universelle : pource qu’il n’y a ne deux ne trois Eglises mais aucontraire, tous les esleuz de Dieu sont tellement uniz et liez en Christ : que, comme ilz depend d’un Chef, aussi ilz sont incorporez en un corps, s’entretenans ensemble comme vrays membres. Et à la vérité, ilz sont bien faictz tous un, entant qu’en une mesme Foy, Espérance et Charité, ilz vivent d’un mesme Esprit de Dieu, et sont appellez non seulement à un mesme Heritage : mais à une mesme communication de Dieu et de Jesus Christ ». IRC (1541), tome. II, p. 122. Puis « Or d’autant que nous croyons la saincte Eglise, par la communion d’icelle, à telle condition, que par le moyen que nous avons de la Foy en Christ, nous avons confiance d’en estre membres : il est expedient de considérer quel fruict nous en revient. Or ce n’est pas petite chose, de recongnoistre que nous sommes appellez en l’unité de l’Eglise : laquelle a esté esleüe et segregée du Seigneur Dieu pour estre le corps et plenitude de Christ, pillier et fondement de vérité, et perpétuel habitacle de sa Majesté di-vine ». Ibid., p. 125-6.

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« Ainsi nostre vocation et justification, n’est autre chose, qu’un tesmoignage de l’eslection Divine, entant que le Seigneur introduyt en la communion de son Eglise, ceux qu’il avoit préordonnez devant qu’ilz fussent nayz ». Ibid., p. 123.

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Ibid., p. 94.

326

« Or cela se fait, quand l’Esprit de Dieu, ayant transformé noz âmes en sa saincteté, les dirige tel-lement à nouvelles pensées et affections, qu’on puisse dire qu’elles sont autres, qu’elles n’estoient auparavant. L’une et l’autre (la mortification et la vivification) nous vient de la communication que nous avons avec Christ. Car si nous sommes vrayement participans de sa mort : par la vertu d’icelle nostre vieil homme est crucifié, et la masse de péché qui réside en nous est mortifiée : à ce que la cor-ruption de nostre premiere nature n’ayt plus de vigueur. Si nous sommes participans de sa resurrection par icelle nous sommés ressuscitez en nouvelleté de vie : laquelle respond à la Justice de Dieu ». Ibid.,

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occupe une place plus centrale dans cette version de 1541 que dans l’Institution chrétienne de 1536327.

L’insistance calvinienne sur la sanctification se retrouve dans la réflexion sur la commu-nion avec Christ, les deux étant plus liées : « Finalement il est certain que ce sont mauvais arbres, veu qu’il n’y a nulle sanctification, sinon en la communion de Christ »328

. Dans le chapitre VII où il traite de « la similitude et difference du viel et nouveau Testament », Calvin dit que la grâce du salut est parvenue par la doctrine de la connaissance de Dieu et l’homme, que le peuple de Dieu ont été unit avec Dieu par le lien de doctrine329.

A partir de l’édition de 1541, Calvin commence à mentionner la double grâce que le fi-dèle reçoit de Christ, en participant de lui.

« Il me semble advis que j’ay assez diligemment exposé cy-dessus, comment il ne reste qu’un seul refuge de salut aux hommes, à sçavoir en la Foy, puisque par la Loy ils sont tous mauldictz. Il me semble aussi que j’ay suffisamment traicté, que c’est que Foy, et quelles grâces de Dieu elle communique à l’homme, et quelz fruictz elle produit en luy. Or la somme a esté : que nous recevons et possédons par Foy Jesus Christ, comme il nous est présenté par la bonté de Dieu, et qu’en participant à luy, nous en avons double grâce. La première est que, estans par son innocence reconci-liez à Dieu, au lieu d’avoir un juge au ciel pour nous condamner, nous y avons un père tresclément. La seconde est, que nous sommes sanctifiez par son Esprit, pour méditer saincteté et innocence de vie »330.

Cette double grâce signifie celle de justification et celle de sanctification. Comme cela, Calvin les fait associer forcément avec la notion de double grâce que Christ rend sans la sépa-ration et la division aux fidèles. Dans l’édition de 1560, cela réapparaît de manière définitive

p. 179.

327

« Car après qu’il a esté declairé, que par la justice de Christ, Dieu nous est rendu propice, et nous veut estre bon Père : qu’il a aussi esté parlé du Sainct Esprit, par lequel nous sommes sanctifiez, pour

communiquer avec Christ : finalement de l’Eglise : laquelle est produicte de cela. Maintenant

consé-quemment il est faict mention de la remission des péchés : par laquelle nous sommes faictz membres de l’Eglise. Par lequel ordre il est signifié, que ceste remission ne dépend d’aillieurs, et ne consiste en autre, qu’en un seul Christ, par la vertu du Sainct Esprit ». Ibid., p. 179.

328

Ibid., p. 284.

329

« C’est que tous les hommes, que Dieu a jamais depuis le commencement du monde appellez en la compaignie de son peuple, sont parvenuz en une telle grace par ceste doctrine : et ont esté uniz avec Dieu par le lyen d’icelle ». IRC (1541), tome III, p. 7.

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en l’idée calvinienne lors de son débat avec Osiander331. C’est pourquoi la justification et la sanctification parlent simplement non pas de l’étape de la foi, c’est-à-dire, soit la sanctifica-tion subordonne, soit la sanctificasanctifica-tion suit la justificasanctifica-tion comme sa conséquence, mais de l’événement simultané de la foi.

Calvin insiste sur la grâce de justification par la foi dans l’union à Christ : « Car comment est-ce que la vraye Foy justifie ; sinon en nous adjoignant à Jésus Christ ; à fin qu’estans faictz uniz avec Luy ; nous jouyssions de la participation de sa justice ? »332 A partir de cette version de 1541, Calvin qualifie la justification par la foi comme le « principal article de la religion Chrestienne », ce qui montre bien que Calvin est sur ce point luthérien. Employant le verbe « communiquer » dans le chapitre XII « De la Cene du Seigneur », Calvin insiste sur l’unité entre Christ et nous dans la sainte cène : « Car nostre Seigneur ainsi nous communique là son corps, qu’il est entièrement faict un avec nous, et nous avec luy »333

.

331

Andreas (André) Osiander, 1498-1557, théologien luthérien, professeur à Kœnigsberg. Sur la con-troverse entre Calvin et Osiander, Infra, troisième partie, chapitre I, section 1.1

332

IRC (1541) tome II, p. 341.

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3. L’union avec Christ d’après le commentaire sur l’épître aux Romains de