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La deuxième approche : la forme et la méthode de sa théologie

L’UNION AVEC CHRIST DANS LA PERSPECTIVE TRINITAIRE

1. La problématique du dogme central

1.2 La deuxième approche : la forme et la méthode de sa théologie

Hermann Bauke a affirmé, au contraire, que la théologie calvinienne n’a pas un principe fondamental dans la mesure où le sujet central déterminerait toute la doctrine de Calvin. Il a noté les divergences parmi les calvinologues et la diversité de leurs points de vue. Il s’agit en effet de la singularité de la théologie calvinienne elle-même qui rend possible des points de

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Biéler, op. cit., 82.

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Voir IRC III. xxiv. 5, p. 456. « Il faut donc, devant que Dieu nous choisisse et appelle, qu’il ait là son patron et miroir, auquel il nous contemple : c’est à sçavoir, nostre Seigneur Iesus Christ ». Sermon

2e sur l’épître aux Ephésiens, CO 51, col. 269.

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« Eternal election is a crucial component of the more basic confession of God’s grace made sure in union with Christ ». Charles Partee, The Theology of John Calvin, Louisville, Westminster John Knox Press, 2008, p. 245.

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Heinz Otten, Calvins Theologische Anschauung von der Prädestination, Munich, Chr. Kaiser Verlag, 1938, p. 7-15, cité par Partee, The Theology of John Calvin, p. 245-6.

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vue contradictoires et provoque cette diversité. Cette singularité, conclut Bauke, ne devait pas être trouvée dans n’importe quelle doctrine unique qui aurait pu établir un système déductif comme tant d’interprètes précédents l’ont supposé, mais être trouvée en la forme même de sa théologie416.

Il affirme trois éléments en tant que forme de sa théologie417 : un rationalisme dialectico-formel, une complexio oppositorum, et un biblicisme formel : chacun des trois éléments, in-siste Bauke, sont la caractéristique formelle de la théologie de Calvin. Ce que nous trouvons dans la théologie de Calvin, donc, est un contenu compatible avec celui de Luther, mais struc-turé et représenté dans une nouvelle forme particulière418.

1) Le rationalisme dialectico-formel ne signifie pas que Calvin était rationaliste au sens où la raison naturelle parvient à la connaissance divine et s’exerce sur le contenu de la théolo-gie. Ce n’est pas un rationalisme de matière, mais formel en lequel les matières dogmatiques apparaissent, par lequel elles sont liées, exprimées et systématisées ensemble. C’est la forma-lisation logique et argumentative du donné théologique.

2) La complexio oppositorum qui réconcilie les deux autres motifs contradictoires que sont biblicisme et rationalisme, c’est la juxtaposition de doctrines logiquement opposées. Cette caractéristique rappelle le fait que coexistent beaucoup d’interprétations contradictoires chez Calvin pour des interprètes qui se sont concentrés sur une doctrine et ont négligé d’autres qui sont également importantes419. Pour Calvin, l’incohérence logique même pouvait exister à condition de rendre justice à la complexité de la révélation divine et de son expérience. 3) Le biblicisme formel est la façon de synthétiser le témoignage biblique420. Le Réfor-mateur a cherché non seulement à prendre les matières de sa théologie à partir de la Bible,

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Bauke, op. cit., p. 7-11.

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La notion de la forme dont Bauke dit « Die Form natürlich nicht nur in dem Sinne der äusseren Gewandung, des Stiles, der Anordnung, Einteilung usw., sondern in dem umfassenderen une tieferen Sinne der Verarbeitung sowohl wie der Gestaltung une inneren Formgebung des gesamten theologischen Inhaltes ». Ibid., p. 12.

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Bauke, Ibid., p. 11-14, cité par Venema, Ibid., p. 16

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Emile Doumergue a décrit, de la même façon, la méthode théologique de Calvin comme la méthode « des contrariétés ou des antinomies ». Il écrit : « La pensée de Calvin, c’est l’arc avec ses deux moi-tiés et leur deux poussées en sens contraire. Certains critiques approuvent ou désapprouvent la poussée de droite, et d’autre la poussée de gauche. Et la discussion est interminable : ils ont tous des textes.- Mais c’est ne rien comprendre à la psychologie de la vie et tout particulièrement à la théologie de notre Réformateur. Quelques textes de droite, ou quelques textes de gauche, ne sont pas plus la pensée exacte et vraie de Calvin, que la moitié gauche ou la moitié droite d’un arc n’est l’arc lui-même. L’arc, pour être l’arc, a besoin des deux poussées dites contraires, et la pensée de Calvin n’est la pensée de Calvin que grâce à ses contrariétés ou antinomies ». Le caractère de Calvin, p. 81.

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mais aussi à faire de sa théologie une représentation complète et cohérente.

D’après Bauke, ces trois éléments représentent la forme structurale de la théologie du Réformateur et constituent la nature distincte de sa pensée. Il attribue ces propres formes de Calvin à l’influence de l’esprit de la France, comme Jacques Pannier dit que « le génie est essentiellement le génie même de la race française »421.

Wendel mentionne le système de Calvin à un niveau peu différent. Ce n’est pas un sys-tème fermé, élaboré à partir d’une idée centrale, mais il englobe successivement toute une série de notions bibliques dont quelques-unes sont difficilement conciliables en logique. Re-fusant l’idée centrale, il met en évidence les « paradoxes » de Calvin.

« Mais elles ne peuvent effacer les oppositions dialectiques elles-mêmes, ce que l’on a appelé les « paradoxes » de Calvin, qu’il s’agisse de l’unité et de la distinction des deux natures en Christ, de l’amour permanent de Dieu pour ses créatures et de sa co-lère à l’endroit des hommes déchus, de la justification qui laisse l’homme pécheur, de l’imputation parfaite et immédiate de la justice du Christ et de la lente et toujours im-parfaite régénération, de la grandeur de l’homme et de sa misère, de l’abolition et de la permanence de la Loi, de la valeur des biens terrestres et de leur mépris, de l’Eglise à la fois visible et imparfaite et invisible et parfaite, de la présence du Christ dans le sacrement et de sa séance à la droite de Dieu »422.

De même, Richard Muller n’a pas vu simplement Calvin comme un théologien systéma-tique au sens moderne du mot. Selon lui, l’Institution chrétienne n’est pas clairement un sys-tème théologique comparable à La foi chrétienne de Schleiermacher ou La théologie systéma-tique de Paul Tillich dans la mesure où elle ne se meut pas déductivement de la prémisse à la conclusion logique ou par induction des évidences aux principes généraux, pour cette raison, elle n’a pas « le dogme central ». D’après lui, ceux qui étudient « le dogme central » ont in-terprété improprement les continuités et les discontinuités entre la théologie de Calvin et celle de l’orthodoxie réformée durant la période scolastique reformée423

.

421

Ibid, p. 14. Jacques Pannier, Recherches sur la formation intellectuelle de Calvin, Paris, Librairie Alcan, 1931, p. 55.

422

Wendel, Calvin. Sources et évolution de sa pensée religieuse, p. 274.

423

Voir Richard Muller, The Unaccommodated Calvin, New York, Oxford University Press, 2000, p. 178. Puis Muller, After Calvin : Studies in the Development of a Theological Tradition, New York, Oxford University Press, 1993, p. 63-80.

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La « complexio oppositorum » ou la « méthode des contradictoires », cela ne dit pas certes que sa théologie est simplement une collection d’enseignements individuels rassemblés formellement et dialectiquement, ou que l’unité intérieure manque d’ailleurs dans sa théologie. Au contraire, cela met en valeur sa perspective en tant que commentateur de la Bible et prédi-cateur, non pas en tant que théologien systématique.

Niesel a rejeté d’un autre côté cette thèse de Bauke selon laquelle la théologie de Calvin devrait être interprétée par sa forme, bien qu’il reconnaisse avec Bauke qu’aucune doctrine unique n’est la clé de sa théologie. Selon lui, la forme et le contenu dans la théologie calvi-nienne ne doivent pas être distingués. Il est convaincu qu’il faut saisir le noyau théologique de Calvin pour comprendre sa pensée, en trouvant le fil d’or qui transperce sa théologie, à savoir Jésus Christ. Il fait valoir que la révélation de Dieu en Christ contrôle tant la forme que le contenu de sa théologie.

1.3 La troisième approche : recherche d’autres dogmes d’importance