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La diversité de la notion de l’union

LA NATURE DE L’UNION AVEC CHRIST ET SES DIMENSIONS

2. Unio mystica

2.1 L’union incompréhensible

2.1.2 La diversité de la notion de l’union

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I. 411. Op. XIV, 669, cité par Benoît, Calvin. Directeur d’âmes, p. 77.

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Le Commentaire sur l’Evangile de Jean 15,1, p. 413.

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Calvin affirme avec force la nécessité de l’« union » qui, elle, suppose toujours la sépara-tion originelle836. Il emploie la notion de l’union avec celle de la « communion », de la « communication » et de la « participation ». Or il n’est pas aisé de distinguer ces notions, puisque Calvin lui-même ne les utilise pas en les discernant de façon rigoureuse comme des notions philosophiques.

Pour Calvin le langage de l’union et celui de la communion (κοινωνία) sont voisins l’un de l’autre. Par exemple, Calvin écrit dans son livre III. xiv. 6 où il traite de la justification : « Mais au contraire, comment que nous soyons rachetez de Christ, si est-ce toutesfois que nous demeurons tousiours enfans de ténèbres, ennemis de Dieu, et héritiers de son ire, iusques à ce que par la vocation gratuite du Père nous sommes incorporez en la communion de Christ ». Cette dernière phrase « la communion de Christ » exprime la même idée que l’union avec Christ par rapport à laquelle Calvin a dit qu’« il est inutile que tout ce que Christ a fait pour le salut soit jusqu’à ce que nous soyons faits un avec lui » dans l’Institution chrétienne III. i. 1. Publié à l’occasion du 500e anniversaire de la naissance de Calvin, dans un livre The Cal-vin Handbook, ce sujet « Communio cum Christo » a été traité par Randall C. Zachman. L’auteur y emploie dans le même sens le langage de l’union et celui de la communion837

. Même si l’union et la communion ont le même contenu, la communion renvoie en quelque sorte à un langage plus dynamique que l’union. Si l’union au Christ est pour Calvin une réali-té et de moment en moment, dans la durée, « continuelle » par rapport au salut, la communion signifie davantage l’échange entre personnes (Christ et nous). C’est-à-dire, à partir du mo-ment de l’union, on pourrait dire que la communion se réalise entre Christ et le chrétien. Or après avoir mentionné l’union entre Christ et nous, Calvin explicite la notion « union », en employant la notion « communion » en tant que synonyme, d’autant que cette union présente également un caractère personnel et mutuel comme la communion : cette union est la con-jonction mutuelle, à savoir « Jésus Christ est unit à nous, et nous à lui »838. Or il nous semble que si l’union veut dire un état d’unité entre deux êtres, la communion y insiste plutôt sur une relation.

Le langage de la communion et celui de la communication et de la participation sont éga-lement voisins l’un de l’autre. La « communicatio » en latin, Calvin la traduit par le mot fran-çais « communion » : voici un texte latin de 1539 : « Postremo malas esse arbores constat,

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Malet, Dieu selon Calvin, p. 146-7.

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Zachman, « Communio cum Christo », dans The Calvin Handbook, p. 365-71.

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quando sine Christi communicatione nulla est sanctificatio »839. Dans le texte française de 1541 : « Finalement, il est certain que ce sont mauvais arbres, veu qu’il n’y a nulle sanctifica-tion, sinon en la communion de Christ ».

Bien qu’il emploie le mot « communion » et le mot « communication » en termes inter-changeables, toutefois, pour affirmer plus clairement le maintien de la distinction, à la place du mot « communion », il préfère se servir le mot « communication » qu’implique le refus de la confusion entre Christ et le fidèle. La relation du fidèle au Christ est la plus étroite possible. Mais qui dit communion ne dit pas fusion. La « participation » qui est un synonyme à la « communication » ; nous voyons un autre terme : « participatio » en latin, Calvin traduit par le mot français « communication » : « Utrumque ex Christi participatione nobis contingit »840. Mais la traduction française de 1541 dit : « L’une et l’autre (la mortification et la vivification) nous vient de la communication que nous avons avec Christ ». Avant tout, le mot « koinonia » en la Bible grecque, est traduit par Calvin soit par « communion » soit par « participation ». Calvin croit que « koinonia » implique une intime fréquentation, le partage et la participation. Pour Calvin, la communication (ou la participation) veut dire jouir ou bénéficier des biens en entretenant la distinction entre Christ et nous841. Le langage de la communication est celui qui se rattache souvent aux bienfaits que Christ nous rend. « Que nous ne pouvons estre parti-cipans de luy (Christ), sinon en communiquant à tous les biens qu’il a receus de Dieu son Père »842.

Alors que les mots, « union », « communion », « communication » et « participation » s’emploient en tant que synonymes, on pourrait définir une relation entre eux comme suit : la personne élue de Dieu s’unit au Christ par la foi, ensuite elle entre dans la communion avec Christ, finalement elle a part à la communication ou participe au Christ pour recevoir les grâces que Christ donne. Mais cet ordre est seulement logique, en nous, cela se passe entiè-rement en même temps, l’ordre logique n’est pas forcément chronologique. Je cite : « Car quand sainct Paul veut definir en brief la fin de l’Evangile, et son vray usage, il dit que nous sommes appellez pour communiquer à nostre Seigneur Iesus, pour estre unis tellement avec luy, que nous y soyons incorporez et qu’il habite quant et quant en nous, et que nous soyons conioints ensemble d’un lien inseparable »843. Non seulement le terme « unir » est usité avec le terme « communiquer », « incorporer », « habiter » et « conjoindre », mais aussi on peut

839 CO 1, col. 757. 840 CO 1, col. 690. 841

Voir le Commentaire sur l’Evangile de Jean 17,21.

842

Sermon 27e sur l’épître aux Ephésiens, CO 51, col. 591.

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saisir le concept de simultanéité. En outre, Calvin connaît de nombreuses manières de dire notre union intime au Christ : l’ « un » avec Christ, « Christ est nôtre », la « présence » du Christ, la « greffe sur Christ », l’« adoption », « le fait de revêtir le Christ », le « mariage spi-rituel », comme J. Todd Billings dit que les images de Bible nous enseignent que nous nous trouvons en Christ autour du concept de l’union, de la greffe et de l’adoption chez Calvin844

. A propos du salut en Christ, Calvin possédait plusieurs notions et métaphores. En outre, la diversité des terminologies et l’usage des métaphores par rapport à l’union serait une mé-thode calvinienne théologique : c’est-à-dire, une manière qui fait apparaître mieux la signifi-cation de la notion afin d’expliquer une réalité.

Calvin emploie deux fois le mot « unio mystica » dans son Institution chrétienne de 1560. La première mention se trouve dans le contexte du sujet de l’incarnation du Christ, l’autre dans celui du sujet de la rédemption. Nous citons l’une après l’autre :

« Mais il y auroit bien bis, si nous voulions croire ce fantastique, car Iesus Christ eust esté un expositeur terrestre s’amusant au sens litéral, veu qu’il ne traite point de l’union mystique (mystica unio) qu’il a avec son Eglise, mais allègue le passage pour monstrer quelle foy et loyauté doit le mary à sa femme (...) » 845

Ce texte dit que, bien que Calvin ne traite pas ici directement du thème de l’ « union mystique » que Christ a avec son Eglise, il avoue non seulement l’union de l’Eglise avec Christ mais aussi cela montre le fait qu’il entend l’Eglise comme une union de tous les fidèles, dans la dimension de l’union mystique. Chez Calvin, l’unio mystica a lieu dans deux dimensions : 1. l’unio mystica du fidèle avec Christ et 2. l’unio mystica de l’Eglise avec Christ. La première se rattache à la dimension verticale, la deuxième à la dimension horizontale. Philippe Crignon écrit à ce propos : « Cette union verticale se prolonge natu-rellement en une union horizontale de tous les fidèles. Etre uni au Christ, c’est participer au corps christique et en devenir l’un des membres, uni aux autres membres : « … il faut tout d’abord nous incorporer à Christ, pour être unis entre nous » (Le commentaire sur la première épître aux Corinthiens 10,16) »846.

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J. Todd Billings, Calvin, Participation and the Gift : The Activity of Believes in Union with Christ, Oxford, Oxford University press, 2007, p. 19.

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IRC II. xii. 7, p. 242.

846

« Union mystique et union politique », dans O. Abel - P-F. Moreau - D. Weber (éd.), Jean Calvin et

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Nous lisons le deuxième texte :

« Parquoy i’esleve en degré souverain la conionction que nous avons avec nostre chef, la demeure qu’il fait en noz cœurs par foy, l’union sacrée (unio mystica) par laquelle nous iouissons de luy : à ce qu’estant ainsi nostre il nous départisse les biens ausquels il abonde en perfection. Ie ne di pas donc que nous devons spéculer Iesus Christ de loin ou hors de nous, afin que sa iustice nous soit alloée : mais pource que nous sommes vestus de luy et entez en son corps : bref pource qu’il a bien daigné nous faire un avec soy »847.

Calvin emploie le « nous », quand il traite de l’expérience commune à tous les chrétiens. Mais il emploie le « je », au moment de mentionner l’idée mystique : il s’agît de l’union avec Christ. Richard Stauffer écrit : « dans une série de discours d’une interprétation délicate, le « je » revêt un sens qu’il qualifie de mystique »848. Dans le passage exprimant l’idée mystique, nous pouvons retrouver également divers termes qui indiquent l’union du fidèle avec Christ : « conjonction » avec le Chef, « habitation » en notre cœur, « union sacrée ». En fait, ce sont des emprunts que Calvin a faits à la Bible, en particulier à l’Evangile de Jean « Vous êtres en moi, et que je suis en vous » ou les épîtres de Paul « Christ vit en nous » 849. Transparaît la réserve calvinienne à l’égard de la sécheresse de la théologie scolastique derrière ces riches expressions : Calvin ressent la froideur de celle-ci pour le cœur. Pour lui, connaître l’unio mystica n’est pas « une spéculation oisive » : Calvin lui-même déclare ainsi : « on ne peut connaître par une spéculation oisive quelle est la sainte et spirituelle union qui est entre lui et

gneur donc choisist pour ses enfants ceux qu’il eslist, et délibère d’estre leur père ; mais en les appel-lant il les introduit en sa famille, et se conioint et allie avec eux, pour estre faits comme un ». IRC III. xxiv. 1, p. 451.

847

IRC III. xi. 10, p. 214.

848

Richard Stauffer, « Les discours à la première personne dans les sermons de Calvin », dans Regards

contemporains sur Jean Calvin (Actes du Colloque Calvin de Strasbourg, 1964), Paris, Presses

univer-sitaires de France, 1965, p. 238.

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« En ce jour-là, vous connaîtrez que je suis en mon Père et que vous êtes en moi et moi en vous » (L’Evangile de Jean 14,20, TOB). « Je suis la vigne, vous êtes les sarments : celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là portera du fruit en abondance car, en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire » (L’Evangile de Jean 15,5, TOB) ». « … je vis, mais ce n’est plus moi, c’est Christ qui vit en moi. Car ma vie présente dans la chair, je la vis dans la foi au Fils de Dieu qui m’a aimé et s’est livré pour moi » (Galates 2,20, TOB). « … qu’il fasse habiter le Christ en vos cœurs par la foi (...) » (Ephésiens 3,17, TOB). J. Todd Billings, Union with Christ: Reframing Theology and Ministry for the

Church, Michigan, Grand Rapids, Baker Academic, 2011, p. 65 : « The images of union with Christ,

ingrafting into Christ, partaking of Christ, and adoption were drawn from Paul and johannien writings in the New Testament and were deeply woven into the fabric of Calvin’s soteriology ».

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nous »850. Le seul moyen de cette connaissance est plus pratique : c’est d’y participer par la vertu occulte de l’Esprit.

La formulation de l’« union sacrée » traduit « unio mystica » dans le texte latin. Calvin aime traduire « mystica » par le qualificatif « sacrée » ou « secrète »851. Il a déclaré à maintes reprises que notre union avec Christ revêt finalement un caractère mystique, secret, indicible et admirable. Ecoutons Calvin mettre en avant le caractère mystique de l’union avec Christ.

« C’est pourquoi il ajoute « en Christ », parce que les choses dont il parle n’apparaissent point encore dans les membres, mais seulement au Chef ; toutesfois, à cause de cette union secrète (arcanam unitatem) que les membres ont avec le Chef, elles leur appartiennent certainement, et viennent jusqu’à eux »852

.

Mais en ce point, nous devons saisir les limites de cette notion : pour expliquer la notion de l’union, si Calvin utilise le qualificatif « mystique », c’est avant tout pour exprimer le ca-ractère incompréhensible de l’union. On peut l’expliquer par plusieurs termes, mais sa com-préhension parfaite n’est en fait pas possible, puisque cela dépasse notre entendement : « Et pour prouver cela, il (Paul) amène ceste raison, que Iesus Christ habite en nous, et non pas qu’il est hors de nous ; et non seulement adhère à nous par un lien indissoluble, mais par une conionction admirable et surmontant nostre entendement (…) »853

Lorsque Calvin pose la question de l’exacte nature de l’union, il insiste toujours que cela nous est « mystérieux » et « incompréhensible ». Il souligne le caractère surnaturel de cette union et combien elle est de l’ordre du mystère. Ainsi, nous ne pouvons pas comprendre com-plètement notre union avec Christ. Comme elle dépasse l’entendement humain, Calvin lui-même dit que :

« Mais quant à moi, je suis ravi en étonnement de l’excellence incompréhensible de ce secret, et je n’ai point honte, avec S. Paul, de confesser mon ignorance par l’admiration. Car ne vaut-il pas mieux faire ainsi, plutôt que d’amoindrir par mon sens charnel ce que S. Paul dit être un grand mystère ? Et la raison même nous

850

Le Commentaire sur l’Evangile de Jean 14,20.

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Le Commentaire de l’épître aux Ephésiens 5,29 : en latin : « Et est locus insignis de mystica

com-municatione quam habemus cum Christo ». CO 51, col. 225. En français : « Et c’est un beau passage de la communication secrète que nous avons avec Christ ».

852

Le Commentaire sur l’épître aux Ephésiens 2,6.

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seigne de faire ainsi, car tout ce qui est surnaturel, surmonte certes la capacité de notre entendement. C’est pourquoi, donnons ordre que nous sentions Christ vivant en nous, plutôt que le moyen de cette communication nous soit manifestée »854.

La connaissance de la vérité divine, cela suffit à savoir que Dieu ne révèle que ce que nous avons besoin de connaître actuellement. Calvin n’a jamais tenté d’expliciter la nature du processus de cette union ou communication mystique en entrant là en détail, mais il estime que par cette union mystique, nous sommes « réellement », « véritablement », unis avec Christ par l’Esprit Saint. C’est l’ « union spirituelle » : ce n’est pas une imagination, c’est un fait qui a un effet évident855. L’important, c’est de s’approprier notre salut par cette union856. Calvin a préféré jouir, goûter et vivre cette union que la comprendre. En outre, pour lui, dire que cette union est mystique, c’est avouer finalement les limites de la raison humaine, de la compréhension de la foi, l’impuissance du langage humain à exprimer ce qu’est cette union. Pour Calvin, le sens du mot « mystique » est très proche de « mystérieux ».