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2.2 Travaux antérieurs de reconstitution d’historiques de crues

2.2.1 Travaux menés en France

Des travaux de recherches historiques concernant les crues des cours d’eau se sont développés en France dès le début des années 1990. On peut par exemple citer plusieurs études concernant les crues dans le Roussillon (et en particulier l’Aiguat de 1940), menés à l’université Paris X sous la direction du Professeur G. Soutadé [Charreteur, Tarcy, 1987], et notamment les thèses de Desailly [1990] et Meschinet de Richemond [1997]. Des travaux concernant les cours d’eau Pyrénéens ont débuté à la même période à l’Université de Toulouse - Le Mirail [Antoine, 1992, Antoine et al., 1993]. Les travaux dirigés par M. Livet, au LRPC1 de Clermont-Ferrand, concernant les crues historiques de petits cours d’eau dans le Puy de Dôme, méritent également d’être cités [Valleix,

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1994, Hallegouet, 1995, Livet, 1994, 1997]. Enfin, par la suite, plusieurs études ont été menées sous la direction de M. Lang, au CEMAGREF de Lyon, conjointement avec l’historien D. Coeur, dans le cadre du programme français Historisque, puis du projet européen SPHERE : ces études ont porté successivement sur l’Isère, Le Guiers, et l’Ardèche [Coeur et al., 1998, Coeur and Lang, 2000, 2002, Coeur et al., 2002, Lang et al., 1998, 2002, Naulet et al., 2001, Naulet, 2002].

2.2.1.1 Les travaux menés dans les Pyrénées Orientales et le Puy de Dôme

Ces premiers travaux se limitent d’une façon générale au recensement et à la description qualitative des crues. Ils contiennent toutefois des éléments de comparaison permettant de classer les crues en fonction de leur intensité. Charreteur utilise par exemple la place réservée aux différents événements dans la presse de façon à en tirer une hiérarchie. Livet [1994, 1997] pour sa part retrouve, aux archives départementales, des descriptions de crues indiquant les niveaux atteints.

Ces travaux donnent une première idée des fonds documentaires présentant un intérêt pour la reconstitution historique des crues de petits cours d’eau. Livet [1997] se base pour l’essen- tiel sur les archives départementales, mais il insiste également sur l’utilité possible des archives communales, diocésaines et privées. Les séries exploitées aux archives départementales dans le cas de l’étude des cours d’eau du Puy de Dôme sont les séries C (Ancien Régime), L (période révolutionnaire), M (administration générale et économie), S (Travaux Publics et Transports), P (Finances de l’Etat), Fi (plans et cartes). Livet remarque la nette amélioration du volume et de la qualité des documents disponibles à partir du début du XIXeme siècle. Alors que les fonds de l’ancien régime se bornent le plus souvent à des descriptions qualitatives des événe- ments et des dégâts occasionnés (pour l’obtention d’indemnisations), dès la première moitié du XIXeme siècle, avec le développement progressif des administrations départementales des Ponts et Chaussées et des Eaux et Forêts, l’information disponible devient de plus en plus technique et détaillée, avec notamment des plans de plus en plus nombreux. Livet remarque également que la présence d’informations en archives est très liée à l’occupation de l’espace proche du cours d’eau, ou autrement dit à la vulnérabilité de cet espace aux inondations : l’information est plus fournie lorsque la crue a touché un ouvrage d’art, un village, ou, plus couramment, une activité industrielle tirant son énergie d’un moulin. Une crue ayant simplement touché un petit bassin agricole semble avoir beaucoup moins de chances d’être enregistrée.

Le travaux successifs menés dans les Pyrénées Orientales, pour leur part, exploitent un cadre documentaire sensiblement plus large. Les sources exploitées sont la presse, les archives des services déconcentrés de l’Etat (DDE, DDAF2), les bibliothèques municipales et Nationale [Tarcy, 1987]. L’apport de chacun des fonds pour le recensement des crues est évalué, mais les cours d’eau concernés sont déjà de taille sensiblement plus importante que ceux que nous avons décidé d’étudier ici.

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2.2.1.2 Les travaux menés sur l’Isère, le Guiers et l’Ardèche

Ces travaux, plus récents, ont notamment permis de définir un cadre méthodologique très utile, aidant à garantir la qualité de la recherche en archives. Ces travaux ont été menés conjointement par M. Lang (Cemagref de Lyon) et l’historien D. Coeur. Ils ont porté successivement sur l’Isère, puis le Guiers et enfin l’Ardèche, la précision des reconstitutions effectuées semblant progresser à chacune de ces expériences : d’une hiérarchisation qualitative des crues dans le cas de l’Isère, jusqu’à une estimation systématique du débit des crues historiques dans le cas de l’Ardèche.

La méthodologie de recherche en archives développée lors de ces travaux, vise à la fois à garantir l’exhaustivité de la recherche et à rendre l’information collectée exploitable par les hydrologues. Cette méthodologie débute par un inventaire complet des sources d’archives potentiellement intéressantes, ou État Général des Sources (E.G.S.), réalisé par un historien. Cet E.G.S. est réalisé en exploitant en parallèle l’ensemble des fonds d’archives pouvant présenter un intérêt : archives départementales, archives nationales, archives des services déconcentrés de l’Etat (DDE, DIREN), bibliothèques (Bibliothèque de la Société Hydrotechnique de France, Bibliothèque Nationale), fonds spécifiques (fonds Pardé, fonds historique de l’ENPC3). Seules les archives de presse ne sont pas exploitées. L’établissement de l’E.G.S. est réalisé à partir d’une liste d’informations recherchées par les hydrologues, et utiles notamment pour la reconstitution ultérieure des débits de pointe des crues, cette liste permettant de guider l’historien dans sa recherche. Un exemple de liste est présenté sur la figure 2.1. Les cotes documentaires référencées dans l’E.G.S. sont par la suite consultées par les hydrologues de façon à en évaluer l’intérêt réel, et à en extraire les documents utiles. Une difficulté vient alors de l’important volume de documents disponibles, dont il est difficile, pour l’hydrologue menant la recherche, de conserver une vision d’ensemble. Pour faire face à cette difficulté, les documents extraits de l’E.G.S. sont décrits dans une base de données, avec un référencement par mots clés qui facilite leur utilisation ultérieure [Naulet, 2002, Naulet et al., 2001]. Enfin, les documents collectés peuvent être comparés et critiqués pour une même crue, éventuellement complétés par une autre recherche, et sont finalement utilisés pour réaliser l’inventaire des crues historiques du cours d’eau et pour estimer leur débit de pointe.

Cette méthodologie présente finalement quatre phases principales [Coeur and Lang, 2002] : Inventaire, Collecte, Analyse, Traitement. Dans la pratique ces quatre phases ne sont pas suc- cessives car la recherche s’avère itérative : l’E.G.S. initial peut nécessiter des compléments dont l’utilité n’apparaît qu’après la consultation de certains documents, qui orientent la recherche dans de nouvelles voies. L’enquête nécessite donc un certain nombre d’aller-retours entre les différentes étapes. La figure 2.2 présente une illustration de ces quatre phases de travail et des allers-retours nécessaires lors de la recherche.

Parmi les fonds qui se sont avérés particulièrement utiles lors de ces travaux [Lang et al., 2002, Naulet, 2002], on trouve à nouveau les fonds des archives départementales, notamment ceux rela-

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Fig. 2.1 – Grille d’enquête permettant de guider l’établissement de l’EGS [Coeur and Lang, 2002].

Fig. 2.2 – Répartition des tâches entre les quatre phases Inventaire Collecte Analyse Traitement au cours de l’enquête historique [Coeur and Lang, 2002].

tifs aux administrations de l’Etat (tout particulièrement les fonds des Ponts et Chaussées, séries S et W). Toutefois ici l’enquête a été réalisée dans un cadre plus large, et a permis d’identifier d’autres fonds d’archives dignes d’intérêt : on peut par exemple citer le Fonds Maurice Pardé (Institut de Géographie Alpine, Grenoble), le fonds historique de l’ENPC où des plans précieux ont été retrouvés, et dans une moindre mesure les Archives Nationales.

Outre la méthodologie de collecte de l’information, ces recherches présentent l’intérêt d’avoir poursuivi le travail de reconstitution jusqu’à l’estimation des débits des crues historiques. Dans le cas du Guiers, Lang et al. [1998] présente un premier essai d’estimation, réalisé à partir d’un dossier de police de l’eau, établi en octobre 1875 pour autoriser l’établissement d’un barrage. Ce dossier comporte un profil en long et six sections donnant la cote de la crue de 1875. Ces plans, comparés à la topographie actuelle du cours d’eau, permettent de conclure à un abaissement du lit d’environ 40 centimètres depuis 1875. Les cotes de la crue de 1875, revues en conséquence (abaissées de 40 cm), sont comparées aux lignes d’eau issues d’un modèle hydraulique (calé pour la topographie actuelle du cours d’eau) de façon à réaliser l’estimation du débit. La fourchette de débit obtenue n’est pas très large (de 251 à 285 m3.s−1), mais n’est pas du tout cohérente avec l’estimation réalisée à l’époque de la crue (400 m3.s−1). Cette différence est due à des valeurs différentes du coefficient de Strickler choisi (K=25 pour le modèle actuel, K=35 pour l’estimation réalisée à l’époque). Cette première expérience met donc en évidence l’incertitude liée à l’évaluation du coefficient K, coefficient qui ne peut pas être calé pour la période ancienne faute de données suffisantes. Dans le cas de l’Ardèche [Lang et al., 2002, Naulet, 2002], le contexte rencontré est beaucoup plus favorable, avec la présence de deux tronçons de plusieurs kilomètres chacun, situés respectivement à l’entrée (Vallon Pont d’Arc) et à la sortie des gorges (Pont Saint Martin), dans lesquels la topographie du cours d’eau évolue relativement peu dans le temps (affleurement de la roche mère en fond du lit), et qui sont équipés de plusieurs stations hydrométriques, auxquelles plusieurs crues ont été jaugées. Dans ces conditions le coefficient de Strickler K a pu être calé par modélisation hydraulique de la ligne d’eau de façon à reconstituer les courbes de tarage dans la période récente. Ces courbes ont été étendues à la période ancienne en exploitant les informations sur les modifications de la topographie, ainsi que les jaugeages anciens et/ou cotes de crues historiques. Malgré ces conditions très favorables, une analyse de sensibilité

des courbes de tarage obtenues, tenant compte à la fois de l’incertitude sur les débits jaugés, des évolutions de la topographie, de l’incertitude sur les coefficients K calés (coefficients variables en fonction du débit), montre que l’incertitude sur les débits reconstitués reste relativement importante [Naulet, 2002]. Cette incertitude a été estimée à environ +- 25 à 50 % dans le secteur de Vallon (suivant la période considérée et le niveau de débit) et à +- 25 à 40 % dans le secteur de Saint Martin. Elle provient là encore pour l’essentiel de l’incertitude sur l’estimation des coefficients de rugosité K.

Ces travaux montrent toutefois qu’il est envisageable d’effectuer une estimation des débits de pointe des crues historiques, en se basant sur des documents d’archives, et d’y associer une incer- titude compte-tenu des facteurs d’imprécision rencontrés. Ces estimations peuvent être réalisées y compris à partir d’informations très locales comme dans le cas du Guiers, ou en recoupant les cotes observées en plusieurs sections, par modélisation hydraulique.