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Travailler plus pour gagner plus 2 : L’enjeu de la reconnaissance ou non des temps

La logique extensive d’engagement dans le travail peut se heurter à certaines limites : comme le rappelait Fabienne, il n’y a que 24 heures dans une journée ; mais il y a aussi l’amplitude horaire, plus ou moins large, que les employeurs sont prêts à rémunérer et, ce faisant, à reconnaître comme relevant de l’emploi.

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De fait, une des plus grandes difficultés de l’enchaînement de contrats courts réside précisément dans le fait qu’ils ne s’enchaînent pas ou mal et que l’emprise temporelle d’un emploi dans la journée d’un salarié peut largement dépasser son temps reconnu et rémunéré de travail. C’est en particulier le cas pour tous les emplois en contrats courts ou moins courts de quelques heures quotidiennes. Ainsi faire 35 heures hebdomadaires en positionnant des missions de 2 heures dans des lieux éloignés relève-t-il de la gageure. De ce point de vue, augmenter soit le nombre d’heures travaillées, soit réussir à se faire rémunérer davantage d’heures pour une même emprise horaire, constituent d’autres avatars du « travailler plus pour gagner plus ».

Plusieurs enquêtés qui travaillent dans des secteurs où les missions sont de quelques heures sont rémunérés au SMIC, voire très légèrement au-dessus du SMIC, avec des rémunérations non négociables. Dans cette perspective, le nombre d’heures par vacation est déterminant pour savoir si travailler « vaut le coup ». Augmenter le nombre d’heures devient un enjeu central. Dans la restauration, sur une fonction équivalente, les salaires horaires sont identiques. Il n’y a aucune reconnaissance de l’ancienneté. Pour « monter » et améliorer leur situation, les enquêtés cherchent à augmenter le nombre d’heures travaillées.

Florence (06_007), 52 ans, extra dans la restauration, travaille pour des traiteurs sur la Côte d’Azur.

« ça fait 10 ans-15 ans que vous allez chez un traiteur, mais vous arrivez pas à évoluer. On vous fait faire toujours ce qu’on appelle des sèches, c’est-à-dire la vacation la plus petite. En général, c’est six heures de travail. Et moi, je vois chez Lenôtre, je vais chez eux depuis l’ouverture, il y a un truc qui doit pas passer, je sais pas à quel niveau, mais jamais j’ai réussi à monter, à être justement dans l’équipe de base, ceux qu’on appelle en premier, qui vont faire le plus d’heures depuis l’ouverture jusqu’à la fermeture. Parce que le but du jeu c’est d’avoir des grosses journées, c’est pas d’avoir des petites journées de cinq heures de boulot. Moi, je préfère me déplacer et avoir une belle journée et… »

Florence prend ensuite l’exemple récent dans lequel elle n’a pas réussi à être retenue dans « l’équipe de base » pour travailler plus longtemps puisque, de toute manière, elle était déjà sur place.

« Et on serait restés jusqu’à 1 heure du matin, là c’était le Saint graal, j’avais une heure supplémentaire. Mais non, parce qu’on était une cinquantaine de serveurs et ils en ont gardé 10 à la fin, l’équipe de base, les 40 autres, on est tous partis à minuit. » (Nathalie, 06_007, 52 ans)

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Damien (95_011) qui est chef d’équipe sur des missions de distribution de tracts explique que l’intérêt de cette fonction n’est pas tant la rémunération (12 centimes supplémentaires par heure) mais le fait que les missions durent plus longtemps.

E : Et le taux horaire pour chef d’équipe, c’est quoi ?

I : Alors, je sais même plus, parce que le taux il a changé. Je sais qu’on a été augmenté. Je sais que la différence entre chef d’équipe et animateur, la différence est de 12 centimes de l’heure.

E : D’accord.

I : Mais au final on reçoit, on va dire, un peu un petit plus, parce que comme on est plus longtemps sur le terrain, et qu’au final, on va dire entre guillemets, notre temps de monopolisation dans notre vie privée est à peu près identique, parce qu’au final… enfin, ça s’équilibre qu’on finisse à 9 heures et demie ou à 10 heures et quart, ça change rien au final. On est réveillé, on est réveillé quoi. Au final, ça change pas trop. Par contre, voilà, la différence est de 12 centimes de l’heure » (Damien, 95_011, 28 ans)

Pour Huguette et Fabienne, dans le secteur du « merch », négocier la rémunération est exclu. Par contre, il y a deux manières de rendre la rémunération plus avantageuse. La première tient à la logique du « fini parti ». Pour certaines tâches, elles sont payées un nombre d’heures établi à l’avance mais dès qu’elles ont fini, elles peuvent partir. Il s’agit donc de repérer ces missions avantageuses et ensuite, de faire le travail le plus vite possible.

« I : Quand on y va pour deux heures, on s’en fout de l’ambiance, quoi. Je veux dire, moi, deux heures, je fais mon taf et puis je m’en vais. J’essaye de finir le plus vite possible, parce que c’est fini-parti.

E : Ah bon ?

I : Oui. Pas pour les animations. Il y a des horaires les animations. Mais les mises en rayon, c’est fini-parti.

E : Et donc là, on vous paie deux heures et vous faites en une heure et demie, admettons, et puis…

I : Voilà.

E : Et ça, vous le savez à l’avance ? I : Non. C’est sûr que…

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E : Oui. Donc, vous pouvez pas prévoir non plus, des choses trop serrées, c’est compliqué, quoi ?

I : Il y a des commerciaux qui sont très larges en heures. Il y a une commerciale, on adore bosser avec elle parce qu’elle a aucune notion du temps, aucune.

E : Donc, elle vous colle quatre heures pour faire un truc (41:26), c’est ça ?

I : Pour faire un truc qu’on fait en deux heures, oui, faciles. Oui, deux heures, quand ça se passe mal. Elle dit : « Je me suis encore trompée dans les heures, tant pis ».

E : D’accord. Elle le fait un peu exprès, quoi ? Non, vous ne pensez pas ?

I : Les commerciaux ont quand même un quota d’heures et tout. Donc, ils ne peuvent pas faire n’importe quoi non plus, parce qu’en fin d’année, après, quand ils ont bouffé leur quota d’heures, après ça devient compliqué pour eux. Non, mais c’est un monde sympa, quoi. C’est galère. (Huguette, 06_008, 63 ans)

3.3 Travailler en contrats courts pour travailler peu et libérer du temps pour

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