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La durée est un des éléments déterminants lorsqu’on cherche à caractériser les organisations de l’emploi et le vécu des contrats courts. Les missions de quelques heures dans les secteurs commerciaux (sondage, animation commerciale) et les remplacements d’un mois dans un établissement hospitalier relèvent de logiques apparemment très différentes. On peut se demander si la durée n’est pas corrélée à la segmentation du marché du travail avec des contrats d’un mois correspondant à des marchés du travail segmentés et des contrats de quelques heures correspondant à des marchés du travail qui ne le seraient pas.

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2.1.1 Le remplacement, logique de marché segmenté

Une partie des salariés en contrat de moins d’un mois sont embauchés pour remplacer des salariés absents. Dans ces cas-là, parmi les salariés que nous avons rencontrés, les contrats de moins d’une semaine sont rares et les contrats durent plutôt d’une semaine à un mois, avec parfois des contrats renouvelables pour des durées qui excèdent le mois. Dans ces situations de remplacement, il est fréquent que les salariés espèrent que ce sera un tremplin pour décrocher un CDI, soit directement, soit en passant par des CDD de plus longue durée.

Salimata (95_022), 27 ans, sans qualification, a été embauchée à

plusieurs reprises par un même établissement pour personnes âgées à la blanchisserie pour remplacer soit une personne en longue maladie, soit des salariés en congés ou courte maladie. Elles étaient deux à effectuer ces remplacements. Alors qu’elle espérait un CDI dans ce service de blanchisserie, lorsqu’un poste a été créé, il a été donné à l’autre remplaçante.

Florian (80_031),23 ans, titulaire d’un bac professionnel, a été embauché plusieurs fois par la même entreprise publique de ramassage d’ordures ménagères. D’abord sur des CDD pour faire des remplacements. Il a eu des contrats d’un mois, deux semaines, un mois. Après six mois sans contrat, on lui propose à nouveau à un CDD d’un mois. Embauché ensuite sur un contrat d’avenir de trois ans, on lui a promis un CDI à la clé dont il estime qu’il a 99 % de chances de le décrocher au moment de l’entretien en juin 2019. Il lui reste alors un an à faire en contrat d’avenir.

Amélie (80_034), 23 ans, titulaire d’un CAP coiffure, a effectué plusieurs CDD dans un supermarché dans une petite ville de la Somme pour des remplacements. Sur une période de six mois, elle a enchainé dix CDD. Le patron l’a tout de suite prévenue qu’il n’y aurait pas de CDI à la clé. Pourtant, elle a toujours répondu positivement quand on lui a demandé de faire des heures non initialement prévues à son planning. Elle espérait à la fois avoir d’autres CDD dans ce supermarché ou pouvoir valoriser ces expériences dans d’autres établissements.

Il nous semble important d’insister sur la logique du remplacement dans la mesure où, quelle que soit sa forme, quels que soient les parcours effectifs ou souhaités des salariés qui opèrent ces remplacements, la référence à l’emploi stable est centrale. Même si on parle de salariés qui exercent en permanence en remplacement (ce qui n’est pas le cas ici), l’emploi court ne prend sens qu’en rapport à un emploi stable ce qui, dans les deux cas, indique une logique de segmentation dans lesquels emplois stables ou permanents et emplois courts se

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partagent le même marché du travail, les emplois courts n’existant que parce qu’il existe des emplois stables.

2.1.2 Le contrat court comme usage dominant dans des marchés du travail non segmentés

La pratique et l’expérience des contrats de moins d’un mois semblent assez profondément différentes dans les secteurs d’activité dont les modèles économiques reposent sur un fort recours aux contrats courts. Ces contrats peuvent aller de quelques jours à un mois. Avant toute chose il faut préciser que les contrats courts dont nous parlons peuvent être extrêmement courts à tel point que, dans les cas les plus extrêmes, certains doivent faire référence à la minute comme unité temporelle. Par ailleurs, les cas de salariés bénéficiant de plusieurs contrats de travail dans une seule journée ne sont pas rares.

Damien (95_011) travaille pour une entreprise de distribution de publicité. La lecture de son rapport d’activité mensuel montre de manière surprenante que le nombre d’heures mentionnés ne correspond pas, de façon fréquente, à un nombre d’heures rond. Ainsi est-il parfois payé pour 10 heures et 25 minutes ou trois heures 55 minutes. Sur le rapport d’activité mensuel qu’il nous montre sont mentionnées 89,91 heures. L’explication qu’il donne semble témoigner du fait que plusieurs contrats sont signés successivement dans la même journée.

« Donc on gros, on m’a payé une heure trente, donc c’est pour ça qu’on s’arrête à 19 heures 59, parce qu’ils ne peuvent pas faire arrêter un contrat à 20 heures et faire reprendre un autre à 20 heures ».

Anissa (80_008), 24 ans, est étudiante à Amiens et effectue des missions dans la logistique.

« I : Et du coup, comment tu arbitres, mettons si tu as 2 offres d’emploi ?

E : Le premier qui m’appelle. Parce que de toute manière, on peut pas… on n’a pas trop de critères de choix, parce que, on est payé au même… au même tarif, voilà… Après, si y en a un qui propose plus d’heures, ça c’est sûr qu’on va préférer celui qui propose plus d’heures, quoi.

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I : Tu veux dire sur un contrat… ?

E : Oui. Parce que bon, l’inventaire, c’est des contrats de… c’est soit 2h, soit 3, soit 5. Donc, celui qui propose 5, c’est celui qui va remporter ma présence. (rires) »

Même pour les contrats d’un mois, l’organisation du travail se caractérise par le fait que l’activité de travail consiste à enchainer des missions de quelques heures. Le volume horaire mensuel varie très fortement selon les secteurs et les enquêtés. Parmi les enquêtés que nous avons interrogés, certains travaillaient dans la logistique, la formation pour adultes, l’animation commerciale, les sondages, le fundraising, l’activité de traiteurs, etc. Tous ces marchés du travail se caractérisent par une absence de segmentation. Tous les emplois relatifs à ces activités sont courts. Les secteurs dans lesquels le CDD est considéré comme un usage sont des cas typiques de ces logiques.

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Laure (80_014) travaille dans le secteur de la formation d’adultes. Elle est en contrat d’usage d’un mois entre novembre 2018 et avril 2019 (au moment de l’entretien, elle enchaine toujours les contrats mensuels). Elle travaille de 1 à 3 jours par semaine avec des journées de 7 heures. Selon les besoins, le nombre de jours travaillés mensuellement varie. A la fin du mois, elle reçoit son planning pour le mois suivant.

Huguette (06_005, 63 ans) et Fabienne (06_008, 63 ans) travaillent dans l’animation commerciale dans des supermarchés. Elles font de la mise en rayon, de la promotion de produits, des relevés de prix. Elles ont 16 employeurs qui sont toutes des agences de travail temporaire. Elles ont des missions qui vont de deux heures à une journée. Auparavant, elles avaient même des missions de moins de deux heures mais cette pratique est désormais interdite.

Abdou (95_017) travaille pour une entreprise de sondages. Il a un contrat et un planning mensuels. S’il y a un nombre d’heures inscrits sur le contrat, ce nombre d’heures est donné à titre indicatif parce qu’au cours du mois, il est fréquent que des heures non prévues soient ajoutées, particulièrement en fin de mois lorsqu’il faut remplir les engagements pris vis-à-vis des clients. Au fil de son parcours, il a travaillé dans plusieurs sociétés de sondages. Il a choisi celle-là car c’est celle qui paie le mieux et qui lui donne le plus d’heures. Son nombre d’heures travaillées (entre 80 et 100 heures mensuelles) est cependant insuffisant à ses yeux mais il ne peut pas cumuler avec un emploi dans d’autres sociétés de sondage car toutes exigent d’être disponible les mardis et jeudis qui sont les jours de pic d’activité.

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Sur les postes occupés dans ces différents secteurs par ces salariés en contrat court, il n’y a pas ou très peu de CDI. Ce n’est donc pas la quête d’une insertion professionnelle dont le signal serait l’accès à un CDI qui oriente les comportements des salariés. Pour la plupart d’entre eux, ils cherchent, à court terme à augmenter leur nombre d’heures travaillées. Plusieurs de ces activités font figure de repoussoir. Pour un certain nombre de salariés, non qualifiés et / ou nouveaux venus sur le marché du travail, elles sont une porte d’entrée peu sélective et sont voulues comme transitoires. Dans ces secteurs, les trajectoires des salariés sont surtout marquées par la diversité, avec donc des enquêtés qui envisagent une inscription durable comme activité principale pour certains ou secondaire pour d’autres.

Cette première ébauche d’opposition entre deux logiques polaires devrait très certainement être approfondie, questionnée ou nuancée. Deux logiques un peu différentes méritent ici d’être mentionnées.

Dans le secteur de la logistique, dans l’intérim industriel, ou encore dans le secteur du déménagement, les contrats courts dominent mais sont compatibles avec l’existence de contrats stables sur les mêmes postes. Autrement dit, on trouve une logique de segmentation du marché correspondant à des degrés d’insertion professionnelle plus ou moins avancés. Par exemple, la logistique se caractérise par le fait que les embauches se font en contrat de travail temporaire avec des missions souvent renouvelées si les intérimaires sont jugés compétents. Parmi les compétences requises, tous s’accordent à dire que la docilité est indispensable. Lorsqu’ils arrivent dans une entreprise utilisatrice, ils ignorent le plus souvent combien de temps ils y resteront. Les missions se succèdent sans nécessairement s’enchaîner, ce qui accroît leur dépendance puisqu’ils ne vont pas chercher d’emploi ailleurs. Lorsqu’ils font le récit de leur trajectoire, plusieurs enquêtés ont le souvenir de périodes (dont la durée est exprimée en semaines, mois voire années) passées au sein de telle ou telle entreprise utilisatrice. C’est le cas de David (95_010), intérimaire dans la logistique qui, lorsqu’on l’interroge sur la durée de ses contrats peine à distinguer la durée des contrats et la durée de présence dans une même entreprise utilisatrice.

Autre distinction à considérer parmi les marchés non segmentés : entre les peu qualifiés et les très professionnels. Les logiques à l’œuvre sur les premiers - où dominent des « jobs » sans lendemain pour des salariés qui se projettent dans d’autres carrières ou se limitent à une ambition de survie à court terme - et les seconds - marqués par des formes de qualification professionnelles claires et par des carrières intégralement constituées d’emplois intermittents, comme cela existe dans la restauration évènementielle – sont très différents. Cette différence se traduit en particulier dans les modalités de recrutement.

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