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Les manières de se faire recruter varient très fortement d’un secteur à l’autre15. Dans certains secteurs, la logique réticulaire est un élément décisif.

De manière générale, être connu et voir la qualité de son travail reconnue permet d’augmenter son nombre d’heures travaillées. Ainsi, Huguette (06_005, 63 ans) et Fabienne (06_008, 63 ans) ont réussi à se faire apprécier des commerciaux qui distribuent les missions d’animation commerciale dans les supermarchés et disent travailler en moyenne entre 50 et 70 heures par semaines.

Fabienne (06_005) nous explique que, de manière assez classique, elle s’est inscrite dans des agences et qu’elle a d’abord été appelée quand ils ne trouvaient personne puis, de plus en plus souvent. Ce qui est ici original, c’est que les commerciaux des entreprises clientes fournissent des listes d’animateurs / de merch’ aux agences. Le fait de fournir le contact permet d’économiser les 5€ (par contrat ?) qui sont facturées à l’entreprise cliente si l’intérim trouve l’intérimaire. Les commerciaux sont également ceux qui contactent Fabienne pour savoir si elle est disponible pour une animation en particulier. Malgré le fait que Fabienne travaille régulièrement avec les mêmes commerciaux, elle n’est jamais employée directement mais toujours via une agence d’intérim.

« Et puis, au fur et à mesure que vous arrivez à travailler avec les commerciaux, avec des référents qui eux vous demandent, donc, donnent votre numéro de téléphone. A savoir que quand une agence doit chercher quelqu’un, elle facture 5 € en plus à la société qui va vous employer. Donc, c’est pour ça que très souvent, on est référencés pour éviter ces 5 € de commission. Et moi, maintenant, donc effectivement, j’ai travaillé pour beaucoup de différentes personnes. Maintenant je travaille avec quatre, cinq commerciaux, les gens qui me réclament en animation ou en merch.

E : Donc, concrètement, ça se passe comment ? On vous appelle ? On vous dit : « Dans un mois, dans deux jours… » ?

I : Donc, le commercial m’appelle, fixe des dates, voilà, ou du merch’, ou des animations. Il transmet mes coordonnées à l’agence avec qui il travaille. L’agence m’appelle et je dis OK. C’est l’agence qui

15 Voir à cet égard nos travaux précédents qui avaient mis en évidence la pluralité des modalités de recherche d’emploi selon les segments du marché du travail et secteurs d’activité et montré que des démarches ou intermédiaires à première vue semblables, comme l’intérim, étaient actionnés très différemment selon les marchés (Marchal et Remillon, 2012 ; Remillon, 2009).

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m’envoie mon contrat. Et la société pour laquelle je vais travailler, pas la société intérim, l’autre, ne sait absolument pas combien je suis payée, ne sait rien. Ça, ils ne savent pas. » (06_005)

Dans ce secteur, le rôle des agences d’intérim pour les salariés connus des commerciaux est minimal puisqu’il se borne à éditer le contrat de travail et la feuille de paie. Dans le secteur de l’animation commerciale comme de la distribution de publicité, il arrive fréquemment qu’il n’y ait aucun travail de recrutement sur certaines missions où la logique d’attribution est celle du premier arrivé, premier servi. La proposition est envoyée par sms, mail ou via une application, le premier qui répond décroche la mission. Cela nécessite d’être continuellement attentif à son téléphone pour pouvoir répondre au plus vite.

Damien (95_011) travaille pour plusieurs agences de distribution. L’une fonctionne via une application, envoie des notifications pour proposer des heures de travail que l’abonné accepte ou pas. L’autre agence fonctionne par mail. Il faut répondre par mail et se positionner sur des horaires. Dans ce secteur de la distribution publicitaire où le turnover est très important, ils prennent « n’importe qui » selon Damien (95_011) mais ensuite, si les gens ne font pas l’affaire, ils sont sortis de la base, autrement dit, ils ne peuvent plus accéder aux propositions de mission.

Nathalie (06_007) qui est extra dans la restauration explique qu’il est important d’entretenir son réseau en acceptant parfois des missions peu avantageuses. Lorsque, malgré cela, elle pressent qu’elle va avoir un creux dans son activité, elle cherche à élargir son réseau avec de nouveaux employeurs qu’elle trouve le plus souvent par des petites annonces.

Ces exemples montrent l’articulation de deux logiques qui ne s’opposent que dans des cas extrêmes.

Dans la première logique, le réseau est essentiel pour structurer l’embauche voir même des embauches en cascades dans des dispositifs qui ne sont pas sans rappeler le marchandage du 19e siècle (B. Mottez, 1966) ou encore la logique d’organisation par projet qu’on retrouve dans certaines activités artistiques (l’industrie cinématographique, G. Rot (2019), ou les orchestres de musique baroque, P. François, (2005)). Ainsi trouve-t-on dans la restauration événementielle des chefs d’équipes, très qualifiés, eux même embauchés comme extras mais capables de gérer la constitution d’une équipe pour un évènement particulier et/ou de sous-traiter à d’autres collègues, par exemple en cuisine, le soin de constituer telle ou telle sous équipe ou « brigade » Ainsi, Laurent occupe-t-il cette position proche du marchandeur du 19e

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Laurent (95_109) travaille principalement pour le traiteur « Grand chemin » depuis 13 ans et y consacre la plupart de son temps de travail. Il a commencé dans cette entreprise en tant que serveur mais a été promu « responsable d’équipe » il y a 6 ans. Il gère des équipes d’en moyenne 30 personnes qu’il envoie sur différentes prestations. Concrètement, son poste consiste à s’assurer du bon déroulement des différentes prestations. Il constitue lui-même les équipes en fonction de leurs disponibilités, de leur expérience et de leur niveau de qualification. Néanmoins, il explique qu’il travaille souvent avec les mêmes équipes. D’ailleurs, il travaille très fréquemment avec son petit frère, son oncle et des amis qu’il a lui-même formés. Le choix des équipes dépend aussi du type d’évènement. Lorsqu’il faut servir des célébrités, il lui arrive d’intervenir seul ou avec des collègues dont il connait très bien le travail. Il dit « On ne prend pas le

premier venu pour aller sur ce type de prestations » : il faut du

savoir-faire, du savoir être et être reconnu apte à tenir ce type de prestation. En temps normal, il privilégie les travailleurs qui sont les plus souvent disponibles, « les plus méritants » mais essaye d’être juste dans la distribution des missions. Une fois les équipes constituées, Laurent s’occupe de l’organisation de l’évènement : il contacte les différents prestataires de l’évènement, gère la logistique nécessaire à la mise en place, les costumes etc. Une fois sur place, il s’assure que tout le monde signe son contrat et en profite pour signer le sien. Il explique qu’il a toujours sur lui un stock de contrats qu’il distribue à chaque début de prestation.

A l’opposé, certaines procédures de recrutement montrent bien « qu’on prend le premier venu » du moins qu’on ne s’embarrasse pas de la logique de réseau pour des emplois qui sont peu qualifiés et dont on peut imaginer qu’ils ne présentent aucune perspective de carrière pour ceux - étudiants, précaires, immigrés… - qui les occupent.

Patrice (80_016) raconte le processus de recrutement chez Amazon qui l’a un peu « traumatisé » et qui s’est soldé pour lui par un échec.

« Déjà, ils ont pas forcément besoin de monde en fait. Ils mettent beaucoup de gens en stock parce qu’ils savent qu’il y a quand même beaucoup de turnover, et donc on arrive dans la salle, on doit être une trentaine, (…) Parce que tu as deux boites d’intérim juste en haut sur place, et donc t’as un mec qui vient et qui nous raconte ce qu’est Amazon. Il fait un peu le petit story telling et tout. Déjà gerbant, puis à la fin il nous passe des tests. Des tests un peu cognitifs, avec des caisses : « Est-ce que cette caisse-là, elle rentre là-dedans ? ». C'est sur papier, tu coches des A

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– B – C, longueur. Et puis une fois que t’as rendu ça, donc là déjà ils les corrigent sur place. Toi t’attends.

E : Et ils disent à des gens...

I : Oui, il dit à des gens : « Ciao ». Donc tu vois des gens à qui il dit : « Ceux que j’appelle là, ils peuvent partir ». Je trouve ça, c’est vraiment... c’est tellement humiliant pour tout le monde quoi. Et du coup, une fois que ces trucs-là sont passés, donc lui, il va s’installer au fond de cette salle et puis on doit passer un par un pour présenter nos motivations, nos CV, etc. En fait on est une trentaine et lui il est tout seul, et du coup c'est-à-dire que t’en as qui attendent deux heures pour passer. Donc t’es obligé de t’imposer pour passer. (…) Et c’était tellement chiant. Et puis même la manière dont juste il a de te traiter et tout ça : « Alors qu’est-ce que vous pouvez apporter à l’entreprise ? » Vraiment j’ai l’impression qu’on te met tout en bas en fait et puis... à la fin pour me dire : « Finalement, on recrute que des gens qui ont le CACES ». Ils l’ont pas précisé dans l’annonce tu vois. Donc je vais là-bas, je me fais chier trois heures à passer pour une merde et puis derrière... (…) A chaque fois que je fais des expériences, je les trouve un petit peu traumatisantes. » Patrice (80_016)

Si ces pratiques de recrutement ne se retrouvent pas dans l’ensemble du secteur de la logistique, elles sont symptomatiques des situations où les enquêtés sont face à la difficulté de trouver un emploi dans une zone géographique où l’emploi manque particulièrement et de la subordination dont il faut faire preuve pour en obtenir un.

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