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L’attrait de l’intermittence lié à des raisons contextuelles

Une partie des enquêtés considère le travail en contrat court comme une période transitoire dans leur vie professionnelle. Bien qu’ils voient des inconvénients à ces contrats courts (la faiblesse des rémunérations, les incertitudes sur leurs embauches à venir, les difficultés d’organisation, etc.), ils y trouvent également des avantages souvent très circonstanciés.

Les contrats courts peuvent ainsi donner le sentiment au salarié d’être en mesure de choisir de ne pas s’engager en demeurant dans un rapport purement marchand et éphémère au travail qui n’est en rien contradictoire avec l’idée d’un engagement ultérieur plus stable.

Sabrina (95_048), 48 ans. Après 28 ans dans la restauration rapide,

s’est reconvertie dans le métier d’éducatrice.

I : Pour moi, dans l’immédiat, l’intérim, en fait, c’est parce qu’il y avait d’autres amies qui sont éducatrices. On n’a pas envie de… Moi, j’ai envie de découvrir encore. Donc, pour moi, c’est idéal l’intérim, pour l’instant. Je me dis : « Voilà, j’arrive dans une structure, (…) je fais mon boulot, merci, au revoir, et on passe à autre chose. » Après, quand je me rends compte qu’en fait, le métier en lui-même, (…), le travail en équipe et tout ça, est très bien, là, je peux commencer à envisager. Mais pour l’instant, je n’ai pas trouvé un endroit qui m’attire plus que ça, Donc, l’intérim est très bien parce qu’on peut se dire : « Voilà, on fait la mission. Merci, au revoir. »

C’est toutefois surtout des étudiants, des jeunes en transition ou des personnes en formation dans le cadre d’une reconversion professionnelle qui partagent cette posture d’attrait circonstancié pour les contrats courts.

Les enquêtés en cours de formation (qu’il s’agisse d’une formation initiale ou d’une reconversion) peuvent, grâce aux contrats courts, concilier leur besoin de ressources financières et leur besoin de temps libre. Lorsqu’ils étaient étudiants, John (95_003, 30 ans), Morgan (95_004, 29 ans), Ève (95_0013, 24 ans) et Damien (95_011, 28 ans) ont ainsi pu financer totalement ou partiellement leurs études et suivre les cours. Les périodes creuses du point de vue des formations (vacances, année sabbatique) sont des périodes intenses du point de vue de l’emploi avec l’objectif de se constituer une épargne pour les périodes de travail scolaire plus soutenues.

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L’exemple des étudiants est, de ce point de vue assez significatif d’un rapport positif provisoire aux contrats courts. Encore d’ailleurs faut-il considérer ce que « positif » signifie dans la mesure où c’est précisément parce qu’on ne souhaite pas s’engager dans ces emplois dont on a une perception négative que le CDI prend un tour très négatif.

Ève (95_013) 23 ans, est étudiante. Elle exerce ponctuellement une activité d’hôtesse d’accueil qui ne l’intéresse pas, dans laquelle elle n’a pas que des expériences heureuses, et surtout qu’elle considère comme un « job étudiant ». Elle fuit les CDI qu’on lui propose.

I : sur l’été 2018, ils m’ont proposé un CDI le week-end… E : Ah ?

I : j’ai refusé, puisque que ça ne m’intéressait pas et… E : Et pourquoi ça ne t’intéressait pas ?

I : Déjà, parce que la boîte ne respecte pas les employés. Enfin, vraiment ils sont…

E : Comment ? Comment ils ne respectent pas... ? I : Déjà, ils ont des retards de paie énormes… E : Oui ?

I : Souvent, quand on arrive au travail, ils vont nous demander de rester plus longtemps ou de rajouter un jour ou voilà. Enfin, on n’a pas de… On a des horaires fixes, mais ils ne sont pas vraiment respectés. (…) si quelqu’un les a plantés, ou s’ils ont un besoin plus grand, ils préfèrent demander aux employés qui sont sur place directement de faire des heures sup’. (…) Et puis je trouvais que les chefs d’équipe, enfin, « nos managers » étaient vraiment pourris, donc j’y vais le moins possible. Si vraiment j’ai besoin d’y aller, j’y vais, mais sinon…Donc, je ne voulais certainement pas m’engager sur un CDI avec eux. C’était impossible.

Dans la mesure où ces emplois sont considérés comme transitoires, l’engagement subjectif dans l’activité du travail est souvent faible et l’absence d’intérêt du travail relativement bien accepté. Par contraste, les attentes vis-à-vis de l’emploi visé à la sortie des études sont très élevées que ce soit du point de vue statutaire (ils espèrent un CDI ou être fonctionnaire) et du point de vue de l’épanouissement personnel au travail.

Au-delà de la situation particulière des étudiants qui doivent mener de front leur activité scolaire et une activité salarié, on retrouve des logiques relativement similaires chez des jeunes

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déscolarisés et pas nécessairement encore autonomes vis-à-vis de leur famille qui entretiennent un rapport assez pragmatique à des contrats courts qui ne sont conçus comme attractifs ou simplement acceptables que parce qu’ils ne correspondent en rien à des perspectives futures et permettent d’entretenir une situation provisoire et voulue comme telle.

Issa 95_009 est brancardier dans un hôpital de la grande banlieue parisienne. Il y enchaine les CDD. Il explique avoir été déçu ne pas avoir pu être titularisé mais n’en éprouve en réalité aucun regret. Il entretient d’autres projets plus ou moins réalistes pour l’avenir (son projet le plus important est dans le « trading » avec une entreprise qui, après une rapide recherche sur le site de l’AMF s’avère être une pyramide de Ponzy).

« I : le médico-social c’est vraiment une belle expérience. Je n’avais pas d’autres solutions par rapport au marketing. Déjà, j’avais lâché l’affaire par rapport au nombre total que j’ai eu, au nombre d’échecs que j’ai eus. Donc forcément, j’étais… Moi si c’est pas cette voie-là, je préfère changer de voie. J’ai voulu tenter une autre voie, elle m’avait plu. Le problème, c’est que, je ne pouvais pas être titulaire. Et comme voilà, j’ai 22 ans, je suis quelqu’un d’ambitieux, j’ai beaucoup d’idées en tête donc je ne peux pas rester sur mes acquis. Être brancardier c’est bien, mais je vais pas faire ça toute ma vie, quoi !

E : Donc, du coup, le contrat court pour toi, c’était en fait pas tellement un problème.

I : Oui, voilà, c’était pas vraiment un problème. »

Alexis (80_035), 23 ans, a été aide déménageur en contrat journalier pendant 3 ans. Il a interrompu cette activité parce qu’il a dû déménager pour suivre sa conjointe et son fils dans la Somme, dans une petite ville où ils ont obtenu un logement social avec un loyer peu cher, seul moyen pour la famille de vivre ensemble au regard de leurs revenus. Cette activité lui plaisait, même si elle était très physique. Il appréciait particulièrement la variété des activités. Actuellement, il ne peut plus travailler dans cette entreprise trop éloignée de son domicile mais dans tous les cas, il ne souhaitait pas s’éterniser dans le déménagement jugé trop dur physiquement.

« I : je suis quelqu’un qui est quand même actif, j’aime bien me dépenser, j’aime pas rester à rien faire donc, c’est plutôt un métier qui me correspondait. Je me dépensais, j’étais à ma place, on va dire. Après, oui, c’est dur physiquement. C’est sûr qu’il y a des jours, c’est beaucoup plus dur que… il y a des jours on n’a pas envie […] Oui, comme je vous dis,

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c’est vraiment un métier, je me vois pas faire 30 ans de déménagement, c’est vraiment dur. »

A l’autre bout de la vie active, retraités et pré-retraités connaissent aussi cette situation même si celle-ci est certainement davantage subie. Les contrats courts permettent de cumuler prétraite ou retraite avec un complément de salaire. Nous n’avons pas rencontré beaucoup de retraités mais, pour la seule que nous ayons rencontrée, une pré retraitée, l’expérience des contrats courts était plutôt subie même si elle lui permettait de faire la soudure en attendant de liquider sa retraite

Christine (95_014), 55 ans, a travaillé 20 ans comme agent administratif dans la fonction publique territoriale avant de se voir imposer la préretraite en janvier 2011. Le montant de la préretraite est d’environ 700 € par mois, un revenu qui ne lui permet pas de couvrir toutes ses charges quotidiennes. Elle devient donc aide à domicile dans une association, en CDI à temps plein. Elle cumule préretraite et revenu du travail. Le travail devenant trop fatiguant, elle démissionne. Depuis 2 ans elle est aide-soignante vacataire dans un EHPAD. Ses contrats sont de plus en plus courts : d’abord 3 mois, puis 1 mois puis à la journée. L’enquêtée explique que la préretraite l’empêche d’exercer une activité à temps complet ce qui rend l’embauche en CDI compliquée.

Au-delà de ces cas particuliers de salariés à certains moments particuliers de la trajectoire professionnelle (fin mais surtout début), nous avons rencontré des salariés qui connaissent des emplois courts après une démission d’un emploi stable dans le cadre d’un projet de reconversion professionnelle. Quelques enquêtés (John 95_003, 30 ans ; Cyril 95_008, 27 ans ; Sabrina 95_048, 48 ans : Catherine 95_051, 54 ans) sont dans ce cas de figure. Souvent plus âgés voire chargés de famille, ils attendent des contrats courts de pouvoir satisfaire leurs besoins financiers et réussir leur reconversion mais cette conciliation est, dans ce cas, plus complexe car leurs besoins financiers sont plus importants et leurs contraintes plus grandes. Le contrat court est parfois aussi une manière d’acquérir une première expérience dans le secteur professionnel visé.

Cyril (95_008, 27 ans) a démissionné de son poste d’agent de services hospitaliers (ASH) et a renoncé à son statut de fonctionnaire dans la fonction publique hospitalière au moment où il est entré en Licence professionnelle. Conscient des difficultés financières auquel il devrait faire face, il a démissionné le plus tard possible, après avoir passé un DAEU (diplôme d’accès aux études universitaires) et fait une VAE, lorsque la poursuite d’études n’était plus compatible avec un emploi à

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temps plein. Il veut être directeur de structure dans le secteur médico-social. Pour gagner l’argent nécessaire (il vit seul et doit rembourser un crédit immobilier), il travaille comme ASH. D’abord en intérim puis en CDD. Il a choisi un établissement dans lequel les conditions de travail sont bonnes et où ses horaires sont compatibles avec ses études. Il adapte à la fois son volume de travail et ses horaires de travail. Il travaille à plein temps pendant les vacances, beaucoup en début d’année universitaire et très peu pendant les partiels.

I : En fait, c’est vraiment aléatoire. Par exemple, le mois dernier, j’ai très peu travaillé. Comme on avait les partiels, j’ai préféré réviser que travailler. Le premier mois, par exemple, j’ai vraiment enchaîné… En termes d’heures, je sais plus combien j’ai fait d’heures, mais c’était presque du temps plein en fait.

E2 : Mais c’est des week-end ?

I : Non. Là, par contre, le premier mois, vu qu’on venait de commencer le master, on n’avait pas trop de choses à apprendre. Du coup, j’ai vraiment travaillé presque cinq jours sur sept de nuit. (…)

I : Oui. C’est vraiment rare que je travaille presque à temps plein en fait. (…) Là, en fait, c’était pour m’assurer une réserve d’argent, on va dire, pour être tranquille le reste de l’année. (…). C’est pour ça que je me suis donné à fond. (…)

Cette année, par exemple, j’ai essayé de travailler systématiquement le lundi après-midi quand j’avais pas cours. Et en général, j’essaie de faire tous les ends. Mais il y a des fois, quand même, je garde un week-end pour me reposer. On va dire, en moyenne, je travaille trois week-week-ends par mois, et le lundi.

Salim (95_005, 23 ans) a un BTS dans la maintenance. Il est diplômé depuis juin 2018 (l’entretien a été réalisé le 14/01/2019). Malgré de nombreuses candidatures envoyées et plusieurs entretiens non fructueux, il ne parvient pas à trouver un emploi qui correspond à sa qualification et à faire un métier qui l’intéresse vraiment. Il s’est inscrit à la Mission locale et a suivi la Garantie Jeunes pour trouver de l’aide. En attendant de trouver, il accepte des missions d’intérim depuis fin août 2018 sur des emplois non qualifiés dans la logistique. Il s’ennuie beaucoup au travail. Au moins, si les missions demandent des efforts physiques, le temps passe plus vite. Celles qui sont les plus difficiles sont celles où il faut qu’il reste assis. Travailler est pour lui normal et il préfère ces missions à l’absence totale d’emploi.

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Damien (95_011, 28 ans) a maintenant fini ses études, il a obtenu un master 2 professionnel en histoire. Il se vit dans une période de transition avant d’aller vers un emploi stable. Il profite de cette période pour passer son permis de conduire, mener à bien quelques projets personnels. Dans cette situation, travailler en contrat court dans la distribution publicitaire lui convient. Il préfère cet emploi qu’un emploi plus engageant, même en CDD. Il aurait des possibilités de retravailler à la billetterie de la SNCF ou des musées parisiens mais il trouve un certain confort dans cette activité extrêmement modulable qu’il connaît bien. Pour l’avenir, il aspire à la stabilité du CDI. En attendant, cette situation est tenable car il cumule les sources de revenu. Damien (95_011) poursuit donc, au-delà de ses études, les contrats courts de distribution publicitaire qui a débuté en tant qu’étudiant. Le job étudiant devient en quelque sorte un job de complément : à côté d’un emploi à mi-temps dans un musée, il poursuit ces distributions ponctuelles d’objet promotionnels. En approfondissant, on apprend aussi au cours de l’entretien que cette pratique du cumul est plus générale. Damien se bricole une façon de gagner sa vie en cumulant plusieurs revenus en permanence : son activité de distribution d’objets publicitaires s’est tour à tour cumulée avec des bourses universitaires ; un emploi à mi-temps ; un service civique dans une compagnie de théâtre ; une aide de pôle emploi pour financer son permis de conduire ; la prime d’activité ; les allocations chômage comme « roue de secours ».…

Dans les périodes de transition lorsque la période de formation initiale touche à sa fin, les contrats sont un moyen d’accompagner la transition, à la fois pour se procurer les ressources financières nécessaires, parfois pour définir plus précisément l’emploi recherché et parfois pour mener à bien quelques projets personnels.

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