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Difficultés de l’indemnisation pour les emplois très discontinus

Si l’activité réduite joue le rôle de complément de revenu pour des salariés qui travaillent en contrat court, plusieurs relatent des difficultés à faire valoir leurs droits en raison de complexités administratives.

Caroline (80_001), 42 ans alterne CDD et période de chômage. Elle est séparée avec deux enfants. Ses difficultés financières encore aggravées par le fait qu’en étant en activité réduite, elle ne perçoit pas l’ensemble de son indemnisation d’un coup.

« ce qui est problématique aussi avec le Pôle Emploi, quand on fait de l’intérim... c’est qu’ils... c’est que nous, on n’a pas encore notre salaire,

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on l’a toujours après le 10 du mois, quoi, 12, 10 du mois. Et du coup, quand il faut déclarer, ben on fait une estimation, et… et du coup, ils décident que comme on est en intérim, ils nous versent que 80 %, je crois, je sais plus combien c’est, 70-80 % du salaire. Et moi, après, ’fin moi, ça c’est… c’est difficile, quoi, parce que, ben là, mon loyer, il est pas passé, là, en février, du coup, j’étais... ça a été rejeté, après je me retrouve avec des frais de rejet... »

Plus largement, ces trajectoires discontinues donnent lieu à des ressources financières multiples (salaires, allocations chômage, autres allocations), dont les salariés ne parviennent pas toujours à anticiper ni les montants, ni les dates de versement, ce qui pour leur budget très serré est source de difficultés supplémentaires.

Mathias (80_015), 32 ans, pointe la difficulté d’organiser son budget en jonglant avec de trois versements : l’estimation de Pôle emploi, la paie de l’intérim et le solde versé par Pôle emploi.

« I : Bon, en fait, ce qui se passe, c’est que Pôle emploi part du principe que t’as 900 € de chômage. Donc, si tu travailles, que tu fais, je ne sais pas, allez 30 heures dans la semaine que t’as bossé, eh bien là-bas t’as tes 30 heures et puis Pôle emploi va donner tes 900 balles. (…) En plus une galère parce que tu te retrouves... Alors t’as une estimation. Là, ça va, ça a l’air de s’être amélioré, mais t’as une estimation. Pôle emploi va te donner ton estimation. Donc en début de mois, je vais toucher par exemple, à N. [entreprise logistique], je l’ai fait au début quand j’ai fait 1semaines au mois de juillet, je n’avais pas assez pour toucher mon chômage, donc j’ai déclaré au moment de ma déclaration que j’avais bossé tant d’heures. Donc je touchais à peu près 400 ou 500 € sur les deux semaines que, un peu plus, oui 400-500 € sur les deux semaines. Donc Pôle emploi me paie assez relativement vite, genre le 3-4 du mois, de quoi payer mon loyer. Je paie mon loyer pour éviter que je sois dans la merde. Ça, c’est la première connerie que j’ai fait au mois d’août. J’ai payé mon loyer, et après, ton intérim, on te paye le 11-12 en intérim. (…) Donc du coup, une fois que j’ai payé mon loyer, je n’avais plus rien pendant dix jours. Je me suis retrouvé comme un con. T’attends que la boîte d’intérim te paye, et une fois que la boîte d’intérim t’a payé et t’a envoyé la fiche de paye, tu renvoies ta fiche de paye et Pôle emploi recomplète ce qui manque s’il y a eu des erreurs. Donc en fait, tu te retrouves avec trois payes et toi tu dois jongler avec ça, avec ton budget et tes galères. (…) Donc si tu sais pas bien le fonctionnement... Ils disent : « Ne vous inquiétez pas. Vous complétez par-ci par-là, on vous redonnera l’argent. » Mais ils ne disent pas réellement comment ça va fonctionner. Donc si tu ne gères pas un tant soit peu, tu te retrouves un mois à blanc ou tu te retrouves à aller bosser,

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t’as 10 jours où t’as rien dans ton frigo. Donc ça, ils ne te préviennent pas non plus réellement comment t’organiser là-dessus. »

Les difficultés à percevoir les allocations chômage et parfois les difficultés causées par la perception d’indus qui doivent être remboursés ensuite conduisent un certain nombre d’enquêtés à y renoncer.

Être indemnisé par Pôle emploi est très compliqué pour les personnes qui cumulent les missions et les employeurs.

C’est notamment le cas dans le secteur de l’animation commerciale comme le relate Huguette (06_008, 63 ans) qui, elle, a renoncé.

« E : Et autour de vous, vous voyez un usage de l’assurance chômage ou pas ?

I : Oui. C’est des galères, les pauvres. Ah ! E : C’est comme ça que vous…

I : Elles galèrent, mais elles galèrent. Moi, rien que ça, ça me… parce que les entreprises doivent donner le récapitulatif-là. Et s’ils l’envoient pas en même temps que la fiche de salaire, elles sont pas payées. C’est un bazar pas possible, c’est compliqué, mais c’est compliqué. Autant je ne comprends pas que les entreprises les envoient pas directement à Pôle Emploi, je veux dire, ça serait évident. »

Fabienne (06_005, 63 ans), qui travaille dans le même secteur confirme ces difficultés.

Elle connaît les grandes lignes de l’activité réduite : elle sait qu’il y a une possibilité de cumuler, notamment pour compenser les pertes de revenu pendant les périodes de faibles activités. Elle n’en fait pas, pour elle-même, la demande. Dans ses justifications, elle met tour à tour en avant le fait de ne pas y avoir droit ou de ne pas souhaiter demander.

E : Et vous m’aviez dit que vous touchiez pas du tout d’indemnité chômage et qu’il y avait certains de vos collègues du coup qui bénéficiaient de cette possibilité d’alterner des contrats courts et de…

I : Oui, oui, tout à fait. Voilà. On est intérimaires en fait. Donc, il y a des personnes, donc qui sont au chômage. Quand elles n’ont pas fait le taux d’heures qu’elles devraient faire, c’est payé donc par le chômage.

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I : Non, j’ai pas envie d’être dans cette branche-là. J’ai pas envie de rentrer dans ce système-là. J’ai jamais fait, ça me tente pas. Je suis pas… E : C’est-à-dire, vous trouvez que c’est illégitime ou enfin ça vous pose un problème moral d’une certaine manière ou ?

I : Non, pas du tout, mais en fait, j’aime pas. Je vais résumer ça. Je suis un peu fainéante. Ça va me faire suer d’aller taper, je sais pas, Pôle Emploi, machin. Non, j’ai pas envie.

E : Et puis, vous avez pas eu des bons rapports avec eux.

I : Non, vraiment, non suite à ça [une radiation passée]. Non, j’ai envie qu’ils me foutent la paix. (…) Mais je crois que je pourrais plus. A l’âge que j’ai, je ne crois pas. D’office ils m’auraient mis en retraite ou je ne sais pas. (…) Non, je n’utilise pas. Mais il y a beaucoup de personnes qui effectivement sont demandeurs d’emploi dans cette société d’intérim. Quand il y a des périodes par exemple qui ne sont pas très chargées, effectivement, ils arrivent à avoir le même salaire.

E : Et vous trouvez ça légitime ou pas ? Enfin, c’est ça que j’ai du mal à comprendre. C’est, est-ce que vous trouvez que ce n’est pas bien ou ?

I : Oui, ça me gêne pas. Ça existe, autant qu’on en profite. Enfin, je sais pas. En fait, j’ai toujours suffisamment travaillé pour pas avoir recours à ça. »

Au final, elle justifie son non recours par le fait qu’elle estime ne pas en avoir besoin.

D’autres personnes interrogées pointent du doigt l’inadaptation croissante du dispositif à l’indemnisation de l’emploi discontinu soit dans le calcul soit dans les procédures administratives qu’il suppose.

Mireille (95_054),58 ans, guide conférencière dans le tourisme. « Pour le complément des Assedic, effectivement, depuis l’année dernière, ça a fondu comme neige au soleil, il y a pas d’autre mot. Avant, j’avais un complément tout à fait correct, en fonction du nombre d’heures où j’avais travaillé. C’est vrai aussi que tant que j’ai fait des accompagnements - notamment, je travaillais avec des Australiens qui me payaient vraiment très bien - donc c’était intéressant, parce que j’avais

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des indemnités qui étaient correctes. Là, tout à coup, les indemnités, je me retrouve avec, je crois 23 € par jour. Donc, ben oui, ça doit être ça, puisque j’ai eu 572 € pour un mois, donc à peu près, à vue de nez. Donc, ça a complètement changé, on peut plus s’en sortir. D’autre part, ces fameux CDDU, puisque c’est ce qui est utilisé par certains employeurs, doivent être taxés à 10 € le CDDU. Je ne sais pas comment ils vont pouvoir s’en sortir ».

Anne (95_056),56 ans, guide conférencière dans le tourisme

« E : Après vous, vous n’avez peut-être pas ce problème, mais des difficultés de réunir tous les documents nécessaires parce que, elles ont plein d’employeurs

I : Alors, normalement c’est vrai que ça dépend des antennes aussi. On voit que, on est mal traités ou bien traités selon les antennes. Ça c’est quand même un petit peu anormal, c’est sûr. Je sais que il y a… Moi, j’ai pas de problème pour réunir les trucs, parce que j’ai des employeurs, des gros, voilà, et tout ça. Après je sais que… Non, moi j’ai jamais eu de problèmes. A chaque fois ils me recalculent effectivement quand mes droits sont épuisés. Et jusqu’à présent, je ne vérifiais pas trop parce que mon taux était grosso modo le même. Moi, c’est ça, j’ai eu un taux inchangé pendant des décennies. Bon là par contre, (…) je m’attends à la douche froide, c’est sûr hein. Et c’est pour ça que j’aime bien avoir… C’est très compliqué d’avoir leur mode de calcul. Je sais que moi, j’ai des collègues qui sont révisées tous les trois mois, recalculées tous les trois mois. On se demande sur quelle base. Et du coup qui sont arrivées en fin de droits très rapidement quoi. Je sais qu’à un moment donné, on pouvait… Quand on avait estimé qu’on avait fait une meilleure année par rapport à l’année précédente, on pouvait demander un recalcul en notre faveur. Certaines antennes l’acceptaient, d’autres non. Moi, je sais que mon antenne en 1993, à un moment donné, ils ont eu une approche plutôt favorable aux salariés quoi, aux demandeurs d’emploi, dans le sens où s’il y a deux calculs, ils prennent le plus favorable au candidat Pôle Emploi. Ça, c’est plutôt sympa. Mais oui, les calculs sont très opaques ».

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