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Chapitre 4 La vie au Bhoutan et au Népal : apprentissages et mobilités

4.4 Le travail

L’ensemble des réfugiés rencontrés, à l’exception de Tara, Ramila et Dipika, ont connu diverses expériences de travail au Népal. Certains ont eu l’opportunité d’occuper des emplois à l’intérieur même des camps de réfugiés, d’autres ont travaillé dans des villes avoisinantes, alors que quelques-uns ont pu traverser la frontière népalaise pour trouver du travail en Inde. De même, les témoignages recueillis auprès des réfugiés d’origine bhoutanaise révèlent qu’ils ont occupé différents métiers obtenus et appris de façon plutôt informelle. Les hommes ont occupé des emplois principalement liés à des travaux d’ordre manuel, alors que les femmes ont

77 Pour en savoir plus au sujet des activités de Caritas Nepal : http://www.caritas.org/where-caritas-work/asia/nepal/ (Consulté le 2 avril

été appelées à assumer des responsabilités relevant du domaine de l’éducation et de l’organisation communautaire.

4.4.1 Des offres d’emploi qui circulent de façon informelle

Un premier élément intéressant ressortant des témoignages des réfugiés rencontrés concerne les façons de faire qui prévalaient afin d’obtenir un emploi. Celles-ci se distinguent par leur caractère informel. À cet égard, rappelons que les réfugiés n’étaient pas légalement autorisés à travailler à l’extérieur des camps, ce qui explique notamment qu’ils aient œuvré dans le secteur de l’économie informelle. Ainsi, c’est le plus souvent par l’intermédiaire de leurs réseaux de relations que les réfugiés rencontrés ont obtenu différents emplois.

À titre d’exemple, Tali raconte qu’elle a obtenu son premier poste d’enseignante dans une école au Népal par l’intermédiaire d’un ami : « Un de mes amis était déjà à cette place, dans une école. Il enseignait déjà là-bas et il voulait retourner dans les camps de réfugiés. C’est lui qui m’a offert une place ». Elle ajoute qu’elle a également expérimenté un processus d’embauche formel au sein du camp de réfugiés, alors qu’un poste de responsable d’un bureau jeunesse, sous la responsabilité de Caritas Nepal, où elle avait déjà été bénévole, était disponible. Elle a soumis sa candidature et a complété avec succès le processus d’embauche : « […] j’ai commencé à travailler pour les Bhoutanais, pour la communauté bhoutanaise ». De même, Abani a commencé à travailler à la construction de routes en compagnie de son père sur différents chantiers de construction au Népal. En Inde, Prakash a trouvé son premier emploi en maçonnerie grâce à ses frères. De plus, il raconte que c’est à la suite d’une offre reçue d’un voisin propriétaire d’un salon de coiffure pour hommes qu’il a été suivre son cours en coiffure : « Mon voisin, il dit : « [Prakash], tu veux couper les cheveux dans mon salon? » C’est ainsi qu’il a travaillé comme coiffeur en Inde. Ces exemples illustrent la force des réseaux sociaux (Bidart et Pellissier, 2002) et de quelles façons les trajectoires individuelles sont influencées par les personnes qui se trouvent dans leur entourage, qu’il s’agisse d’un ami (Tali), d’un membre de la famille (Abani et Prakash) ou d’un voisin (Prakash).

4.4.2 Une panoplie de petits métiers appris sur le tas

Un deuxième élément qui ressort de l’analyse des données, c’est la diversité des métiers que les participants ont pu occuper au cours de la période vécue dans les camps de réfugiés. Parmi les différents métiers et domaines d’emploi identifiés, mentionnons ceux de maçon, de serveur, de réceptionniste, de coiffeur, le domaine de la construction des routes et des bâtiments ainsi que de l’enseignement. À titre d’exemple, la feuille de route de Prakash illustre la diversité des emplois qu’a pu occuper un seul individu. Il raconte qu’il a conduit des autobus, travaillé dans les plantations de café, réparé des bicyclettes, réalisé des travaux de peinture, œuvré

comme maçon et à d’autres tâches dans le domaine de la construction, en plus d’avoir travaillé comme coiffeur : « C’est beaucoup de travail! » (Prakash)

Une observation intéressante au sujet des métiers exercés par les hommes repose sur le fait qu’ils les ont appris de façon informelle (Blons-Pierre, 2016). À l’exception de Prakash, qui a suivi une formation de six mois pour travailler comme coiffeur, ils ont tous fait l’apprentissage des différents métiers occupés par observation et imitation. C’est d’ailleurs ce qu’illustre le parcours de formation à la maçonnerie de Chandra. À l’âge de 19 ans, il a commencé à travailler sur les chantiers de construction auprès de maçons plus expérimentés. À ce moment, il assistait le maçon dans ses travaux en veillant à préparer et à mettre à sa disposition l’ensemble du matériel dont ce dernier aurait besoin. Lorsque je lui ai demandé comment il avait fait pour apprendre les rudiments de ce métier, il a répondu, sourire en coin : « En regardant. Il n’a pas de cours. Ça s’apprend par la pratique! » Prakash abonde dans le même sens et raconte qu’il a appris la maçonnerie en travaillant « avec un ami », de façon informelle.

Cinq participants rencontrés (Prakash, Bhola, Biswa, Indra et Chandra) ont œuvré, à un moment ou à un autre, à titre de maçon. Ils témoignent du fait qu’il était assez simple de dénicher un emploi dans ce domaine, parce qu’il y avait « plusieurs compagnies » (Chandra). D’ailleurs, Chandra, qui a travaillé comme maçon pendant cinq ans, raconte qu’il a eu « la chance de bouger un petit peu », c’est-à-dire de travailler dans quatre villes différentes au Népal (Urlabari, Kathmandu, Baglung et Beni). Soulignons ici qu’il s’agit d’une expérience de mobilité liée à sa trajectoire professionnelle. D’ailleurs, celui-ci n’est pas le seul à être sorti des camps de réfugiés en vue d’occuper un emploi.

4.4.3 L’emploi : un facteur de mobilité

Un troisième et dernier élément, qui retient notre attention relativement à l’emploi, concerne le fait que les récits des participants font état de plusieurs expériences de travail à l’extérieur des camps de réfugiés. Ils sont nombreux à avoir travaillé dans différentes villes du Népal, les emplois qui y étaient disponibles se présentant comme le principal facteur de mobilité vers celles-ci. D’autres, moins nombreux, ont traversé les frontières du Népal pour aller travailler en Inde, la présence de membres de la famille et les opportunités d’emploi s’affichant alors comme les principales motivations à la mobilité vers ce pays.

Au sujet des autorisations de travail à l’extérieur des camps de réfugiés, soulignons que : « The policy of the government in Nepal is that refugees should remain inside the camps. Both entrance to and exit from the camps require official permission from the government representatives (the camp supervisors) » (Brown, 2001, p. 125). Toutefois, rappelons qu’il ne s’agissait pas de camps fermés et qu’on estimait qu’entre 10 000 à 15 000

Bhoutanais en exil vivaient au Népal à l’extérieur des camps de réfugiés (Human Rights Watch, 2007). Ainsi, « [i]t is quite easy for Nepalese-speaking refugees to mingle with the surrounding Nepalese population and vice- versa. Indeed, some refugees go outside the camps to work for Nepalese citizens on fame or building sites » (Brown, 2001, p. 125). À cet égard, Bhola raconte qu’il était un peu plus difficile de travailler à l’extérieur des camps dans les premières années suivant l’installation, « mais après quand les années [ont] passées, pas vraiment difficile. Parce que le gouvernement du Népal, il connaît notre problème. Il laissait pour nous, un peu, un peu travailler ». Ces emplois informels à l’extérieur des camps se présentaient comme un revenu d’appoint qui permettait de répondre aux besoins de base des familles, besoins que les rations quotidiennes délivrées par le Programme alimentaire mondial (PAM)78 n’arrivaient pas à combler (Halsouet, 2015). En ce qui concerne les conditions encadrant la mobilité vers l’Inde, Indra raconte qu’il n’était pas nécessaire d’obtenir un visa ou un permis de séjour pour ce faire : « En Inde, on n’a pas besoin de papier, rien. Aller-retour, partout permis ». À cet égard, il semble qu’un nombre important de réfugiés d’origine bhoutanaise, entre 15 000 et 30 000, aurait trouvé refuge en Inde. Certains d’entre eux ont fait le choix de quitter les camps de réfugiés au Népal pour s’y installer, d’autres s’y sont rendus parce qu’ils ne pouvaient pas obtenir le statut de réfugiés au Népal, alors que certains sont demeurés en Inde après avoir quitté le Bhoutan, sans jamais mettre les pieds au Népal. Peu importe leur parcours, ces gens établis en Inde y vivent sans aucun statut légal; l’Inde n’est pas signataire de la Convention de 1952 et n’a aucune législation visant à reconnaître le statut de réfugiés (Human Rights Watch, 2007).

Bhola raconte qu’il s’est rendu à quelques reprises, au cours de 2006-2007, dans la région du Sikkim située au nord de l’Inde alors qu’il était adolescent : « J’ai travaillé pour construction de maisons et de routes, comme beaucoup autres Népalais ». Il se rappelle que plusieurs de ses compatriotes allaient travailler en Inde à cette époque, surtout les hommes plus âgés et qui étaient, pour la plupart, peu éduqués : « Déjà, il a passé son temps au Bhoutan. Il n’a pas éducation. Il est allé plus loin pour travailler ». Abani a aussi commencé à travailler à l’extérieur des camps dès l’âge de 15 ans : « Pendant les vacances scolaires, j’ai fait la construction de la maison. C’est ben cool! Puis la construction de la route. La route, c’est incroyable! […] Moi, je suis toujours avec mon père, quand j’avais les vacances. Je travaillais beaucoup… Pendant cinq mois, tu restes là-bas pour faire la route ». Pour sa part, Prakash avait à peine 12 ans lorsqu’il est allé rejoindre son frère aîné qui vivait dans l’État indien du Bengale. Au cours de la première année suivant son arrivée, il a pris soin des enfants de son frère pendant que ce dernier était au travail. Par la suite, il a lui aussi commencé à travailler dans ce pays. Enfin, bien que Indra soit également allé travailler en Inde, il a plutôt œuvré dans le secteur de l’hôtellerie et de la restauration. Il raconte qu’il a « beaucoup travaillé » en vue d’économiser de l’argent qu’il faisait ensuite parvenir

78 « Le Programme alimentaire mondial (PAM) est l’outil d’aide alimentaire des Nations Unies (ONU). Il s’attaque à la faim dans le monde

et répond aux besoins alimentaires urgents en fournissant de l’aide alimentaire vitale aux populations vulnérables partout dans le monde. Sa portée est étendue puisque, chaque année, il apporte une assistance à plus de 80 millions de personnes dans 75 pays ». Gouvernement du Canada. « Le Canada et le Programme alimentaire mondial. [En ligne] : https://www.international.gc.ca/world- monde/international_relations-relations_internationales/multilateral-multilateraux/wfp-pam.aspx?lang=fra (Consulté le 6 avril 2020).

aux membres de sa famille dans les camps de réfugiés. Malgré ces responsabilités financières, il mentionne qu’il en a tout de même profité pour voyager : « J’ai fait le tour, comme partout, pendant deux ans. J’ai visité la capitale de l’Inde, Delhi, Mumbai, Calcutta, beaucoup d’endroits ». À cet égard, nous verrons, au chapitre suivant, qu’il est possible de faire des parallèles entre l’attitude qu’Indra avait à cette époque et celle qu’il adopte aujourd’hui devant les différents défis qui se présentent à lui, soit une propension à tirer le meilleur des diverses opportunités qui se présentent à lui.

En somme, on observe que les réfugiés rencontrés ont eu l’opportunité d’exercer une foule de petits métiers, principalement à l’extérieur des camps de réfugiés, malgré le fait qu’ils n’avaient pas l’autorisation des autorités népalaises. C’est notamment ce qui explique qu’ils aient obtenu ces emplois de façon informelle et qu’ils aient appris la plupart de ces métiers par observation et imitation, en travaillant comme assistant auprès de leurs collègues plus expérimentés. Enfin, quelques-uns n’ont pas hésité à quitter les camps de réfugiés pour aller travailler en Inde, déplacements qui s’ajoutent à leur trajectoire de mobilité. Sans qu’ils les nomment de façon explicite, ces expériences en lien avec le travail leur ont permis de faire différents apprentissages qui allaient ultimement soutenir leur processus d’adaptation et d’intégration à la société québécoise.

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