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Chapitre 1 Problématique

1.7 Les recherches sur l’intégration linguistique des immigrants au Québec

Au Québec, les débats politiques concernant la langue française et l’intégration linguistique des immigrants se sont essentiellement articulés autour de la question identitaire et démographique (Martel et Pâquet, 2010; Martineau et al., 2019; Oakes et Peled, 2018; Pagé et Lamarre, 2010; Pâquet, 2005). Cette préoccupation a d’ailleurs trouvé écho depuis longtemps dans les études portant sur le phénomène linguistique au Québec (Henripin, 1974; Corbett, 1990; Lafleur, 2005; Oakes et Warren, 2009). Par la suite, c’est la prise en compte de la diversité linguistique et culturelle dont sont porteurs les immigrants qui a été intégrée à la réflexion sur l’évolution des politiques linguistiques visant l’intégration de ces derniers à la communauté francophone (Harvey, 1988; Martel et Pâquet, 2010; Pagé et Georgeault, 2006; Roy et Georgeault, 2007).

Chasse gardée des démographes, dans un premier temps, l’intégration linguistique des immigrants a longtemps été examinée et mesurée en termes d’indicateurs linguistiques, tels que la langue maternelle, la langue d’usage dans la sphère privée versus la langue d’usage dans la sphère publique ou la connaissance des langues officielles (Bélanger et Sabourin, 2013). Cette façon de faire, qui vise à documenter l’évolution de l’utilisation du français et de l’anglais chez les immigrants, s’avère également révélatrice des préoccupations des dirigeants politiques à cet égard (Calinon, 2013, 2015; Pagé et Lamarre, 2010; Piché, 2004). Des voix ont critiqué le recours aux indicateurs linguistiques, dû au fait que ces derniers ne peuvent rendre compte du processus d’intégration linguistique des immigrants dans toute sa complexité. Examinés de façon isolée, ces indicateurs ne peuvent rendre compte des différents facteurs qui caractérisent et influencent l’évolution de l’utilisation des

59 Regroupement des organismes en francisation du Québec – ROFQ. « Liste des membres ». [En ligne] : https://rofq.info/liste-des-

langues dans une société (Bélanger et al., 2013). Dans une même logique, Victor Piché avance que les indicateurs revêtent un « caractère unidirectionnel », alors que la responsabilité de l’intégration linguistique revient entièrement aux immigrants et que l’on fait abstraction de « la dynamique bidirectionnelle du processus d’intégration impliquant les immigrants et la société d’accueil » (Piché, 2004, p. 9).

Au Québec, il existe un consensus dans les textes gouvernementaux à savoir que l’intégration linguistique des immigrants réfère à « l’acquisition d’une compétence en français » et à « une préférence pour le français comme langue d’usage public » (Pagé, 2011, p. 4). Selon cette perspective, l’intégration linguistique ne réfère pas nécessairement à un « processus d’intégration » au sens sociologique du terme où l’intégration est plutôt perçue comme un « processus bidirectionnel d’entrée d’un individu ou d’un groupe de migrants dans une société d’installation et les transformations que cela entraîne dans cette dernière » (Calinon, 2013, p. 28). En ce sens, l’intégration linguistique, ou plutôt l’intégration à une communauté ou à un groupe linguistique, n’est qu’un aspect d’un processus d’intégration beaucoup plus global (Calinon, 2013, 2015; Pagé, 2011; St-Laurent et El-Geledi, 2011). Par ailleurs, tel que le souligne la sociolinguiste Anne-Sophie Calinon, « […] l’élément linguistique reste indissociable de l’intégration sociale à un niveau global : sans une ou des langues communes, il est difficile d’entretenir des contacts avec les autres membres de la société » (2015, p. 129).

1.7.1 L’apprentissage de la langue chez les immigrants et les réfugiés

Parmi tous les apprentissages que doit faire le migrant au cours de son processus d’adaptation et d’intégration dans son nouveau milieu, l’apprentissage de la langue d’usage de la société d’accueil se distingue comme un fait incontournable. En effet, l’apprentissage, voire la maîtrise, de la langue du pays d’accueil est un facteur d’intégration sociale et professionnelle fondamental pour les migrants allophones (Cardu et Sanschagrin, 2002; Piché, 2004; Blaser, 2006; Chicha et Charest, 2008; Adami, 2009; Pagé et Lamarre, 2010; Presnukhina, 2011; Adami et Leclercq, 2012; Alen et Manço, 2012). Pour le migrant, cet apprentissage se posera avec plus ou moins d’acuité en fonction, entre autres, de ses caractéristiques et aptitudes personnelles, des différentes ressources pédagogiques qu’il trouvera à sa disposition et de ses différentes opportunités d’interaction avec les membres de la communauté locale (Cardu et Sanschagrin, 2002; Ralalatiana, 2014). Pour bon nombre de migrants, l’apprentissage de la langue de la société d’accueil correspond à un retour aux études et implique de renouer avec toutes les tâches et obligations liées au métier d’élève, notamment faire preuve d’une concentration soutenue, la participation en classe et l’obligation d’assiduité aux cours (Calinon, 2007; Ralalatiana, 2014). Les études démontrent que le degré de scolarisation des migrants et des réfugiés a une influence majeure sur leur rapport à l’apprentissage et au savoir, sur leurs modes d’apprentissage ainsi que sur l’ensemble de leur processus d’adaptation et d’intégration à la société d’accueil (Archibald et Chiss, 2007; Adami, 2009; Alen et Manço, 2012; Tieu et Vang, 2015). À cet égard, soulignons les travaux de Valérie Amireault

(2015), qui s’est intéressée à la question de l’alphabétisation des immigrants adultes faiblement scolarisés au Québec. De même, le processus d’apprentissage d’une langue peut varier d’un individu à un autre, celui-ci étant influencé par l’âge, les responsabilités familiales, l’état de santé physique et psychologique de même que l’intérêt personnel pour l’apprentissage de la langue, ainsi que les visées en lien avec la connaissance de cette langue (Calinon, 2007; Duran, 2017).

De façon plus spécifique, mentionnons les travaux de Michela Claudie Ralalatiana (2014; Ralalatiana et Vatz- Laaroussi, 2016) portant sur les parcours de vie et d’apprentissage du français d’immigrantes scolarisées établies au Québec. Cette étude a examiné de façon spécifique le processus d’appropriation personnelle d’une langue étrangère de neuf femmes ayant vécu la migration en s’appuyant sur les concepts du projet personnel, de la motivation d’accomplissement et de la socialisation à l’intérieur et à l’extérieur de la classe de francisation. Les résultats démontrent que l’apprentissage du français, lorsqu’il s’inscrit dans un projet personnel, contribue à donner sens à cet apprentissage. De même, il permet aux apprenantes de se définir comme actrices à part entière de leur vie, au moment présent et dans leurs projets (Ralalatiana, 2014).

Ces observations rejoignent celles de travaux antérieurs où l’on observe que la motivation de la personne migrante à consentir les efforts nécessaires à faire l’apprentissage de la langue de la société d’accueil peut être influencée par ses projets personnels, familiaux et professionnels (Bourgeois, 1998; Vatz Laaroussi et al., 2007) ainsi que par les différents aspects de son bagage socioculturel, qu’il s’agisse de sa langue maternelle, de son système de croyances ou de valeurs ou de la répartition des tâches familiales selon l’âge et le genre (Becker, 2006; St-Laurent et El-Geledi, 2011; Wlodkowski, 1999). À cet effet, les différences qui se manifestent entre les valeurs propres à l’immigrant et les caractéristiques de son milieu d’origine et celles qui prévalent dans la société d’accueil apparaissent comme un facteur qui peut influencer le processus d’apprentissage de la langue chez ce dernier (Cardu et Sanschagrin, 2002; Leaune-Welt et Lacerte, 2008). Faire l’apprentissage d’une langue, c’est également faire l’apprentissage des codes sociaux, des valeurs et de l’histoire de la société d’accueil, notamment en contexte québécois où cela fait partie intégrante du programme de francisation (Gouvernement du Québec, 2011).

Nombre de chercheurs se sont intéressés aux différents obstacles à l’apprentissage du français chez les immigrants allophones. Au Québec, si les nouveaux arrivants sont relativement nombreux à s’inscrire à l’un des différents cours de francisation qui leur sont offerts, certains mettent fin à leur participation au programme sans l’avoir complété (Vérificateur général du Québec, 2017). Au nombre des facteurs qui motivent ce choix, le souhait d’améliorer la situation économique de la famille apparaît au premier plan (Bittar, 2011; Calinon, 2007; Chicha et Charest, 2008; St-Laurent et El-Geledi, 2011). En effet, l’obtention d’un emploi, même s’il présente peu de possibilités d’avancement et que l’individu se retrouve en situation de déqualification professionnelle,

sera privilégié afin d’assurer le bien-être économique de la famille (Amireault et Lussier, 2008; Calinon, 2015; Dubé, 2015). À cet égard, des études démontrent que le soutien financier offert par le ministère de l’Immigration n’est pas suffisant pour permettre aux apprenants de subvenir aux besoins des membres de leur famille. Certains immigrants occupent donc un emploi, alors qu’ils participent à un programme de francisation à temps plein (St-Laurent et El-Geledi, 2011). De même, les responsabilités familiales se présentent comme un facteur qui freine la participation au cours de francisation, notamment pour les parents qui n’arrivent pas à dénicher une place en garderie pour leurs enfants d’âge préscolaire (de Billy Garnier, 2015; Leaune-Welt et Lacerte, 2008; TCRI, 2012). Dans le même ordre d’idées, les conflits d’horaire entre les cours de français et les obligations familiales contraignent certains apprenants à délaisser l’apprentissage du français (Bittar, 2011).

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