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Chapitre 1 Problématique

1.2 Le Bhoutan et l’indice du Bonheur National Brut

1.2.2 L’arrivée au Népal et la vie dans les camps de réfugiés

Les premiers réfugiés d’origine bhoutanaise sont arrivés au Népal à la fin des années 1980. Ils y ont établi de premiers campements de fortune aux abords de la rivière Mai, frontalière avec l’Inde, dans le district de Jhapa, (Evans, 2010a). Alors que le gouvernement népalais était plutôt réticent à accueillir ces apatrides, ils ont fait preuve d’ouverture à leur égard en leur ouvrant officiellement les frontières à partir de février 1991 (Giri, 2004). Dès la fin de l’année 1991, le gouvernement népalais a sollicité le HCR en vue de construire des camps de réfugiés offrant des conditions de vie plus décentes. Les sept camps de réfugiés ont été déployés dans le district de Jhapa (Beldangi-I, Beldangi-II, Beldangi-II extension, Goldhap, Timai et Khundunabari) et le district de Morang (Sanischare), situés au sud-est du Népal.

Figure 2 : Carte de location des camps de réfugiés au Népal

Source : UNCHR. Refworld17 Les réfugiés affluèrent en grand nombre au cours des années 1991-1992, le nombre d’arrivées quotidiennes atteignant un sommet, soit près de 600 personnes, vers le mois de juillet 1992. En 1994, plus de 86 000 réfugiés étaient dénombrés dans ces camps sous la responsabilité du HCR et leur nombre atteignait près de 108 000 en 2007, dernière année avant que débute la réinstallation (Evans, 2010a).18 La croissance importante de la population dans les camps est principalement attribuable à un fort taux de natalité . Par ailleurs, il faut souligner que ce ne sont pas tous les Lhotshampas qui ont quitté le Bhoutan qui ont trouvé asile dans les camps de réfugiés au Népal, certains vivent dans l’illégalité en Inde ou ailleurs au Népal (Hutt, 1996). Au début des années 2000, on estimait que près de 15 000 réfugiés d’origine bhoutanaise vivaient au Népal à l’extérieur des camps : « It is quite easy for the Nepalese-speaking refugees to mingle with the surrounding Nepalese population and vice-versa » (Brown, 2001, p. 125).

Tel que mentionné précédemment, les camps de réfugiés dans lesquels sont installés les réfugiés d’origine bhoutanaise sont sous la responsabilité du HCR. D’autres organisations internationales offrent également du soutien aux réfugiés par l’intermédiaire de différents programmes, notamment le Programme alimentaire mondial (PAM), Lutherian World Federation, Caritas Nepal, Association for Medical Doctors for Asia, Nepal Red

17 UNHCR. « Refworld ». [En ligne] : https://www.refworld.org/docid/3fe47e244.html (Consulté le 18 juin 2020). 18 UNCHR. « UNHCR Statistical Yearbook 2007 ». Statistical Annex (p.65). [En ligne] :

Cross Society (Brown, 2001; Muggah, 2005). Au moment de la mise en place de ces camps de réfugiés, les conditions de vie qui y prévalaient se distinguaient parmi les plus favorables des différents camps de réfugiés à travers le monde.19 À cet égard, les structures mises en place favorisaient l’engagement des réfugiés dans le développement des différentes infrastructures qui organisaient la vie dans les camps, notamment en ce qui concerne les infrastructures scolaires (Muggah, 2005). Légalement, ces réfugiés n’étaient pas autorisés à travailler, à acquérir un terrain, à sortir des camps et à s’engager dans des activités politiques, ce qui avait notamment pour conséquence de les rendre entièrement dépendants de l’aide internationale (Evans, 2010a; Muggah, 2005). En dépit de ces interdictions, plusieurs réfugiés ont occupé un emploi dans le secteur de l’économie informelle, que ce soit comme aide-ménagère, maçon, menuisier, conducteur de camion ou d’autobus, afin d’avoir un revenu supplémentaire pour compléter les rations alimentaires parfois insuffisantes (Dubé, 2015; Kharat, 2003). À cet égard, les réfugiés recevaient, par l’intermédiaire du PAM, de façon bimensuelle les rations alimentaires (riz, légumineuses, huile, sucre et sel) qui étaient calculées en fonction du nombre et de l’âge des membres de la famille.20 Enfin, les réfugiés dans ces camps avaient pour logis des huttes en bambou recouvertes d’un toit de chaume auquel était superposée une bâche plastique visant à les protéger de la mousson (Halsouet, 2015). Par ailleurs, au fil des ans, les conditions de vie des réfugiés se sont graduellement détériorées alors que la communauté internationale a diminué de façon considérable son soutien financier en guise de contestation à l’impasse des négociations visant à trouver une solution à la situation d’apatridie prolongée dans laquelle se trouvaient ces réfugiés.21

À cet égard, soulignons que les premières rondes de négociation entre le Népal et le Bhoutan en vue de rapatrier ces réfugiés dans leur pays d’origine ont eu lieu dès 1993 : « For many years, most refugees expressed their wish to repatriate to Bhutan, and the UNHCR emphasised return as the most desirable solution » (Evans, 2010a, p. 38). Malgré les 15 rencontres bilatérales tenues entre les gouvernements bhoutanais et népalais entre 1993 et 2001, aucun accord n’a jamais été signé (Evans, 2010a; Pattanaik, 1998). Ni l’un ni l’autre de ces gouvernements n’était prêt à reconnaître ces apatrides comme leurs ressortissants et, par le fait même, leur reconnaître une citoyenneté (Evans, 2010a; Hutt, 2005; Kharat, 2003).

En 2005, à l’initiative du HCR et face à la situation d’apatridie prolongée dans laquelle se trouvaient ces réfugiés, un groupe restreint de pays, dont le Canada, a été créé dans le but de trouver une solution durable à ce problème. Deux ans plus tard, en 2007, s’amorçait le programme de réinstallation des réfugiés bhoutanais au sein de huit pays ayant accepté de les accueillir sur leur territoire. Les gouvernements des États-Unis, du

19 Bhutanese refugees. « In the Camps ». [En ligne] : http://bhutaneserefugees.com/in-camps (Consulté le 18 juin 2020). 20 Ibid.

Canada, de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande, du Danemark, de la Norvège, du Royaume-Uni et des Pays- Bas se sont donc engagés à accueillir au moins 70 000 personnes entre 2007 et 2012.22

Dès 2008, des agents du gouvernement canadien se sont déplacés à Damak, au Népal, afin de sélectionner les réfugiés qui allaient être accueillis au Canada. Ces derniers présentent des profils très variés, on y compte des hommes, des femmes et des enfants de tous âges. La priorité a été accordée aux victimes de violence et de tortures, aux femmes plus vulnérables et aux individus ayant des limitations physiques, comme des troubles de la parole ou des déficiences auditives. À majorité hindouiste, les plus âgés ne parlent que le népaliī, alors que les jeunes adultes ont fait l’apprentissage de l’anglais en complétant des études de niveau primaire et secondaire dans les camps, voire postsecondaire, à l’extérieur des camps dans certains cas. Les adultes possèdent différentes habiletés professionnelles. Quelques-uns ont voyagé et travaillé à l’extérieur des camps alors que d’autres n’ont jamais mis les pieds hors de ces lieux, sont analphabètes ou peu scolarisés et n’ont jamais été en contact avec la culture « occidentale » (Banki, 2008a; OIM, 2008). Ces réfugiés ont été dirigés dans plus d’une vingtaine de communautés situées d’est en ouest du Canada. À l’instar des villes de Charlottetown, St-John’s, Toronto, Hamilton, Winnipeg, Lethbridge et Vancouver, la ville de Québec a été désignée comme communauté d’accueil pour ces réfugiés d’origine bhoutanaise.23 Entre 2009 et 2012, la ville de Québec a accueilli plus de 1 000 réfugiés d’origine bhoutanaise, ce qui en fait un des plus importants contingents en territoire canadien (Porter, 2013a).24

Tableau 1

Nombre de réfugiés d’origine bhoutanaise et népalaise25 réinstallés à Québec

au cours de la période 2009 à 2013

PERIODES BHOUTANAIS NEPALAIS TOTAL

AVRIL 2009–MARS 2010 154 43 197

AVRIL 2010–JUIN 2011 343 96 439

JUILLET 2011 – JUIN 2012 221 107 328

JUILLET 2012 – JUIN 2013 91 32 123

1087

22 Gouvernement du Canada. « Le Canada, terre d’asile ». [En ligne]: https://www.canada.ca/fr/immigration-refugies-

citoyennete/services/canadiens/celebrer-fait-etre-canadien/coin-des-enseignants/histoire-refugies.html (Consulté le 12 juin 2020).

23 Ibid.

24 Ces données sont corroborées par les rapports annuels produit par le Centre multiethnique de Québec (2010, 2011, 2012, 2013). 25 Les données sont compilées selon le pays d’origine déclaré par l’individu. Ainsi, certains réfugiés d’origine bhoutanaise qui ont été

réinstallés dans la ville de Québec sont nés au Bhoutan, alors que d’autres sont nés dans les camps de réfugiés au Népal. Le choix de référer à ce groupe d’individus par le terme « réfugiés d’origine bhoutanaise » sera justifié à la section 4.1 de la thèse.

En 2013, plus de 69 000 des 108 000 réfugiés d’origine bhoutanaise qui vivaient dans les camps au Népal avaient été réinstallés dans l’un des huit pays d’accueil (HCR, 2013). En novembre 2015, le cap des 100 000 réfugiés d’origine bhoutanaise réinstallés dans ces pays tiers était franchi, réduisant le nombre de camps de réfugiés à deux, alors qu’il était de sept au moment du lancement du programme de réinstallation en 2007. Au sujet du nombre de réfugiés d’origine bhoutanaise au sein des différents pays de réinstallation, les États-Unis se positionnent en tête de file avec 84 819 de ces réfugiés accueillis sur leur territoire. Par la suite, se classent en ordre décroissant : le Canada (6 500), l’Australie (5 554), la Nouvelle-Zélande (1 002), le Danemark (874), la Norvège (566), les Pays-Bas (327) et le Royaume-Uni (358).26 Alors que le programme de réinstallation tirait à sa fin, il était estimé qu’entre 10 000 à 12 000 réfugiés se trouvaient encore dans l’un des deux camps de réfugiés qui étaient toujours ouverts. Des efforts conjugués de la part du HCR, de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et de la communauté internationale devaient être menés afin de trouver une solution durable pour ce groupe de la population d’origine bhoutanaise.27

La situation des réfugiés d’origine bhoutanaise et leur accueil au Canada et Québec sera explicitée plus en détail un peu plus loin dans ce chapitre. Avant, il convient de présenter les principales caractéristiques sociohistoriques concernant la politique d’immigration au Canada.

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