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Chapitre 2 Positionnement épistémologique et approche théorique

2.6 Le cadre d’analyse : l’analyse des données en trois temporalités

L’ancrage épistémologique de cette thèse en ethnologie de l’interculturel s’inscrit dans le paradigme de la pensée complexe (Morin, 2005, 2012) et dans celui de l’interactionnisme symbolique (Chapoulie, 2001; Le Breton, 2004; Poupart, 2011). D’une part, la pensée complexe permet d’appréhender notre questionnement de recherche dans une perspective globale, où les éléments qui composent les phénomènes sociaux (contexte, interactions, sujets) sont considérés comme un tout indissociable. Ainsi, la pensée de Morin (2005, 2012) invite à porter un regard attentif sur les interrelations et les influences réciproques qui caractérisent les processus qui unissent ces éléments. D’autre part, l’interactionnisme symbolique, en plus de reconnaître le rôle fondamental des interactions dans la construction de la réalité sociale, introduit la notion de la dimension symbolique du monde et du sujet en tant qu’acteur de son expérience (Lacaze, 2013; Le Breton, 2004; Poupart, 2011).

La question des interactions sociales se retrouve au cœur des questionnements de recherche mis de l’avant dans cette thèse. Il a été démontré que celles-ci revêtent un caractère spécifique dans la sphère familiale, au sein des établissements d’enseignement et des organisations communautaires, notamment en contexte migratoire (Anisef et al., 2006; Kanouté et al., 2014; Vatz Laaroussi, 2009). Nous nous intéressons particulièrement à l’influence des interactions qui s’établissent entre les réfugiés d’origine bhoutanaise et les personnes-ressources qui se présentent sur leur parcours d’apprentissage du français. À cet égard, la notion d’autrui significatif (Bidart, 2008; Mead, 1963) sera mobilisée pour soutenir l’analyse du rôle joué par ces personnes-ressources.

D’un point de vue théorique, c’est la perspective des parcours de vie (Gherghel et Saint-Jacques, 2013; Lalive D’Epinay et al., 2005; Sapin et al., 2007) qui sous-tend l’analyse et l’interprétation des propos recueillis et des interactions observées. Nous adoptons donc le postulat que le développement de l’individu se déroule tout au

long de la vie (Fingerman et al., 2011; Lalive D’Epinay et al., 2005). À cet égard, le principe des vies liées et de la capacité d’agir seront mobilisés de façon plus spécifique pour analyser le parcours d’apprentissage du français des réfugiés d’origine bhoutanaise, les stratégies mises en œuvre pour favoriser l’apprentissage du français et l’influence des personnes-ressources à cet égard.

De même, l’expérience de la migration est appréhendée comme un espace-temps de transition (Grinberg et Grinberg, 1986; Matas et Pfefferkorn, 1997) où l’individu est appelé à déployer des stratégies d’adaptation (Hutchison, 2005), alors qu’il doit délaisser certains rôles sociaux pour s’en approprier de nouveaux (Anderson et al., 2012; de Billy Garnier, 2015) et ainsi renouer avec un sentiment de sécurité ontologique (Giddens, 1991). À cet égard, l’espace-temps que représente la migration peut être favorable à de nouveaux apprentissages, à condition que l’individu parvienne à donner sens à sa nouvelle réalité (Perret-Clermont et Zittoun, 2002). Des facteurs, tels que le cadre social, les relations interpersonnelles, les ressources symboliques et la possibilité de bénéficier d’un espace où il est possible d’expérimenter, contribuent à favoriser la consolidation des apprentissages (Perret-Clermont et Zittoun, 2002). La figure suivante présente la configuration graphique de notre cadre d’analyse.

Enfin, nous avons vu que la trajectoire migratoire, incluant la période passée dans les camps de réfugiés, peut favoriser le développement de compétences, formelles et informelles (Dustmann, 1999; Guilbert, 1994; Hagan et al., 2015; Williams et Baláž, 2005), ainsi que de savoirs d’expérience (Guilbert et Prévost, 2009) qui peuvent favoriser le processus d’intégration à la société d’accueil.

En écho à la pensée de Boutinet, où « toute transition est destinée à concilier trois formes complémentaires de temporalités qui apparaissent successivement » (2014, p. 10), l’analyse des données est articulée autour des trois grandes temporalités qui marquent le parcours d’apprentissage du français des réfugiés d’origine bhoutanaise rencontrés dans le cadre de cette thèse. La première temporalité, celle qui opère une rupture entre l’avant et le maintenant, correspond à la vie au Bhoutan et dans les camps de réfugiés au Népal, au moment où l’individu pose les pieds en sol québécois jusqu’au jour où il commence sa participation au programme de francisation du MIFI, soit les six premiers mois suivant l’arrivée (Chapitres 4 et 5). La deuxième, plus longue que la première, correspond « au temps des transformations silencieuses » (Boutinet, 2014, p. 10). Elle couvre la période où le parcours d’apprentissage du français de l’individu est généralement balisé par l’offre institutionnelle, soit près de deux ans (Chapitre 6). Enfin, la troisième temporalité se présente comme un moment où l’individu déploie des stratégies en vue de réaliser des projets qui sont parfois encore à définir. Cette dernière s’amorce dès que prend fin leur participation au programme de francisation. Elle est documentée jusqu’au moment où ils ont été rencontrés en entretien, sans que ceci constitue la fin du parcours d’apprentissage du français (Chapitre 7). En ce sens, la logique qui sous-tend la présentation des résultats vise à démontrer de quelle façon, à chaque étape de leur parcours, les réfugiés d’origine bhoutanaise mobilisent les apprentissages réalisés antérieurement, apprentissages qu’ils actualisent sous forme de compétences et qu’ils utilisent comme tremplin pour favoriser de nouveaux apprentissages. La figure suivante présente la configuration de ces trois temporalités.

Figure 4 :

Les trois temporalités du parcours d’apprentissage du français

Au terme de l’analyse des résultats, il sera intéressant d’ajouter à cette figure les principales caractéristiques propres à chaque temporalité.

Le prochain chapitre présente la démarche méthodologique qui a guidé l’approche et le travail de terrain, la collecte des données ainsi que l’analyse de celles-ci.

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