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Chapitre 5 Les premiers jours suivant l’arrivée, les premières semaines d’installation et les mois d’attente

5.4 Les bénévoles : un engagement sincère pour faire le bien et se faire du bien

Les trois bénévoles retraitées rencontrées, Solange, Gabrielle et Isabelle, se distinguent par l’engagement profond qui caractérise leur démarche auprès des familles d’origine bhoutanaise. Un engagement qui repose sur des valeurs personnelles, qui devient source de reconnaissance et qui contribue à leur épanouissement personnel.

D’emblée, ces femmes à la retraite présentent leur engagement auprès des familles d’origine bhoutanaise comme un véritable travail. Solange affirme : « Oui, c’est un travail, c’est une forme de travail. […] Je le fais avec mon cœur. […] Puis, je fais avec, pour les aider, pour leur donner un coup de main! Pour qu’ils puissent s’intégrer mieux ». Gabrielle, une enseignante à la retraite, se rappelle qu’elle a été attirée par la différence : « Moi, d’abord, tous les enfants qui étaient différents des autres, je les aimais ben gros. Ç’a toujours été ma passion ». Cet attrait pour la différence se manifeste désormais par l’intérêt qu’elle porte aux familles immigrantes. À cet égard, elle ajoute qu’elle ne fait que poursuivre l’engagement qu’elle a toujours eu au sein de sa communauté : « Mais, c’est comme ça, moi, toute ma vie que je me suis impliquée ». Ici, l’engagement

est perçu comme un mode de vie. Enfin, Isabelle raconte qu’elle a commencé à s’impliquer auprès des familles immigrantes à la suite du décès de son mari. Son engagement se présente comme une réponse à son besoin de briser l’isolement. Elle apprécie particulièrement les moments qu’elle partage avec les familles, un engagement sans contrainte, où elle n’attend rien en retour : « Mais moi, je ne m’attends jamais que quelqu’un va me dire : « Hé! Tu as donc fait ça! » Pour moi, c’est complètement… Mon plaisir est pour moi-même, de l’avoir fait » (Isabelle). À elle seule, cette citation illustre remarquablement la sincérité qui soutient l’engagement de ces trois femmes auprès des réfugiés d’origine bhoutanaise.

Ainsi, on observe que l’engagement de ces bénévoles auprès des familles d’origine bhoutanaises comble le temps qu’occupaient autrefois leurs engagements familiaux et professionnels. De même, il semble que cet engagement se présente comme un mode de vie qui s’enracine au cœur de valeurs personnelles, participant ainsi à leur besoin de réalisation personnelle en contribuant à donner sens à leur existence. Plus encore, il semble que cet engagement donne naissance à l’établissement d’un fort lien de confiance et d’attachement entre les familles d’origine bhoutanaise et les bénévoles qui sont parfois considérés comme une famille de substitution par celles-ci.

5.4.1 Lorsque les bénévoles deviennent une famille de substitution

Les témoignages recueillis démontrent que les familles d’origine bhoutanaise se livrent en toute confiance aux bénévoles, notamment en leur permettant d’être témoins d’évènements marquants dans leur vie. La place qu’occupent les bénévoles dans le quotidien de ces familles est si importante, que ces dernières en viennent à reconnaître les bénévoles comme des membres à part entière de leur famille. C’est en ce sens qu’il est possible d’affirmer que les bénévoles se présentent comme une famille de substitution pour certains réfugiés d’origine bhoutanaise.

Solange affirme que la plus grande surprise qu’elle a vécue relativement à son engagement auprès des familles réfugiées est la confiance qu’elles lui témoignent : « C’est-à-dire, la confiance… que quand on aide, on ne s’attend pas à ce que la personne ait nécessairement confiance en toi, puis qu’elle te demande ton avis? Mais là, c’est ça… » Les yeux brillants, Solange poursuit avec émotion : « J’ai tellement d’affaires, j’ai tellement de choses que j’ai vécues avec eux. J’ai assisté à deux accouchements. […] On me fait des confidences… » Alors que Solange ne va pas jusqu’à formuler que les réfugiés qu’elle accompagne la considèrent comme un membre de leur famille, Gabrielle l’évoque d’elle-même : « Bien moi, je… je suis comme de la famille pour eux autres. Je suis comme la grande amie, celle qui les aide ». Quant à Isabelle, elle décrit la relation qui l’unit aux familles d’origine bhoutanaises comme un lien qui repose sur l’amitié, malgré le fait que certains la surnomment

« Maman Isabelle ». Au-delà des actions qu’elle pose, la force de sa présence semble reposer sur sa capacité d’écoute et d’accueil sans jugement :

Je les écoute, je les écoute surtout. Puis il y a un grand-papa et une grand-maman dans la maison. […] Et la madame, c’est pareil, elle ne parle pas français. Elle m’embrasse, elle est contente […]. Puis le mari, il a commencé à apprendre le français, mais… Ah qu’il a de la misère! Puis, une fois je suis arrivée là et ils étaient en train de faire des prières. Faique là, je leur ai dit de continuer, de continuer. Puis, ils ont continué les prières. Puis j’ai écouté. C’était en népalais. C’est correct. C’est un peu dans ce sens-là, je rentre un peu dans ce qu’ils sont. (Isabelle)

Ce qu’Isabelle offre aux familles d’origine bhoutanaise, c’est une qualité de présence. Elle adopte une posture empreinte de respect, d’écoute et d’ouverture : « Je me sens bien et je les aime beaucoup. Ah oui, je les aime beaucoup » (Isabelle). Elle prend le temps et elle apprend. D’ailleurs, elle ajoute que même s’ils ne conversent pas beaucoup, les réfugiés d’origine bhoutanaise lui démontrent que sa présence est importante : « Ben, le corps parle, hein? Sourire. Quand je sens ça, ben pour moi, c’est bien » (Isabelle). Ces propos témoignent de la qualité d’écoute dont sait faire preuve Isabelle, alors qu’elle trouve ses réponses dans la communication non verbale qu’elle entretient avec les familles.

Enfin, ces exemples illustrent la force de l’attachement et le caractère intime des liens qui unissent les bénévoles aux réfugiés d’origine bhoutanaise. On observe qu’un lien de confiance réciproque se développe au fil des rencontres, soutenu par une qualité de présence et d’écoute ainsi que par un engagement quotidien sur le terrain.

5.4.2 Les bénévoles : un service complémentaire à ceux offerts par les organisations

communautaires et institutionnelles

L’analyse des données démontre que la présence des bénévoles auprès des familles d’origine bhoutanaise leur apporte un soutien au quotidien qui se manifeste comme une offre de services complémentaires à ceux dispensés par les différentes organisations, que celles-ci soient communautaires ou institutionnelles. Souvent présentes dès les premiers jours suivant l’arrivée des familles, ces bénévoles construisent avec elles les bases d’un lien de confiance qui favorise, par la suite, leur collaboration avec les différents intervenants du milieu.

Présentes au quotidien sur le terrain, les bénévoles retraitées rencontrées racontent qu’elles sont rapidement informées de l’arrivée d’une nouvelle famille dans le quartier. Bien souvent, c’est par l’intermédiaire des familles qu’elles côtoient qu’elles obtiennent cette information : « Par la suite, c’est une famille qui me donne le nom de l’autre. Disons que je suis à une place, ils me parlent de leur belle-sœur, de leur ami, c’est un peu comme ça… » (Isabelle). Ainsi, à partir d’une simple visite à une famille qu’elle a l’habitude de fréquenter, Isabelle peut initier

une première visite auprès de ces nouveaux venus afin de s’enquérir de leurs principaux besoins auxquels elle tentera de répondre en faisant appel à ses connaissances œuvrant dans le milieu, notamment les agentes en milieu interculturel. À cet effet, mentionnons que les bénévoles rencontrées collaborent régulièrement avec les différents organismes communautaires qui offrent des services aux personnes immigrantes et réfugiées.

Une fois les besoins de base comblés, les bénévoles offrent un accompagnement de proximité aux réfugiés qui vise, notamment, à leur faire connaître les différents services offerts par la Ville de Québec. Pédagogue d’expérience, Gabrielle consulte avec les familles l’ensemble des informations relatives à la fréquentation des installations culturelles et sportives à Québec : « On étudie les heures, les jours d’ouverture, le jour, le soir. Puis, ils y vont à la piscine. […] Je leur ai dit : « On va aller patiner, puis je leur donne des patins! » […] Au début, ils étaient sur le bord de la patinoire et ils regardaient. Maintenant, ils sautent dessus! » Gabrielle poursuit ses explications en soulignant qu’il est fondamental d’aller à la rencontre de ces familles, dans l’intimité de leur foyer, afin de s’assurer de leur compréhension des services offerts, un préalable si l’on souhaite qu’ils les investissent réellement : « Mais, comment que tu diras on va faire une réunion et on va tout expliquer ça… Ils ne comprendront pas beaucoup! Mais si tu es à côté d’eux autres, que tu n’es pas loin, que tu as ton petit papier : « Regarde, c’est ça », « C’est où ça? », « Tu connais la bibliothèque? » […] Ce sont toutes des petites affaires qu’il faut faire connaître. C’est ça la vie! » Loin d’être anodine, cette attention portée aux activités récréatives, qui font également partie du quotidien, participe au processus d’adaptation des réfugiés d’origine bhoutanaise à leur société d’accueil.

Ainsi, on observe que les actions posées par les bénévoles répondent à des besoins concrets (nourriture, ameublement, connaissance et appropriation du quartier) et qu’elles améliorent, par le fait même, la qualité de vie de ces familles. À cet égard, les agentes en milieu interculturel reconnaissent la valeur exceptionnelle du travail accompli par les bénévoles auprès des réfugiés d’origine bhoutanaise.

5.4.3 Les bénévoles et les agentes en milieu interculturel : un véritable travail de collaboration

Les trois agentes en milieu interculturel rencontrées ont été unanimes quant à la présence des bénévoles sur le terrain qui a grandement facilité leur travail auprès des familles d’origine bhoutanaise. D’une part, l’engagement de longue date des bénévoles au sein de leur quartier a favorisé les premiers contacts et l’établissement d’un lien de confiance avec les familles d’origine bhoutanaise. D’autre part, par leur connaissance des familles réfugiées et des différentes ressources disponibles pour leur venir en aide, elles allègent le travail des agentes en milieu interculturel en réalisant certaines tâches qui leur incomberaient.

Anaïs se rappelle qu’on lui a parlé de Gabrielle dès son entrée en poste : « On me l’a dit en entrant : « Il va falloir que tu rencontres Gabrielle! » Elle aussi savait que je m’en venais, elle m’a dit : « Anaïs, là, qu’est-ce qu’on fait ensemble? » Ç’a été une super de belle collaboration. Vraiment, une super femme! Super passionnée! Rires » D’emblée, Anaïs soutient que la présence de Gabrielle lui a permis de développer un « lien plus particulier » avec les réfugiés d’origine bhoutanaise, ce qu’elle associe au fait que Gabrielle soit engagée auprès des nouveaux arrivants dans ce secteur depuis plusieurs années :« Gabrielle, elle vient de [nom du quartier] et ça fait des années qu’elle fait ça. Elle est bénévole pour plusieurs organismes […] Elle a reçu toutes les premières familles bhoutanaises et, même avant, elle avait reçu des familles africaines qui habitent dans le quartier. Elle, elle était là au début ». Anaïs poursuit en évoquant la solidité du lien de confiance que Gabrielle est parvenue à développer avec les familles grâce à la régularité et à l’intensité et de leurs interactions. Un lien de confiance que les intervenants comme elle, quoique bien outillés, ne possèdent pas d’emblée. Anaïs est d’avis que c’est la collaboration développée avec Gabrielle qui lui a permis d’établir aussi rapidement un lien privilégié avec l’ensemble des familles d’origine bhoutanaise qu’elle était appelée à côtoyer dans le cadre de ses fonctions : « C’est elle qui m’a ouvert la porte de toutes les familles, parce qu’elle connaissait les familles, les familles la connaissaient. J’entrais dans les familles grâce à elle ». En fait, Anaïs précise que cette collaboration avec Gabrielle s’est rapidement structurée en véritable « méthode de travail » qui se déployait comme suit : « Quand une nouvelle famille arrivait, le CMQ y allait, j’y allais, Gabrielle aussi » (Anaïs), ce qui témoigne de l’importance et de la valeur du travail accompli par Gabrielle.

Pour sa part, Élodie, agente en milieu interculturel, insiste sur le fait que la présence des bénévoles sur le terrain lui permettait d’intervenir plus efficacement auprès des familles d’origine bhoutanaise : « On s’appelle : « Telle famille, ça ne va pas, je pense. Je pense que pour la nourriture, il faudra aller voir ». Donc, moi je me déplace, on fait des échanges comme ça, ça aide beaucoup. […] Gabrielle, c’est vraiment une ressource extraordinaire ici. C’est comme… sans elle, il y a des bouts où ça serait plus difficile ». En effet, les agentes en milieu interculturel témoignent à plusieurs reprises de l’ampleur de la tâche à laquelle elles sont confrontées : « […] il y a tellement de besoins et tellement de familles, que tu manques de temps, tu manques de ressources pour le faire, donc ça devient difficile » (Anaïs).

Ainsi, on observe la mise en œuvre d’une triade où se déploie une collaboration entre les bénévoles, les agentes en milieu interculturel et les familles d’origine bhoutanaise. Il semble que les retombées de cette triade bénéficient à tous les acteurs qui sont impliqués, alors que les bénévoles en retirent une grande satisfaction personnelle, que les agentes en milieu interculturel y trouvent une façon d’accomplir plus efficacement leurs tâches et que les familles d’origine bhoutanaise voient un plus grand nombre de leurs besoins répondus.

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