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Chapitre 5 Les premiers jours suivant l’arrivée, les premières semaines d’installation et les mois d’attente

5.6 Les stratégies d’apprentissage du français avant la francisation

L’ensemble des réfugiés rencontrés ont témoigné de la mise en œuvre de stratégies visant à favoriser l’apprentissage du français avant que débute leur participation au PILI. Certaines de ces stratégies se déploient sur une base individuelle et prennent appui sur des connaissances acquises dans les camps de réfugiés ou auprès des membres de la famille ou des compatriotes, alors que d’autres se concrétisent par la fréquentation d’organismes communautaires qui offrent des cours de français.

5.6.1 Les stratégies individuelles, familiales et de groupes

On observe que les réfugiés d’origine bhoutanaise mettent en œuvre des stratégies individuelles qui s’appuient sur leur maîtrise préalable d’autres langues (anglais, népali), sur la présence du français dans leur environnement (télévision, conversation, voisinage) ainsi que sur la connaissance du français développée par leurs compatriotes d’origine bhoutanaise qui participent au programme de francisation.

Moni, l’une de celle qui possède le plus grand nombre d’années de scolarité préalable à la migration, a privilégié l’écriture, en anglais et en népalais, pour apprendre ses premiers mots : « J’écris [en français], après j’écris en népalais en haut, après en anglais aussi et c’est un peu difficile, mais je réussis un peu ». De son côté, Abani a regardé des programmes télévisés à quelques reprises : « Ouais, ouais, j’écoutais la télé en français, mais

c’était ben capoté, là. […] Parce que j’ai tellement rien compris ». Quant à Sanu, elle se rappelle qu’elle portait une attention particulière aux conversations entre francophones :« Je regarde toutes les personnes, comment elles parlent. J’écoute. C’est quoi ça le « Bonjour », c’est quoi ça le « Merci » ? »Pour sa part, Prakash, qui se démarque par sa personnalité extravertie, n’a pas hésité à créer des occasions d’échanger avec les Québécois qu’il croisait au quotidien, qu’il s’agisse de ses voisins, du concierge ou du propriétaire de l’immeuble où il résidait. Il raconte que cela lui a permis d’apprendre les salutations d’usage : « Bonjour, comment ça va ? Comment allez-vous ? » (Prakash)

De plus, nombre de participants rencontrés ont profité de la présence de compatriotes d’origine bhoutanaise qui avaient déjà amorcé leur participation au programme de francisation pour se familiariser avec le français. À titre d’exemple, Binaï raconte qu’il a appris ses premières expressions en français grâce à sa femme : « I use to know the Merci beaucoup, Bonjour and A, B, C, D. Because my wife, she went to school ». Bhola, qui souhaitait préparer son entrée en francisation, a explicitement demandé de l’aide à une amie : « J’étais vraiment intéressé, à cause de ça, je suis allé chez elle. J’ai demandé: est-ce que vous pouvez aider moi ? Parce que je suis prêt pour aller à l’école. Je suis un peu préparé pour aller à l’école » (Bhola). Ces quelques exemples démontrent que les interactions entre les compatriotes d’origine bhoutanaise, malgré le fait qu’elles se déroulent généralement dans leur langue maternelle, peuvent tout de même soutenir l’apprentissage du français.

5.6.2 La fréquentation des organismes communautaires

Au cours de la période précédant leur entrée en francisation, huit des quinze réfugiés rencontrés (Moni, Sanu, Abani, Bhola, Tara, Chandra, Tila, Ramila) affirment avoir fréquenté des organismes communautaires offrant des cours d’alphabétisation ou d’apprentissage du français. Au sein de ces organismes, l’offre hebdomadaire de cours de français varie, la plupart des cours étant offerts une à trois fois par semaine, généralement à raison d’une à trois heures par séance. Les propos recueillis révèlent que les réfugiés ont été dirigés vers ces organismes par l’intermédiaire des agentes en milieu interculturel, des bénévoles ainsi que par des compatriotes d’origine bhoutanaise.

Anaïs, qui était là au moment des premières arrivées, se rappelle avoir consacré de nombreuses heures à des réfugiés afin de leur faire visiter les différents organismes communautaires du secteur, notamment ceux offrant des cours de français : « […] parce que souvent les familles si tu leur dis : « Il y a cet organisme-là pour le français », elles n’iront pas. Pour plein de raisons, mais notamment parce qu’ils ne connaissent personne là, parce qu’ils ne savent pas comment ça fonctionne. […] Peut-être qu’ils sont gênés, peut-être que… ça peut-être plein de raisons ». Elle ajoute que cet accompagnement de proximité permettait aux réfugiés de se familiariser avec leur nouvel environnement, en plus de favoriser un premier contact avec les professionnels œuvrant au

sein de ces organisations. Par ailleurs, Élodie a observé qu’au fil des arrivées successives de ces groupes de réfugiés, il lui était de moins en moins nécessaire d’offrir cet accompagnement, puisque celui-ci était assuré par leurs compatriotes. Observation qui est corroborée par les propos de Tila : « Il y avait des Bhoutanais qui étaient déjà là [nom de l’organisme communautaire], et c’est avec eux que nous sommes allés ». De même, on observe que la proximité géographique de l’organisme par rapport au lieu de résidence des apprenants a une influence sur la décision de fréquenter un organisme plutôt qu’un autre, puisque ces derniers s’y rendent généralement à pied. De plus, on remarque que les réfugiés rencontrés, notamment les plus jeunes, ont cessé de fréquenter ces organismes après quelques visites. À cet effet, deux raisons principales ont été évoquées.

D’une part, il y a ceux qui racontent avoir rapidement fait l’apprentissage de l’ensemble des notions de français qui étaient enseignées au sein de l’un ou l’autre de ces organismes. Abani, qui assistait à des cours de français en compagnie de ses parents, raconte en riant qu’il s’est fait poliment montrer la porte : « Oui, je trouvais ça vraiment drôle! Puis, il y avait juste le cours A, B, C, D, puis 1, 2, 3, 4, les chiffres, puis le nom des jours de la semaine, puis le nom des mois. Quatre fois, je suis allé là-bas. Puis, je connais toutes les choses, j’apprends toutes les choses et ils m’ont dit : « C’est bon! C’est juste tes parents qui restent! » Pour Abani, qui avait fréquenté l’école dans les camps de réfugiés au Népal, il a été facile d’assimiler rapidement les notions de base en français, ce qui n’était pas le cas pour ses parents.

D’autre part, il y a ceux pour qui l’hétérogénéité des groupes d’apprenants dans les cours de français s’est présentée comme un frein à la participation : « Quand j’ai commencé, il y a déjà des personnes qui… Peut-être je pense… Ils sont espagnols ? […] Eux déjà, ils commencent à déjà parler bien, oui. Professeure, elle nous donnait des papiers pour lire. C’était vraiment difficile pour moi […] » (Bhola). Tara confie avoir vécu une expérience similaire : « Parce que quand je suis allée, il y a une personne qui connait beaucoup [le français] et moi non. Je pense que c’est très difficile. Moi, je suis très timide, […] je suis un petit peu gênée ». Il semble donc que la présence d’apprenants ayant une certaine connaissance du français peut avoir une incidence négative sur l’engagement des individus envers cette forme de cours. À l’instar d’autres compatriotes, Tara a choisi de délaisser les cours de français offerts par un organisme communautaire de son quartier et d’attendre que débute sa participation au programme de francisation du ministère de l’Immigration dans un établissement d’enseignement, là où elle s’imaginait entourée de gens dont le niveau de connaissance du français serait similaire au sien.

Élodie, agente en milieu interculturel, est d’avis que même si les nouveaux arrivants fréquentent ces organismes sur une courte période, les quelques cours auxquels ils auront assisté peuvent contribuer à faire une différence dans leur parcours d’apprentissage du français : « Ils vont apprendre à leur rythme : « Salut! Ça va bien ? Bonjour », des trucs comme ça, mais rien comme la francisation au cégep, ça, c’est sûr. Mais au moins, qu’ils

se fassent un peu l’oreille, qu’ils soient dans un contexte francophone. Parce que souvent, ils sont beaucoup entre eux, ils vont parler népali, c’est sûr. N’importe qui le ferait ». Elle a observé qu’ils pouvaient passer beaucoup de temps à la maison avant d’entrer en francisation, corroborant ainsi les propos recueillis auprès des réfugiés à cet égard.

Ainsi, l’analyse des propos recueillis démontre que l’accompagnement de proximité, qu’il soit offert par les agentes en milieu interculturel ou les compatriotes d’origine bhoutanaise, a une incidence positive sur leur propension à fréquenter des organismes communautaires. Par ailleurs, on observe que la non-adéquation du contenu pédagogique de ces premiers cours de français avec les besoins et les attentes des apprenants ainsi que l’hétérogénéité des groupes ont une incidence sur leur motivation à s’engager dans l’apprentissage du français dans ce contexte. À cet égard, il convient de présenter plus en détail l’accueil réservé à ces réfugiés dans certains organismes communautaires qu’ils ont fréquenté et d’examiner les stratégies mises de l’avant à cette fin par les personnes-ressources rencontrées.

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