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En aout 2004, la Direction de la Recherche des Etudes de l’Evaluation et des Statistiques (DRESS) lors d’une étude sur les conditions de travail perçues par les professionnels de santé met en évidence que les « contraintes de rythme de travail » sont plus fortement perçues : « les infirmières et aides-soignantes des établissements publics estiment notamment plus que leurs collègues du privé, manquer de temps pour faire correctement leur travail » (DRESS, 2004, p. 7). Les infirmières du secteur public pour 48% et 41% de ces professionnelles dans le secteur privé lucratif déclarent ne pas effectuer correctement leur travail dans le temps qui est imparti. En effet, « la part de ceux qui estiment ne pas avoir de

66 temps suffisant pour effectuer correctement leur travail (…) a augmenté pour atteindre 41% » (Ibid., p. 7). Dans la même enquête, il est spécifié qu’en 1998, 46% des actifs des établissements hospitaliers déclareraient appliquer strictement les consignes pour faire correctement leur travail. Encore, cinq années plus tard, ce pourcentage avait augmenté de 11 points (Ibid., p. 9).

Clot, lors d’un congrès de l’Association Internationale de Psychologie du Travail de Langue Française (AIPTFL) à Lyon en juillet 2012, dit assister à « une dégradation du bien-faire, le travail perd en qualité, […] alors à force de parler des qualités des résultats on oublie de parler de la qualité du travail, sur le bien faire » (Clot, 2012). En s’appuyant sur des études menées à la Poste et à France Télécom par Hanique et Zarifian, il illustre la « qualité empêchée » en exposant les méfaits induits par la modernisation conduisant à un « dilemme assez général et psychiquement fort couteux » (Clot, 2010, p.39). Ses changements ont des effets autant sur les professionnels que sur les bénéficiaires de ces services publics. Pour plus d’efficacité et de rentabilité, les nouvelles organisations et manières de faire y étant mises places « ne délivre[nt] plus les ressources dont les salariés ont besoin pour faire un travail de qualité ni même pour déterminer en quoi consiste pareil travail. Elle[s] les prive[nt] des moyens de travailler, au premier rang desquels se trouve ici la possibilité même de reconcevoir ensemble l’objet controversé: le respect au client » (Clot, 2010, p. 50). Nous sommes donc amenés à constater que « la qualité du service ne fait plus partie du travail prescrit » (Clot, 2010, p. 49). De ce fait, « le ressentiment qui suit la multiplication des problèmes de conscience rencontrés par chacun isolément empoisonne l’existence si le développement de la conscience professionnelle ne leur donne pas un autre destin que la rumination » (Clot, 2010, p. 44).

Les hôpitaux se sont vus aussi touchés par cette logique budgétaire du fait des préconisations de la loi organique relative aux lois des finances. La T2A, incontournable de la « nouvelle gouvernance » pour une recherche de l’efficience semble avoir impacté le sens du travail et la notion de travail bien fait. Ainsi, dans ce contexte, le soin est converti en actes tarifiés. Cette « obsession budgétaire » a alors un coût pour les soignants qui cherchent à accomplir un travail bien fait. Pour les blocs opératoires, la volonté est affichée : augmenter le volume de l’activité. Mais, au regard des préconisations de l’ANAP (anciennement MEAH), « on comprend bien, à la lecture, comment doit s’accroître la productivité du bloc, mais il est bien difficile de voir comment sont pris en compte les autres objectifs énoncés et qui, eux,

67 concernent la qualité de l’acte, le confort du patient et les conditions de travail de l’ensemble des personnels » (Clot, 2010, p. 77). Pour Clot, cette position de gestionnaire ne peut permettre à elle seule l’analyse de la qualité du travail des professionnels de santé car il existe « un conflit de critères existant entre la gestion et le travail réel » (Clot, 2010, p. 78). Ainsi,

« En deçà d’un certain seuil, justement difficile à évaluer, où le « travail bien fait » a fini d’exister - seuil qui engage d’abord ceux qui sont aux prises avec le réel- on se cherche en vain dans ce qu’on doit faire. […] Décider à quel moment la limite de l’acceptable est franchie est un problème collectif qu’on pense parfois ne plus avoir les moyens de se poser. Il n’est pas rare d’entendre alors tel professionnel, au-delà des chirurgiens, confronté à des images de sa propre activité, la commenter ainsi, comme avec les yeux de quelqu’un d’autre : « Pour quelqu’un qui me connaît, ce n’est pas moi, ce n’est pas mon travail. » Là encore, travailler « coûte que coûte » gâte l’existence. (Clot, 2010, p. 78)

Que pouvons-nous comprendre de ce malaise qui serait généré par un pouvoir-agir gêné et contraint. Ce concept d’activité empêchée décrit par Clot en 1999 ne se fonde pas que sur une description d’une activité qui est effectuée. Son analyse doit aussi comporter :

« ce qui ne se fait pas, ce qu’on ne peut pas faire, ce qu’on cherche à faire sans y parvenir - les échecs -, ce qu’on aurait voulu ou pu faire, ce qu’on ne fait plus, ce qu’on pense ou ce qu’on rêve pouvoir faire ailleurs. Il faut ajouter -paradoxe fréquent-ce qu’on fait pour ne pas faire ce qui est à faire ou encore ce qu’on fait sans vouloir le faire, sans compter ce qui est à refaire. En matière d’activité, le réalisé ne possède pas le monopole du réel » (Clot, 2004, p. 119).

6- UN SOIGNANT À L’INTERSECTION DE DEUX MONDES

Pour les professionnels spécialisés en bloc opératoire, le risque est partie intégrante de leur pratique puisqu’ils doivent le prévenir le gérer mais par là même ils peuvent le majorer pour le patient. Ils doivent tout d’abord anticiper au mieux puis gérer les risques à priori ou réels pour garantir la sécurité des soins prodigués. Mais paradoxalement, le risque est engendré dans leur pratique au quotidien et même, nous venons de le noter, soutenu par le système. Ainsi, à travers les infractions aux règles, la sécurité pouvant être mise à mal, que se joue-t-il pour ces acteurs ? Peut-on parler de déontologie ? Quel sens donnent-ils à leur travail ? L’article R. 4312-26 du Code de la Santé Publique spécifie : « l’infirmer ou

l’infirmière agit en toute circonstance dans l’intérêt du patient ». Peut-on parler de bénéfice

68 R. 4312-11) rappellent qu’ils doivent faire respecter les règles d’hygiène dans les soins et l’utilisation des matériels.

Pour les infirmiers de bloc opératoire diplômés d’état, nous avons noté que la gestion de risques est la pierre angulaire de leurs missions tout en garantissant des soins sécuritaires dans les trois rôles (rôle de circulant, rôle d’instrumentiste, rôle d’aide opératoire) qu’ils remplissent en salle d’intervention. De ce fait, anticiper, prévenir les risques, gérer les aléas per opératoires ne serait-il pas aussi le cœur de leur métier ? A contrario, le non-respect des procédures sécuritaires n’engendrerait-il pas des risques majorés pour le patient ?

De leur côté, les infirmiers d’anesthésie diplômés d’état mettent en œuvre des gestes techniques qu’ils exécutent en exclusivité. Ils maîtrisent notamment des connaissances en physiologie, en pharmacologie aussi bien qu’une technicité certaine dans le processus de leur travail. Cette connaissance technique est fondée sur la connaissance et vérification du matériel au regard des procédures d’hygiène. Comment peuvent-ils affirmer par exemple que le respirateur qui s’autoteste est sûr ? Peuvent-ils être garants de soins sécurisés à un niveau maximum face aux missions confiées dans leur mandat ?

Cependant, nous écarterons la notion de non-connaissance de la part de ces auxiliaires médicaux. L’erreur ou la négligence peuvent-être alors la cause ? Les contraintes temporelles, organisationnelles ou d’autre nature que ce soit, sont-elles tant prégnantes pour ne pas respecter des procédures autant faire ce peut pour arriver à un résultat de performance attendu ? Peut-on parler de travail prescrit, de travail attendu quand certains risques sont alors majorés en travail réel ? Le travail attendu devrait garantir un maximum de sécurité, une absence de danger dans une démarche qualité ?