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Que penser des différentes manières d’appréhender le réel ? Pouvons-nous opposer les méthodes qualitatives et quantitatives ? Y aurait-il dans cette éventuelle opposition un conflit épistémologique ? Force est de constater que la combinaison de ces deux méthodes en éducation est actée depuis les années 80 (Crahay, 2006, p. 34). La tradition positiviste infère une connaissance objective du monde physique et social. D’après De Landsherre (1982, p. 22) cité par Crahay (2006, p. 34), le positivisme a trois principes :

1. « L’unité de la science

2. La méthodologie de la recherche doit être celle des sciences exactes : mathématiques, physique

3. L’explication scientifique est de nature causale. »

Selon Dithley, les sciences de l’Homme accèdent à une compréhension et non à une explication des faits sociaux. De même, d’après Herman (1983), contrairement au positivisme, « étudier le social, c’est le comprendre ». Ainsi, pour Erikson (1986) cité par Crahay, le comprendre, c’est conférer un « intérêt pour la signification donnée par les acteurs aux actions dans lesquelles ils s’engagent. […] le terme action comprend le comportement physique plus les significations que lui attribuent l’acteur et ceux qui sont en interaction avec lui » (Crahay, 2006, p.36). Dès lors, les personnes en interaction, traduisent les agissements d’autrui en fonction des valeurs qu’ils y apportent. Ainsi, les infirmiers peuvent, lors de notre enquête, faire part de la valeur qu’ils attribuent à leurs actes ainsi qu’à ceux de leurs pairs. Ils mobiliseront les cognitions qui fondent leurs agissements ou celles qui les justifient.

Pour le même auteur, il n’y a pas d’opposition entre les deux approches méthodologiques. La quantification est fréquente pour le fondement scientifique de l’analyse qualitative pour permettre de rassembler les données en indicateurs mathématiques et les présenter. Il nous faut alors identifier des indicateurs des violations de différents types en bloc opératoire pour les exposer. Les méthodes quantitatives permettent la construction de connaissances. De ce fait, le réel est codé et quantifié. L’unité d’encodage est un construit scindant la réalité en tenant compte des modèles l’interprétant.

140 En conséquence, comprendre le réel humain par nature complexe nécessite des méthodes plurielles. Les faits sociaux « doivent être mis en lumière dans leur importance quantitative car, s’ils sont fréquents, ils composent irrémédiablement le substrat événementiel auquel l’individu est confronté » (Crahay, 2006, p. 49). Mais, il faut compléter ces données en saisissant le sens apporté à ces comportements par les personnes.

Notre dessein est le suivant : comment recueillir des données objectivables ? Voici le point auquel nous nous efforçons de répondre pour confronter au réel nos hypothèses. De la sorte, quelles méthodes de recueil d’informations privilégier pour mettre au jour un inconfort psychologique éventuel chez les infirmiers ? Comment mettre en évidence les actions et comportements des IBODE face aux bonnes pratiques, face aux procédures sécuritaires ? Comment recueillir des données pour mettre au jour des déviances possibles ? Comment amener les infirmiers spécialisés à s’exprimer sur leurs perceptions, sur leur affect dans leurs situations de travail ? Comment faciliter leur expression pour mettre en exergue leur dissonance si malaise il y a ? Certes, il faudra favoriser leurs dires. Mais quelles stratégies mettre en place pour accompagner ces professionnels à formuler leurs modes de réduction ?

La méthode par questionnaire peut favoriser l’objectivation de certains non-respects de procédures ou bonnes pratiques, de certaines difficultés, de certains ressentis, de valeurs, d’une subjectivité certaine en les quantifiant. Ainsi, il facilite la mesure des différentes violations routinières, par nécessité ou par commodité. Il nous aide aussi à préciser certains affects qu’éprouvent les IBODE questionnés quand ils relatent les non respects de bonnes pratiques.

La méthode qualitative peut permettre de comprendre les modes de réduction notamment le changement d’attitude généré par l’état motivationnel induit par la dissonance. Elle peut aussi favoriser l’expression de violations de quelques types soient-elles. Ainsi, nous pourrons mettre en évidence la nature des violations versus état de dissonance et modes de réduction éventuels. Elle peut complémenter de même notre recueil de données quant aux valeurs et qualités professionnelles exprimées par les IBODE.

La technique de l’entretien quant à elle, est bien antérieure à celle reconnue en sciences sociales. Il y a des siècles son usage diplomatique renvoyait au dialogue établi entre deux souverains. Mais avec l’étude réalisée à la Western Electric, « se déroule une enquête

141 d’évaluation d’un style nouveau qui sera rapportée, commentée et théorisée en 1943 par ceux que l’on considère comme les fondateurs de l’entretien de recherche : Roethlisberger et Dickson » (Blanchet, Gotman, 1992, p. 9). Ces chercheurs étudièrent l’ampleur et l’étendue des « relations interpersonnelles dans la motivation au travail » (Ibid., p. 10). Ainsi, le questionnaire ne satisfaisait plus dans la mesure où les ouvriers interrogés se trouvaient dans l’incapacité de s’exprimer librement puisqu’ils devaient renseigner des questions envisagées par les chercheurs. De la sorte, « d’une information qui constituait une réponse ponctuelle à une question directe de l’enquêteur, on est passé à une réponse-discours obtenue par des interventions indirectes de l’enquêteur » (Blanchet, Gotman, 1992, p. 9). En conséquence, par le biais des échanges, la mise en mots de la subjectivité de l’enquêté pourrait être facilitée car « les méthodes d’entretien se distinguent par la mise en œuvre des processus fondamentaux de communication et d’interactions humaines. De plus, « correctement mis en valeur, ces processus permettent au chercheur de retirer de ses entretiens des informations de réflexion très riches et nuancées » (Quivy, Campenhoudt, 1995, p. 194). Par conséquent, ce dialogue entretiendra l’expression des perceptions d’un évènement et de leurs pratiques de travail. L’infirmier IBODE pourra justifier son interprétation de certaines situations, de certains comportements au regard de questionnement singulier. Ainsi, le fait d’être en interrelation lors de la communication favorisée par la méthode de l’entretien pourra encourager différents niveaux de communication. Nous retrouverons alors différents degrés où la communication se développera. Tout d’abord, « le niveau corporel correspond au comportement non verbal, le niveau émotionnel intègre les émotions, les sentiments, le niveau intellectuel repose sur le discours, les raisonnements, l’argumentation. Le niveau spirituel représente les valeurs et les croyances de l’individu. » (Guittet, 2008, p. 7). Nous essaierons donc de permettre l’expression de ces diverses dimensions. Ainsi, l’entretien « fait appel au point de vue de l’acteur et donne à son expérience vécue, à sa logique, à sa rationalité, une place de premier plan » (Blanchet, Gotman, 1992, p. 23).

De façon complémentaire, le questionnaire est censé interroger des variables telles que des affects auto-rapportés, la typologie des violations. Il permet ainsi d’appréhender la population des IBODE face aux procédures contournées. Les entretiens permettront de donner du sens à des comportements. Ils faciliteront une compréhension de phénomènes vécus.

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