• Aucun résultat trouvé

Il existe plusieurs reformulations de la théorie de la dissonance cognitive apparues par la suite. Certaines énoncent des conditions, appuient sur un aspect de la théorie, d’autres apportent des modifications impactant l’objectif de la théorie. Nous différencierons alors deux types de reformulations. Il y a tout d’abord des « reformulations « fonctionnelles » apportant une modification de l’objectif du processus de la dissonance cognitive » puis, « des reformulations « techniques » qui spécifient ou précisent le concept de dissonance sans en modifier profondément l’essence ni les motivations » (Vaidis, 2011, p. 30).

Nous présenterons ici une reformulation technique. Elle nous offrira des précisions supplémentaires au regard de notre objet d’étude. Elle éclaircira le processus et le fonctionnement de la dissonance cognitive. Cette révision de la dissonance cognitive est dite radicale car elle se veut d’apporter des éléments supplémentaires sur le cœur de la théorie de Festinger.

Cette conception radicale voit son origine grâce à une expérience de Beauvois, Ghiglione et Joule (1976). Au sein d’un lycée, des dyades de lycéens devaient expliquer une argumentation pour persuader d’autres jeunes de l’existence de créatures extraterrestres. Après les conférences, ces étudiants devaient expliquer leur attitude au regard de la vie de ces

113 êtres extraterrestres. Ainsi, ces chercheurs ont observé que les jeunes ayant convaincu un autre lycéen de la vie vénusienne ou martienne, avaient toujours la même opinion après leur argumentaire. Cependant, ceux n’étant pas arrivé au même résultat, adoptèrent une conviction beaucoup moins tranchée. Ainsi, découlèrent de ces résultats une première reformulation de la théorie de la dissonance radicale de Festinger (1957) : la théorie radicale.

Pour Beauvois et Joule, cette théorie est relue sous l’angle de la théorie de l’engagement de Kiesler (1971). Pour ces chercheurs la théorie de la dissonance cognitive serait « une théorie post-comportementale de la rationalisation des conduites problématiques réalisées dans un contexte engageant » (Vaidis, 2011, p. 51). Ainsi, cette vision voit sa genèse de part le comportement d’une personne dans une situation d’engagement. Certaines violations en bloc opératoires peuvent être considérées comme des comportements problématiques qu’effectueraient certains infirmiers. De plus, elles sont commises dans un contexte fortement engageant au bloc opératoire. L’infirmier devra en assumer la responsabilité puisqu’il n’a été clairement pas obligé de transgresser.

La théorie radicale de la dissonance cognitive peut être synthétisée en quatre points incontournables et fondamentaux :

• L’état psychologique de dissonance cognitive génère un état motivationnel ;

• La cognition génératrice : elle fixe la référence pour établir le taux de dissonance puisque « le taux de dissonance est définie à partir d’une cognition et d’une seule : la connaissance génératrice » (Beauvois, Joule, 1981, p. 114). Elle permet d’estimer les cognitions consistantes et les cognitions inconsistantes. Elle n’est positionnée ni dans le numérateur ni au niveau du dénominateur et n’est donc pas prise en compte pour le calcul du taux de dissonance. Elle est « comportementale de nature » (Beauvois, Joule, 1996, p. 8), elle représente ainsi un comportement et indique un acte problématique. Cet acte est donc le déclencheur de la dissonance ;

• Le processus de rationalisation : son objectif est de diminuer l’inconsistance révélée au regard de la cognition génératrice. En sorte, comme la cognition est un comportement problématique en soumission induite, il suffit de le rationnaliser. Ainsi, « la réduction de la dissonance n’a pas pour objet l’élimination de toutes les relations de dissonance, mais seulement de celles dans lesquelles la cognition génératrice est impliquée » (Beauvois et Joule, 1981, p. 114) ;

114 • Le statut de l’engagement : afin qu’une situation génère de la dissonance, la personne doit avoir accompli un acte problématique. Mais, elle doit aussi effectuer cette action dans un contexte d’engagement. Ainsi, cet engagement dans l’acte se veut d’attribuer la responsabilité de celui-ci à l’acteur du comportement. Par conséquent, le paradigme de la soumission forcée est une situation où la personne obtempère à une autorité. Ce n’est pas la position de pouvoir qui prévaut mais celle de se soumettre. Dès lors, « un agent de pouvoir déclare libre un sujet qui ne peut dans cette situation que se voir attribuer la responsabilité de l’acte extorqué et génère chez ce sujet un état de dissonance cognitive » (Vaidis, 2011, p. 52). Nous constatons alors que ce n’est pas la réalisation de l’acte problématique qui domine mais la seule acceptation de commettre ce comportement, pour notre objet d’étude la violation de quelque nature soit-elle. En soumission induite, la personne consent à une attitude d’obéissance à une autorité, alors qu’elle est déclarée libre. Cette reformulation affirme que la personne « rationalise ses comportements problématiques impliqués par son obéissance. (…). Il s’agit d’une rationalisation cognitive ». Cependant, afin de réduire l’inconfort psychologique généré par la réalisation d’un acte problématique dans un contexte d’engagement, le choix d’un mode de réduction de ce trouble évite que la personne en état de dissonance en choisisse un autre. De la sorte, « cela implique que si la tension peut être réduite par la voie cognitive, alors elle ne sera pas réduite par la voie comportementale » (Martinie, Girandola, Fointat, Lefeuvre, Halimi-Falkowiczs, Joule, 2013, p. 122-123).

Joule et Beauvois définissent l’engagement, « dans une situation donnée, aux conditions dans lesquelles la réalisation d’un acte ne peut être qu’imputable qu’à celui qui l’a réalisé (Lefeuvre, Joule, 2002, p. 47). Rappelons les cinq facteurs de l’engagement. Ils permettent de moduler la force du lien qui existe entre la personne et ce qu'elle fait. Cependant, « l’ajout de ces facteurs n’est toutefois pas indispensable pour obtenir un effet de dissonance. Le libre choix, à lui seul, peut suffire » (Ibid., p. 47). Pour engager un sujet, Joule et Beauvois (2009) mentionnent différentes facteurs « pour obtenir l’engagement d’un partenaire dans un acte » :

• « le déclarer libre ». Plus la personne se voit libre de faire ou de ne pas faire, plus elle fera. Le simple rappel de ce sentiment de liberté par l’expérimentateur ou un collaborateur ou un hiérarchique : « vous êtes libre de … » amène davantage les personnes à accepter et à effectuer l’acte ;

115 • « Mettre en relief les conséquences de son acte » ;

• Choisir un acte de coût élevé ; pour l’infirmier, majorer les risques encourus par le patient est à l’encontre de ses valeurs.

• Rendre l’acte le plus visible possible :

o Lui donner un caractère public ; Il est plus engageant de faire quelque chose sous le regard d’autrui que dans l’anonymat. Chaque infirmier travaille en équipe pluri professionnelle et sous le regard de ses pairs, d’une hiérarchie fonctionnelle et médicale ;

o Souligner le caractère explicite de sa signification ;

o Faire en sorte que tout retour en arrière soit impossible ; une fois une pratique perfectible effectuée (non vérification de la stérilité des dispositifs médicaux par exemple), la faute est potentiellement dommageable.

o Ne pas hésiter à faire exécuter plusieurs fois (ou s’il s’agit d’une décision, à faire réitérer la décision prise) ;

• Eviter toute justification d’ordre externe (pas plus de promesse de récompense que de menace de décision) ;

Avancer une explication interne » (Joule, Beauvois, 2009, p. 72).