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Le questionnaire :

L’approche quantitative pour un chercheur en Sciences Humaines et Sociales paraissait avant ces dernières années quelque peu singulière. En effet, « il y a souvent, de la part des chercheurs en sciences humaines et sociales, appréhension et méfiance à l’égard des données chiffrées et des calculs » (Guibert et Jumel, 1977, p. 146). Parler de méthode quantitative se veut de mobiliser « l’analyse collectées des données » (Ibid., p.146). Ici, le terme « statistique » renvoie à la validation ou à la non-validation en fonction de la significativité ou non des résultats.

Pour nous, le choix du questionnaire s’imposait pour différentes raisons. Tout d’abord, pour la complémentarité des méthodes quantitatives et qualitatives, mais pas seulement. Cette méthode de recueil, outre son attrait méthodologique, nous permet de nous distancier de nos prénotions de cadre formateur en école d’infirmiers de bloc opératoire. Notre recherche d’objectivité, de par l’hétérogénéité de notre échantillon, par le recueil et la mobilisation de différentes données, nous aident à la prise de recul incontournable, à la mise à distance de notre posture de cadre supérieur de santé IBODE, professionnel impliqué dans la gestion des

156 blocs opératoires et dans la formation des infirmiers. Ainsi, notre position de chercheur devrait se trouver facilitée.

Nous avons donc favorisé cette méthode pour plusieurs raisons outre celle épistémologique présentée précédemment :

• recueillir des données sur la nature de violations éventuellement commises par des IBODE,

• évaluer un éventuel malaise psychologique à postériori causé par des cognitions s’opposant comme la majoration des risques pour le patient et certaines valeurs professionnelles par exemple.

• recueillir des données sur la durée des expériences professionnelles, sur la spécificité des blocs opératoires dans lesquels travaillent les IBODE.

Le questionnaire nous permet de mobiliser des données encore non collectées à ce jour dans les blocs opératoires tant sur le plan relationnel que sur les pratiques professionnelles et leur contournements.

Présentation des questions

Le questionnaire comprend 24 questions. En majorité, il se compose de questions fermées. Nous avons cependant été vigilante à ce que les infirmiers questionnés puissent s’exprimer. Nous avons proposé des questions ouvertes pour ce faire. Il est notable que ces questions, plus coûteuses que les questions fermées, « demandent, après la phase de terrain, de procéder à un inventaire des réponses avant la construction du code » (De Singly, 2016, p. 66). De plus, les informations recueillies sont parfois « trop dispersées, ou inutilisables en référence aux préoccupations de la recherche » (De Singly, 2016, p. 67). Certaines questions peuvent être mixtes : une première partie fermée et une seconde partie ouverte. Ainsi, la dernière question approche le sens de la réponse « fermée » (De Singly, 2016, p. 69).

De même, nous avons été attentive à ne pas imposer notre problématique. Nous avons été prudente quant à la tonalité des mots. Par exemple, nous avons employé le terme de commodité pour caractériser un type de violation au lieu d’utiliser le terme de « facilité ». Encore, nous n’avons pas retenu le terme de « violation » mais de « comportement perfectible ». Enfin, pour favoriser l’expression personnelle, nous avons construit trois rubriques en conservant la même trame.

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Elaboration du questionnaire

Nous avons élaboré le questionnaire (annexe 3) en commençant de « façon classique » par des questions sur des déterminants sociaux et professionnels : âge, expériences professionnelles, spécificité du bloc opératoire où ils travaillent… Nous avons par la suite divisé le questionnaire en quatre parties :

• Partie 2 : les violations routinières / thermomètre de dissonance cognitive ; • Partie 3 : les violations par nécessité / thermomètre de dissonance cognitive ; • Partie 4 : les violations par commodité / thermomètre de dissonance cognitive ; • Partie 5 : valeurs professionnelles et conception des soins.

Parties 2, 3 et 4

Les trois premières rubriques ont été élaborées de façon similaire. Dans un premier temps, nous avons défini le type de violation. Comme précisé précédemment, nous avons évoqué un comportement perfectible se caractérisant de manière différente en fonction de la typologie de la violation. Nous avons par la suite illustré nos propos en apportant trois exemples pour les violations routinières et par nécessité et deux exemples pour les violations ou comportements dits perfectibles pour les violations par commodité. Les exemples proposés se situent soit:

• Dans une dimension organisationnelle et fonctionnelle : nous avons évoqué le travail en équipe, le rôle de l’institution ;

• Dans une dimension technique : nous nous sommes référé à des pratiques au regard de la gestion des risques infectieux ou hémorragique ;

• Dans une dimension relationnelle : nous avons cité la relation soignant-soigné.

Ces exemples sont extraits de nos travaux de recherche de Master 1 et Master 2. Lors des entretiens de recherche de Master 2 les IBODE interviewés ont témoigné de bonnes pratiques contournées. Ils les ont caractérisées de quotidiennes et connues de l’encadrement. Pour d’autres violations comme les violations par nécessité, ils ont mentionnés pour l’un d’entre eux : « comment voulez-vous faire ? Si je ne le fais pas, ça ne fait pas avancer les choses ! Il faut continuer ! » (Extrait entretien Travail de Recherche M2).

158 Nous avons autorisé les réponses doubles et triples. Nous avons aussi favorisé l’expression personnelle face à chaque nature de violation pour permettre aux professionnels de convoquer des expériences en lien avec chaque type des comportements perfectibles.

Dans chaque rubrique, une fois que le professionnel s’était remémoré éventuellement ses actes de soins perfectibles, nous lui demandions de remplir l’échelle des vingt affects auto rapportés de Lecrique. Cette échelle est présentée en trois parties :

• Les huit premières propositions sont des affects négatifs tournés vers soi-même

• Les cinq items suivants composent le thermomètre de la dissonance cognitive (mal à l’aise, troublé, gêné, embarrassé, incommodé)

• Les sept derniers items sont des affects auto rapportés positifs tournés vers soi-même.

Partie 5

Cette dernière rubrique aborde les valeurs professionnelles. Elle questionne aussi sur les dimensions du soin que l’infirmier privilégie afin de pouvoir mettre en évidence s’il positionne les notions de prendre soin ou de faire du soin.

Le degré de satisfaction au regard de la prise en charge est questionné ainsi que les difficultés rencontrées lors de la prise en soins.

Le tableau suivant précise les différentes questions en fonction des parties.

Parties Numéros des questions

1-Déterminants professionnels 1 à 6

2-Violation routinières / thermomètre dissonance cognitive : Violation commise ou non

Echelle d’affects auto rapportés

7, 8, 9 10 3-Violation par nécessité / thermomètre dissonance cognitive :

Violation commise ou non Echelle d’affects auto rapportés

11, 12, 13 14 4-Violation par commodité / thermomètre dissonance cognitive :

Violation commise ou non Echelle d’affects auto rapportés

15, 16, 17 18 5-Valeurs professionnelles, conception du soin 19 à 24

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Pré-enquête

Le questionnaire a été testé durant une enquête préliminaire. Nous l’avons testé auprès de huit professionnels issus de blocs opératoires différents et d’années d’expérience IBODE allant de un an à 12 ans. Les professionnels l’ont testé de manière individuelle. Chaque passation a débuté par une présentation de l’objectif de la rencontre. Nous étions connue en tant que Cadre de Santé mais, nous avons tenu à repréciser notre posture de chercheur dans cette interaction. En moyenne, les IBODE questionnés pour cette pré-enquête ont répondu à l’ensemble des questions en 35 minutes.

Les questions renseignant les déterminants professionnels n’ont occasionné aucune difficulté. Les IBODE n’ont posé aucune question. Ils n’ont manifesté de façon non verbale aucune surprise ou embarras. Ces professionnels ont l’habitude de se présenter en fonction de leur parcours professionnel et de la spécialité du bloc opératoire où ils travaillent.

Durant la passation du questionnaire, les infirmiers étaient calmes et n’ont pas évoqué de difficulté majeure à la compréhension des questions. Cependant, à la question 15, le terme « commodité » a semblé poser problème à une infirmière. Sur les sept autres professionnels participant à cette pré-enquête, aucun n’a posé de question ou demandé une précision sur ce terme. Nous restions vigilante quant à cette formulation.

Au fur et à mesure que les professionnels renseignaient les questions, certains spécifiaient qu’ils leur semblaient important « qu’on s’intéresse à eux et à leur conditions de travail ». Par la suite, certains ont voulu partager différentes expériences sur des pratiques qu’ils se remémoraient. Une infirmière, en remplissant la question 8 interrogeant sur l’accueil perfectible des patients, me regarde et me demande : « On a le droit de dire pourquoi ? Par manque de temps par exemple ? » Elle précise plus tard en renseignant la question 11 en lien avec les violations par nécessité : « On n’est pas content mais on nous pousse ! ». Une autre infirmière ayant une année d’expérience en tant qu’IBODE me demande : « On peut rajouter une rubrique après chaque tableau pour expliquer pourquoi on fait comme ça ? »

Durant cette pré-enquête, nous avons pu noter l’importance d’adapter nos expressions et le vocabulaire concernant les violations en termes simples sans aucune valence négative comme pourrait générer le mot « violation ».

160 De même, certains infirmiers manifestaient le besoin de justifier leurs actes. Ces témoignages peuvent être identifiés comme des « symptômes » d’un état d’inconfort psychologique. Ces infirmiers tentaient de mobiliser certains modes de réductions. Ces manifestations démontrent que les questions posées pouvaient engendrer un malaise psychologique, provoquant un processus dynamogène qui conduit à la réduction de cet inconfort. Le questionnaire ainsi construit en mobilisant l’échelle d’affects auto-rapportés de Lecrique (2007) est réactif c'est-à-dire qu’il ne perturbe pas les processus de réduction de l’état de dissonance. Placées juste après les questions sur chaque type de violations, les échelles d’affects auto rapportés de Lecrique permettent de mesurer l’augmentation de l’inconfort psychologique généré par une inconsistance cognitive (violation / valeurs, gestion des risques, etc.).