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Quand les professionnels n’appliquent pas les procédures que ressentent-ils ? Ne pas appliquer les procédures sécuritaires procurerait quel ressenti pour les soignants ? La perte de sens de la manière dont ils accomplissent certains actes des soins et la réponse à des injonctions de performance peuvent-elles coexister ? Que recherchent-ils ? Quand il existe une réflexion délibérée d’outrepasser certains principes de sécurité, après ce désir, cette perte de sens de leur travail, que peuvent-ils éprouver ? L’article, « prescription, transgression et

69 souffrance dans le travail » écrit par Dejours (1996) mentionne l’idée de plaisir. Ce dernier ne résulterait pas de l’infraction elle-même, du fait même de la commettre, mais proviendrait du résultat qu’elle déclenche. Parfois, accomplir un travail prescrit ne peut s’opérer sans le détour d’une règle n’ayant pas envisagé certaines circonstances interférant dans sa bonne exécution. Ainsi, il existe un écart entre la prescription et le travail effectué ou l’activité. En conséquence, réussir à surmonter ces difficultés encourage une infraction non envisagée par la procédure. Le plaisir prendrait naissance ainsi à ce moment, instant où l’acteur aurait vaincu les « obstacles ». L’infraction serait alors un « chaînon intermédiaire ». La satisfaction, le contentement apparaîtrait donc en « seconde intention ». Mais, ce plaisir résulterait aussi de la vision des autres qui percevraient ce non-respect comme une innovation pertinente. Ces derniers ne peuvent la qualifier de la sorte que s’ils la remarquent et qu’ils connaissent le réel de la tâche, les conditions dans lesquelles elle doit être effectuée pour ainsi justifier cette tricherie. Cependant, si aucun sens n’est alloué à cette infraction par ces autres, alors la souffrance chassera le plaisir chez le professionnel ayant contourné la règle. Donc certaines infractions peuvent être légitimées pour tendre vers plus d’efficacité et d’autres rejetées. Pourquoi alors le sont-elles ? Elles sont repoussées par le collectif car elles mettraient à mal « la cohérence nécessaire à l’organisation du travail prescrite » (Dejours, 1996, p. 115). Mais, quand parler de cohérence nécessaire à l’organisation du travail quand certains paradoxes paraissent comme légion au quotidien ?

Depuis plusieurs années, avec l’impulsion des courants de la nouvelle gouvernance et de la nouvelle gestion publique, l’organisation de l’hôpital s’est vue profondément modifiée par l’introduction de modèles de gestion inspirés de l’entreprise et du secteur privé. La démarche qualité a fortement impulsé la démarche qualité en santé et en soins. Elle serait un modèle d’organisation et d’évaluation de l’action collective des soins dans une perspective d’efficacité et de maîtrise du coût d’une santé nécessitant des technologies de plus en plus innovantes et pointues mises en œuvre par des professionnels tout aussi compétents et experts. Cette démarche qualité en recherche de rationalisation et de transparence pour, du moins l’usager, repose sur l’élaboration de méthodes et techniques normatives qui impactent les modes d’organisation et les valeurs des différents acteurs en lien. De plus, elle transformerait aussi le soin médical et para médical en procédures où autonomie professionnelle et compétences seraient tronçonnées en tâches effectuées à tracer tout en cherchant une implication et une responsabilisation des acteurs face à des objectifs. Ainsi, dans un tel contexte, il ne serait pas étonnant de voir se détacher un questionnement : gérer et soigner

70 sont-ils des métiers différents et si distants ? Nous pouvons poursuivre en nous demandant si gérer en soignant, ou bien soigner en gérant sont conciliables ? Une chose est certaine, ils sont indissociables. Mais, toutefois, même si les missions de soins sont toujours réassurées par les pouvoirs publics, il n’en est pas moins négligeable que les notions de performance et d’efficience sont toutes aussi mises en avant dans un contexte où « les contraintes de rythmes de travail sont souvent fortement perçues, les infirmières estimant notamment plus souvent manquer de temps pour faire leur travail ». De même, nous pouvons noter que « les dotations en personnel paramédical tendent à diminuer » (DRESS, 2004, p. 1).

Ainsi, les professionnels des soins travaillent entre plusieurs paradoxes. Dans leur univers de travail où la personne soignée est au centre des intérêts soignants, cette dernière se voit désignée de diverses manières. Remarquons que la personne souffrant était un malade ou un indigent il y a de ça quelques siècles. On la désigne depuis de nombreuses années sous la dénomination de patient. Il semblerait alors que pour le patient, les soins ont un prix qui est peu considéré et n’a que peu d’importance. La base de la relation de soins avec le malade serait l’alliance, la confiance … Une autre dénomination est celle de client, de bénéficiaire des soins voire même de consommateur pour une société consumériste. Alors apparaît la notion de soin de qualité qui se présente comme un service payé. Les principes éthiques dominants dans la relation soignant-soigné serait de faire bien, ne pas nuire. L’autonomie est aussi mise en avant avec la notion de client. Encore, la personne malade est plus considérée au regard de ses droits. Le client devient aussi responsable dans la relation de soin. Il a le droit d’être informé et d’être partenaire dans la décision de traitement. Il a accès aux informations concernant la qualité des établissements de soins qui se situent dans un souci de transparence impulsé par la démarche de certification. Apparaît aussi avec cette dénomination de client une connotation marchande induisant chez les professionnels une façon d’envisager les soins comme des « produits ». Ces dénominations au demeurant différentes et inférant des notions de soins tout aussi distinctes peuvent simultanément s’utiliser. (Panchaud, 2006, p. 217-218).

Aussi, nous voyons divers systèmes de valeurs coexister. Les valeurs économiques se juxtaposent aux valeurs humanistes. La personne malade est au confluent de deux univers. Ainsi, elle se nommera soit usager, et, en changeant de monde, elle détiendra la dénomination de patient. Mais, pourrait-on remarquer qu’à l’intersection du monde « marchand » de la maîtrise comptable et de celui du prendre soin existe une notion commune. Par conséquent, entre le monde du « faire du soin » et le monde du « prendre soin » y aurait-il un

71 rapprochement possible ? Rappelons que la notion du « prendre soin » a été développée par Hesbeen qui pose une différence avec celui de « faire du soin » car il s’agit pour le soignant de positionner son action dans « une perspective soignante, porteuse de sens et aidant pour la personne soignée » (Hesbeen, 1997). Quel compromis pourrait se détacher entre ces deux mondes ? Une chose est certaine c’est que la qualité des soins est prônée par ces deux univers.

Mais, de quoi parle-ton quand on parle de qualité ? Ce concept de qualité devient alors un enjeu conséquent tout autant que collectif et social puisqu’il a été considérablement investi par les professionnels soignants tout aussi bien que par les acteurs politiques. De la sorte, « la qualité des soins et, plus largement, du système de santé, constitue désormais un axe majeur de l’action publique dans le domaine de la santé, en réponse aux demandes nouvelles des professionnels, des citoyens et des acteurs de la décision publique » (HAS, 2007, p. 5). Alors, une émergence collective de qualité des soins et du système de santé est apparue il y a environ une vingtaine d’année. Avec la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades, le principe de transparence et de sécurité en santé répond à de nouvelles demandes sociales. Le patient se veut d’être informé. Ainsi, la notion de qualité, en réponse à une demande citoyenne, apparaissait comme une exigence collective renforçant une exigence soignante déontologique. Mais, face à ces conditions d’émergence de qualité, les pouvoirs publics étaient soucieux de « rappeler que la dépense solidaire de santé » ne peut être illimitée. Ainsi, une logique économique se voit imposée sans vouloir aller à l’encontre de la logique éthique : « or en réalité, la logique éthique et la logique économique ne s’opposent pas ; c’est même au nom d’un impératif éthique qu’il est nécessaire de poser la question de l’allocation optimale des dépenses de santé » (HAS, 2007, p. 8).

Pourtant, « force est de constater que les stratégies d’amélioration de la qualité des soins se heurtent encore à des difficultés en termes d’appropriation et d’adhésion. Globalement, la question se pose de savoir dans quelle mesure ce sont les contraintes réglementaires qui seules soutiennent les démarches d’amélioration de la qualité, plutôt que leur appropriation réelle au sein d’une culture professionnelle rénovée » (HAS, 2007, p. 10).

Face à cette constatation, la HAS apporte des explications en constatant que des limites pratiques écorchent l’acceptabilité des dispositifs. Elle parle de « dérive bureaucratique chronophage » et elle continue en annonçant que le risque est « que l’exigence procédurale de qualité se transforme en exercice procédurier » (HAS, 2007, p. 10).

72 L’Institut de la Recherche et de Documentation en Economie de la Santé (IRDES) a publié en 2008 un document de travail ; « La qualité des soins en France comment la mesurer ? ». Les auteurs commencent par définir la qualité. Ils citent Donabédian qui fut un des premiers à aborder la qualité quand les soins « maximisent le bien-être des patients après avoir pris en compte le rapport bénéfice / risque à chaque étape du processus de soins ». L’Organisation Mondiale de la Santé quant à elle, spécifie la qualité comme étant capable de « garantir à chaque patient l’assortiment d’actes thérapeutiques … lui assurant le meilleur résultat en termes de santé, conformément à l’état actuel de la science, au meilleur coût pour le même résultat, au moindre risque iatrogène, pour sa plus grande satisfaction en termes de procédures, résultats, contacts humains … ». Cependant, la définition la plus utilisée serait celle de l’Institut de Médecine des Etats-Unis (IOM) qui cite la qualité comme « la capacité des services de santé destinés aux individus et aux populations d’augmenter la probabilité d’atteindre les résultats de santé souhaités, en conformité avec les connaissances professionnelles du moment ». Ainsi, nous notons que l’approche de la qualité se veut multidimensionnelle. En fonction des définitions, son analyse et les éventuelles pistes de son amélioration sont plus ou moins larges. Ainsi, la définition de l’IOM serait plus restreinte que celle de Donabédian puisqu’elle ne cherche que « le bien être des patients », mais aussi plus élargie puisqu’elle considère la promotion de la santé et sa prévention pour chaque individu aussi bien que sa prévention pour la population. De même, l’OMS introduit la notion d’efficience. Alors, la qualité se donne à voir au travers de différentes dimensions : efficacité, sécurité, réactivité et efficience. De plus, son appréciation distinguerait sur trois champs d’investigation à savoir des mesures relatives à la structure des soins, au processus de soins ou aux résultats finaux. La qualité structurelle s’intéresse aux ressources employées, notamment aux normes des établissements et des équipements. C’est ce que cherche à évaluer la certification des établissements de santé conduite par la HAS. La qualité du processus de soins s’intéresse aux interactions des professionnels et des patients. Enfin, les résultats apportent des preuves, des témoignages au regard de l’amélioration de l’état de santé de la population.

Mais, quelles sont les perceptions de la qualité chez les professionnels des établissements de santé ? Une note de synthèse datant d’avril 2003 de la Direction de l’Hospitalisation et de l’Organisation des Soins a cherché à appréhender les représentations des différents professionnels relatives au champ sémantique de la qualité. Ainsi, diverses

73 définitions apparaissent en fonction des logiques de chaque profession mettant en évidence une absence de définition unique de la qualité. La logique soignante est fortement imprégnée par les aspects relationnels de la « qualité des soins accordés au patient ». Elle est la plus marquée par une pratique collective. Les infirmiers affirment un « concept de confort, de bien-être » en marquant « une attention particulière portée aux conditions matérielles d’accueil et d’exercice des soins » (DHOS, 2003, p. 7). La logique médicale étaie son discours sur un référentiel technique. Enfin, la logique administrative des responsables récupère les formes de vocabulaire des textes officiels en rapport avec « l’amélioration de la qualité du système de santé » et la « démarche qualité » (DHOS, 2003, p. 3-4).

En conclusion, il faut prendre en compte la « diversité des perceptions de la qualité » pour « engager des actions plus fédératrices autour de l’objectif qualité » en évitant que « la qualité ne soit l’objet de discours redondants et unanimes sur l’exigence de la qualité » (DHOS, 2003, p. 17).