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Cependant, nous constatons que même dans une zone considérée comme celle du compromis, s’appuyant sur un objectif de qualité de soins, deux logiques s’affrontent. Une logique collective, celle de l’objectif de qualité d’un système de santé avec une notion prégnante de performance et d’efficacité. Une logique où sont évaluées des démarches d’amélioration, des pratiques professionnelles collectives, où sont garanties des pratiques des organisations au sein d’un établissement de soins. Mais, est-elle similaire à l’exigence soignante voire même celle du patient. ? Le soin et sa qualité pour le soignant, n’est-elle pas à considérer dans la prise en charge individuelle de chaque patient ? Pour le paramédical, formé à une gestion des risques de chaque instant en bloc opératoire, l’important n’est-il pas la compétence qu’il mobilise dans son quotidien dans des soins individualisés pour une prise en charge globale du patient ? Cet agir professionnel comment est-il mesuré par la démarche qualité du système de santé ? Ainsi, se profile une nouvelle fois un paradoxe où logique collective et logique individuelle coexistent. Cette logique individuelle se veut d’être en adéquation avec le principe déontologique d’un prendre soin. Elle cherche à évaluer l’action de soins face à des principes de bonnes pratiques, de sécurité, de droits. Le code de la santé public (article R.4312-10) précise que l’infirmier doit « pour garantir la qualité des soins qu'il dispense et la sécurité du patient, l'infirmier doit réactualiser ses connaissances ». Ce mode de

74 valeurs est certes difficile à mesurer. Le raisonnement collectif, quant à lui, se voudrait en rapport avec une légitimité promue par un manuel de certification, par un guide. Elle mesure la performance au service d’un collectif. La certification HAS est celle d’un établissement et non celle d’un secteur d’activité. Elle porte sur le fonctionnement global et ne « peut analyser finement le fonctionnement d’un secteur d’activité (…), elle évalue à la fois la mise en place d’un système de pilotage de l’établissement incluant l’existence d’un processus d’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins et l’atteinte d’un niveau de qualité sur des critères thématiques jugés essentiels » (HAS, 2011, p. 4). Alors, quand il faut parler de qualité, deux logiques s’entrechoquent : la logique collective et celle individuelle du soignant prenant en charge une personne soignée. Ainsi Molinier précise : « l’idée que se font les gestionnaires de l’efficacité ou de la qualité, comme s’évaluant à partir de critères objectifs et reproductibles, est peu compatible avec ce que le travail attentionné implique en termes de savoir-faire discrets, d’accordages affectifs ou de petits riens presque ineffables qui parfois ne font sens que dans la temporalité longue ou dans un après-coup inattendu » (Molinier, 2010, p. 162). De même, sous ces deux logiques, deux types de valeurs ont du mal à se côtoyer : les valeurs déontologiques et les valeurs utilitaristes. Resteront-elles à jamais indissociables ? Ne seront-elles jamais conciliables ? Que penser de l’évaluation de la culture de sécurité des soins impulsée par la HAS ? Quelle valeur mobiliser alors ? Sommes-nous face à un système aux valeurs déontologiques ou face à un système manipulant des valeurs utilitaristes au service d’autres valeurs certes moins déontologiques à leur tour ?

Ainsi, pourrait-on se questionner une nouvelle fois : « plus l’univers du travail semble perdre son âme, plus l’entreprise demande d’y croire » (De Gaulejac, 2010, p. 129). L’hôpital n’est-il pas devenu une entreprise, une entreprise qui « fait des soins », une entreprise qui garantit des soins au regard d’une démarche qualité tout en répondant d’une culture de sécurité des soins ? « L’hôpital peut-il s’organiser comme un aéroport ? » (Molinier, 2010, p. 157). Le care pourrait-il tenir le rôle d’un « trouble-fête » dans ce contexte où la pensée rationaliste semble prévaloir ? De plus, « instruire le conflit entre la description gestionnaire du travail n’est pas lui déclarer la guerre, mais jeter les bases d’une confrontation équilibrée qui permettent d’élaborer des compromis entre logiques différentes » (Molinier, 2010, p. 159).

75 IBODE N.M.P. Qualité Soin Valeurs économistes Usager, client

Démarche d’amélioration des pratiques collectives,

fonctionnement global Enjeu collectif et social Faire du soin

Performance, efficience … Valeurs utilitaristes

Valeurs humanistes Patient, personne

Prise en charge individuelle Prendre soin

Valeurs déontologiques

Schéma 2: les logiques des deux mondes

Alors, comment se comporter en tant que soignant dans cet univers où se côtoient plusieurs mondes aux valeurs, aux fondements si différents ? Dans cette gestion de paradoxes, doit-il tout d’abord gérer en soignant ou bien soigner et gérer en seconde intention si cela se voudrait compatible ? Peut-il répondre à toutes les injonctions dans un « contexte caractérisé par l’expression des revendications légitimes des usagers ; la surexposition des professionnels à des procédures externes marqués par un excès de formalisme ; les difficultés démographiques déjà effectives et rencontrées par un grand nombre de professionnels ; les tensions budgétaires qui pèsent sur le système de santé » (HAS, 2011, p. 4). Comment doit-il répondre ? Peut-il « prendre soin » à tout prix ? Choisit-il de faire des soins à un moindre prix ? Faire un choix n’est-il pas mettre à mal certaines valeurs déontologiques du prendre soin si l’objectif collectif est considéré ? Mais dans cet univers collectif où la personne soignée se perd dans la collectivité, comment faire face à un choix où l’individualité et où une qualité non mesurable sont primordiales pour soigner ? Quel sens donner à ces actions de soins ? Comment ne pas souffrir en gérant les paradoxes ? Comment respecter toutes les bonnes pratiques où le temps est si précieux ? Que privilégier ? La déviance, l’infraction, ou plutôt le non-respect pourrait-il s’avérer être dans certains cas un outil, un maillon

76 intermédiaire pour répondre au travail prescrit dans des conditions complexes où les contraintes sont croissantes. La hiérarchie peut être aussi encouragée à tolérer certaines déviances.

Par conséquent, quelles pratiques choisir et quelles procédures contourner dans un système où la prise de risque croît en fonction de contraintes de plus en plus prégnantes au regard des besoins collectifs ? Comment ne pas souffrir quand l’univers de travail semble être en tension entre des mondes semblant inconciliables ? Le choix d’un de ces mondes éliminerait-il un malaise éventuel de l’infirmier quand ce dernier soigne ? Peut-on prendre soin tout en ne respectant pas les bonnes pratiques ? Peut-on prendre soin tout en contournant des procédures et par là-même en commettant des infractions nécessaires pour répondre aux injonctions de performance ? Quelle prise de risque accepter pour le soigné et le soignant ? Quelle valeur choisir ? Quel sens donner ou redonner aux soins en bloc opératoire dans un univers de travail si complexe où différentes logiques s’entrechoquent ?

La discipline psychosociale nous guidera pour approfondir les impacts et les enjeux se dégageant lorsqu’il existe un non-respect de procédures sécuritaires. Ces contournements des règles et des bonnes pratiques seraient-ils la réponse au choix d’un certain monde ? Dans le cadre de cette recherche, nous abordons un contexte social où la qualité et la sécurité des soins font partie intégrante de l’univers du système de santé et cohabitent avec des risques devant être de mieux en mieux gérés pour être circonscrits. Cependant, ces phénomènes font aussi appel à des références dans le champ de la psychologie comme nous l’avons évoqué quand nous faisons appel à des notions de souffrance lors de la perte de sens dans le travail face à certaines mutations pouvant inférer le fait de commettre des actions problématiques telles que le non-respect des règles . Ces procédures qui seraient contournées vont à l’encontre des bonnes pratiques, cependant elles seraient tolérées, encouragées pour répondre à certaines injonctions dues aux pressions temporelles. Les soignants ressentiraient éventuellement un malaise psychologique car leur valeur « de prendre soin » serait repoussée face à des logiques de rentabilité. Comment gèreraient-ils cet inconfort généré par certaines violations quotidiennes, voire nécessaires ? Existe-t-il un déséquilibre entre leurs actes, leurs comportements et les bonnes pratiques enseignées devant conduire à la qualité et à la sécurité ? Ainsi, le vécu, les ressentis des professionnels de santé spécialisés indissociables de leurs connaissances, de leurs valeurs, de leurs expériences et des organisations complexes dans lesquelles ils travaillent, serviront de vivier à notre étude se voulant la plus scientifique

77 possible aux confluents de la sociologie et de psychologie. Pour ce faire, la théorie de la dissonance cognitive décrite par Festinger en 1957, fondera le cadre théorique sur lequel nous appuierons notre recherche. Notre objectif consistera à décrire et à analyser les phénomènes intra subjectifs chez les professionnels paramédicaux spécialisés, lorsqu’ils ne suivent pas des pratiques correctes allant donc à l’inverse de leurs valeurs et de leurs schèmes d’intelligibilité en commettant un comportement problématique. De cet éventuel acte problématique naissant existera-t-il des stratégies qu’ils devront apporter pour expliquer les raisons de ce acte pour retrouver un certain équilibre intérieur rompu par le fait de ne pas respecter les règles ? Comment, alors qu’ils semblent libres de choisir, pourraient-ils s’engager dans un monde où les valeurs économiques où les violations routinières serviraient de guide pour les besoins d’un collectif, alors qu’ils ne perçoivent que des rétributions modestes puisque leur traitement ne peut varier alors qu’ils génèrent une prise de risque pour le patient allant à l’encontre des valeurs du « prendre soin » et engageant leur culpabilité ?

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III- PRINCIPALES ORIENTATIONS THÉORIQUES