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Le soin naît avec la vie. Les hommes depuis l’aube des temps ont toujours eu besoin de soins pour leur développement, la continuité de leur vie et ce jusqu’à leur mort contre laquelle ils luttent et veulent en reculer les limites. Durant des milliers d’années les soins ne furent pas l’apanage d’un métier. Chacun pouvait aider son prochain pour le conforter dans une vie meilleure au sein du groupe. Ainsi, soigner est indissociable de l’histoire de l’être humain. Il existe deux origines essentielles à l’action de soigner (Collière, 1982, p. 23). La première assure la continuité de la vie de groupe et de l’espèce humaine. Ainsi, l’ensemble des actes quotidiens, les habitudes de vie, les soins du corps sont alors assumés par les femmes. Au contraire, la seconde a pour finalité de faire reculer la mort. Aussi sont donnés des soins accomplis par les hommes car ils nécessitent force physique et utilisation d’outils servant à inciser et à suturer. Ces deux manières de soigner se développent en complémentarité, mais par la suite elles se verront séparées voire opposées l’une d’elles reliée aux forces maléfiques conduisant à la mort et aux ténèbres. De plus, dans notre société continentale, Collière décrit trois modes d’identification en corrélation à l’évolution des femmes soignantes : l’identification à la femme, l’identification à la femme consacrée et l’identification à l’auxiliaire du médecin.

L’identification à la femme : depuis le berceau de l’humanité jusqu’au Moyen-âge, la pratique des soins est identifiée comme étant celle des femmes. Apporter des soins pour entretenir la vie pour l’assurer est confié aux femmes. Depuis la naissance des êtres, jusqu’à leur mort, elles prodiguent des soins pour nourrir, entretenir, renforcer les corps fragiles et/ou malades en nourrissant ou en apportant divers remèdes. Socialement, les femmes se voyaient octroyer le domaine des soins comme un héritage de leur fécondité. Ainsi, l’expression

27 « prendre soin » semble de tout en jamais liée à l’histoire de ces femmes et donc de l’humanité. Les femmes prenaient soin de leurs nouveau-nés, puis de leurs enfants, de leurs semblables, de leurs parents, de sujets âgés, de corps malades et enfin, de corps sans vie. En parallèle, elles entretenaient le feu pour la survivance du groupe, les outils utiles à la chasse, au tannage des peaux et par la suite elles s’occupaient des récoltes et des animaux domestiques. Pouvoir soigner était étroitement lié à avoir donné la vie, à avoir enfanté, à avoir traversé les pertes de ces parents, de proches, car de la sorte, ces femmes pouvaient aider la vie à se perpétuer. De plus, ces femmes détenaient des mystères et « la connaissance des plantes et échangeaient entre elles des secrets de leurs pratiques » (Collière, 1982, p. 37). Par la suite, leurs savoirs, leurs secrets ont été perçus par l’Eglise comme un contre-pouvoir au pouvoir de la religion. Par conséquent, la chasse aux sorcières a été abominable et cruelle et elle fut relayée et renforcée par la médecine dite savante.

Identification à la femme consacrée : cette deuxième identification concerne la période débutant au moyen-âge et se terminant vers la moitié du XIXe siècle. Le christianisme devient religion d’état. Ainsi, les différents habitudes et passages de la vie domestique, les coutumes et mœurs de la vie rurale, les observations de divers astres servant de références aux femmes qui soignaient seront de moins en moins tolérées par l’Eglise. Ainsi, les manières de prodiguées des soins ayant pour fondement la fécondité de la femme et différents secrets transformèrent la vision de ces femmes soignantes au travers du prisme de la religion d’état. Elles étaient considérées comme les vecteurs de croyances et de rites païens. Alors, donner des soins rompait avec l’union du corps et de l’esprit. L’esprit prit alors la suprématie dans la conception du soin : « la réalité vraie de l’Homme devient donc son âme, le corps et ses activités ne pouvant qu’être qu’objet de mépris surtout ses passions et les désirs qui troublent la sérénité de l’esprit » (Collière, 1982, p. 50-51). Alors, ces femmes apparurent comme les suppôts de Satan et comme encourageant l’idolâtrie. Elles furent des êtres impurs et vicieux. Par conséquent, les femmes soignantes devaient suivre des règles conventuelles et religieuses dictant leurs pratiques. Elles étaient alors des femmes consacrées. Avec l’avènement et la consécration des religieuses, prodiguer des soins ne se rattachait plus à la connaissance du corps et à son vécu pas plus qu’aux connaissances et secrets qui fondaient les pratiques féminines ultérieures. Ainsi, de nombreux ordres religieux virent le jour et se vouèrent au soulagement et au salut des personnes malades. Parmi ces derniers, Saint Vincent de Paul fonda l’ordre des Filles de la Charité. Cet ordre survécut à la Révolution et participa à la genèse d’un service public. Comme nous l’évoquions, les soins avaient surtout une finalité

28 spirituelle. Alors furent repoussés les soins d’hygiène et même par de la même manière, ils étaient dévalorisés. Au cours du XIXe siècle, les religieuses délaissèrent les soins d’hygiène au personnel subordonné et soumis : les « filles de salles ». Ces hommes et femmes étaient « ignorants, maladroits et insouciants ». Ils furent aussi nommées gardes malades. Les femmes, en nombre majoritaire, étaient « mal logées, mal payées, surmenées par de longues heures de travail » (Aït Abdelmalek, Gérard, 1995, p. 169). Ainsi, ce personnel soumis et exploité prendra la place délaissée par les religieuses et encore plus après 1789. Alors, ses femmes n’étaient plus accompagnées car seul leur patriotisme prévalait. Ainsi, les soins étaient de qualité médiocre car ce personnel se voyait moins expérimenté que les religieuses. De même, les rémunérations insignifiantes, les conditions matérielles insuffisantes, le manque important d’instruction primaire, surtout chez les femmes, effondrèrent le niveau de recrutement. Dès lors qu’une occasion s’offrait à elles, les meilleures partaient comme personnel de maison où les conditions leur étant offertes étaient bien meilleures. Celles continuant comme filles de salle étaient considérées par la société comme porteuses de tous les vices. Elles paraissaient pour des ignorantes dotées d’aucune moralité mais d’ivrognerie, de vie de débauche …

Identification à l’auxiliaire du médecin : ce troisième type de pratiques perdura jusqu’au années 60. Il faut noter que le XIXe siècle fut une période très importante car de nombreuses découvertes scientifiques, des avancées techniques révolutionnèrent les pratiques de la médecine. De même, la laïcisation gagna de plus en plus sur la religion dans notre société. Un fait important et non des moindres fut que les femmes s’émancipèrent de plus en plus.

En aout 1792, un décret stipulait que les corporations religieuses devaient être « éteintes ». Mais, les religieuses restèrent tout de même au sein de nombreux hôpitaux avec l’indulgence des municipalités. Il est à prendre aussi en considération que leurs services étaient bénévoles. Ainsi, force est maintenue pour les sœurs de coordonner, de soigner et d’exercer un rôle de surveillance sur de nombreuses salles. La vie austère et rigoureuse était de mise pour tout le personnel infirmier qui était un personnel subalterne (Catanas, 2009, p. 50). Si les infirmières ne faisaient pas parties d’une congrégation religieuse alors elles devaient prononcer des vœux perpétuels ou temporaires afin d’asseoir leur bonté et leur conscience soignante empreinte alors de bonté et de charité. Les soignants laïcs supérieurs numériquement travaillaient sous les ordres et contrôle des religieuses. Leur recrutement se faisait

29 « Parmi les filles de la campagne, les enfants assistés, les veilles femmes qui n’ont pas encore atteint l’âge de l’entrée en hospice, mais qui en sont proches et à qui on fait attendre ce moment en leur faisant donner leur temps sans rétribution. […]On voit aussi échouer à l’hôpital, pour leur vie, les jeunes filles sans famille que l’inintelligence, une faiblesse congénitale, une vue ou une ouïe défectueuse, de la claudication, une tare organique quelconque, ont empêché d’apprendre un métier ou de devenir domestiques ». (Hamilton, 1900, p. 88).

Au XIXe siècle les religieuses avaient toute autorité sur les soins dans leur organisation et l’encadrement d’un personnel nécessiteux. Mais, durant le milieu du siècle, deux notions allaient amorcer l’évolution de la fonction de ces soignantes. La première était l’avènement de la République et la consécration de la laïcité. Ainsi, prévenir et combattre les maladies, favoriser l’état de santé du peuple devenait une priorité. De même, les religieuses surnommées les « cornettes » n’étaient pas appréciées par les républicains ne tolérant pas leur obscurantisme et leur reprochant leur refus de ne pas soigner les filles mères ou les personnes atteintes de maladies vénériennes. Le second évènement était en lien avec les progrès et les découvertes de la médecine dues notamment à Pasteur. Ses découvertes sur l’asepsie et sur l’antisepsie impacta fortement l’hôpital. Ce dernier vit son architecture et son organisation modifiées. De plus, il fallait éradiquer les maladies responsables d’épidémies telles que la syphilis et la tuberculose. De ce fait, la politique d’hygiène sociale et de prévention de ces maladies était très importante. Ces progressions de la science doublée de la volonté publique impactèrent les pratiques des infirmières hospitalières puisqu’elles devaient seconder le corps médical. Ainsi, il fallait maîtriser de nouveaux gestes d’hygiène, réaliser le traitement des instruments et des textiles pour leur stérilisation afin de lutter contre les infections… Parallèlement, les religieuses ne semblaient pas faire leurs ces nouveaux concepts pasteuriens et s’y opposèrent dans certains cas. Le meilleur des exemples était leur tenue fortement antinomique avec les recommandations et les règles d’hygiène. De la sorte, les médecins préféraient un personnel plus malléable et façonnable donc « plus docile ». Nous constatons alors qu’à la fin du XIXe siècle, les pratiques infirmières étaient revendiquées par deux groupes : le groupe conventuel et le groupe médical. De ce fait, héritant du poids du modèle religieux mais aussi aux ordres des exigences médicales, ses femmes avaient du mal à construire leur identité. Les infirmières étaient à la fois les servantes du corps religieux et les subordonnées du corps médical qui les souhaitait adroites, habiles et courageuses sans leur

30 laisser prendre une trop grande marge d’autonomie. Lors d’une remise de prix en 1905, un médecin décrivait son idéal infirmier :

« Nous la choisirons autant que possible parmi ces vaillantes fille du peuple qui, à force d’intelligence et d’énergie, sont parvenues à s’instruire […]. Nous la désirerions mariée et mère de famille, car il est des délicatesses de sentiment pour les faibles et les enfants qui ne s’épanouissent complètement que dans le cœur des mères […]. Cette infirmière, plébéienne d’origine, serait dépourvue de morgue et de dédain, elle serait se faire respecter sans se faire haïr. »

Ainsi, cette femme issue des milieux populaires devait être soumise au médecin, dévouée et mère pour faire preuve d’empathie. Rendre les soins laïcs favorisa l’émergence de la profession d’infirmière. Le diplôme d’infirmier a été créé en 1922. Cependant, ce diplôme n’était pas obligatoire afin d’exercer dans les établissements de soins. Les religieuses continuèrent pendant des décennies à y pratiquer des soins. Notons aussi que ces dernières eurent un grand pouvoir dans bon nombre de centres de formation. Ainsi, les infirmières étaient des auxiliaires du médecin mais aussi des techniciennes dotées d’une grande moralité et rigueur. Les enseignements techniques et théoriques étaient sous la responsabilité du corps médical tandis que les sujets d’ordre moral étaient laissés aux infirmières. Par conséquent, apparaît une scission, une démarcation, une séparation entre ces deux professionnels réunis autour de la personne malade (nc) : « seul le mode d’administration doit être connu de l’infirmière. Elle ne doit en aucune façon chercher à connaître ce que le médecin prescrit, chercher à poser des questions indiscrètes et ne solliciter à ce sujet aucune explication du pharmacien dont le devoir est de tenir caché ce que le médecin n’a pas voulu qu’on sût ».

À cette époque, les infirmières visiteuses inculquent les règles fondamentales et incontournables de l’hygiène. Leurs domaines de responsabilité sont les soins à domicile, les soins à l’enfance, l’inspection médicale scolaire et l’assistance sociale. Ce travail complexe et lourd donna naissance à différentes spécialisations : infirmières à domicile, assistantes familiales. Etaient aussi créés les centres dénommés « Goutte de lait » autrement dit « lactarium » qui se montraient ainsi à l’aube de la protection maternelle et infantile.

Il fallut attendre la première guerre mondiale et le décret du 27 juin 1922 pour reconnaître officiellement la profession grâce à Léonie Chaptal qui fut directrice d’école d’infirmières. Ainsi, le diplôme naquit, mais aussi, vit le jour le conseil de perfectionnement portant un avis sur les enseignements et organisant les examens officiels à la suite du

31 programme identique à chaque école. Par la suite, trois brevets de capacités étaient créés et apportèrent le titre d’infirmière diplômée d’Etat à des soignantes pouvant être infirmières hospitalières, infirmière visiteuse de la tuberculose ou infirmière visiteuse de l’enfance. Mais, même avec ces trois brevets, les caractéristiques et particularités de l’exercice infirmier devaient encore s’affirmer car la formation se consacrait surtout à la spécificité hospitalière. Alors, le décret du 18 février 1938 annula le diplôme de visiteuse d’hygiène sociale et instaura deux diplômes : infirmière hospitalière et infirmière d’assistance du service social. Dans la même continuité, l’infirmière restait sous le joug médical nécessaire pour exercer une profession naissante exigeant horaires et conditions de travail harassants. En 1942, une loi obligea les directeurs d’hôpitaux à employer des soignantes qualifiées. Les accords de Matignon (réajustements des salaires et semaine de 40 heures) signés en juin 1936 ne rentrèrent en vigueur au sein des hôpitaux qu’en 1968 !

Mais, bien que fut reconnu le Diplôme d’Etat d’Infirmière en 1922, qu’en est-il de celui d’Infirmier de Bloc Opératoire Diplômé d’Etat ? Peut-on parler aussi de professionnalisation du métier d’infirmière de bloc opératoire comme celui d’infirmière ? Quel avenir pour cette profession ?

L’Infirmière de Bloc Opératoire Diplômée d’Etat : son histoire, sa