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Ils sont de deux types :

• Les risques connus : ils sont gérés au niveau organisationnel et sont liés aux différentes vigilances sanitaires : hémovigilance, pharmacovigilance, matériovigilance, réactovigilance, biovigilance…

• Les risques potentiels : ces risques dépendent étroitement du contexte. Poullain et Lespy décrivent une cartographie des risques en trois axes :

o Acte professionnel : activité auprès du malade (activité de production) ; o Organisation : activité transversale ;

o Environnement.

Nous comprenons ainsi que le risque fait partie de l’hôpital et du bloc opératoire. Mais, le bloc opératoire peut-il être considéré comme un système à risque au regard d’une certaine complexité ?

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2- LE BLOC OPÉRATOIRE : UN SYSTÈME COMPLEXE ET À

RISQUES

Le bloc opératoire peut-il appartenir aux systèmes de haute technologie ? Peut-il être considéré comme un système à risques ? Dans nos sociétés modernes, ces systèmes sont très divers : centrales nucléaires, plateforme de forage, aviation civile, médecine dite de pointe …

Amalberti considère que ces systèmes détiennent quatre caractéristiques similaires (Amalberti, 1996, p.25) :

• « Les processus à gérer sont dynamiques, évoluant sans cesse (on parle de processus continus) ». De la sorte, ces systèmes sont constamment évolutifs et instables ;

• « Ils restent sous le contrôle d’hommes » à n’importe quel degré de technicité, d’automatisation. La performance maximale, l’évitement des risques d’incidents ou de catastrophe ne peut faire abstraction de la présence d’une équipe d’hommes qui dirige le système ;

• Ces systèmes sont à risques. Le risque peut avoir un double sens. Tout d’abord, le risque d’accident est omniprésent dans tous ces systèmes même si cette notion évolue en fonction des avancées technologiques. Ainsi, nous pouvons constater que « les accidents sont de plus en plus rares, mais souvent plus graves qu’auparavant » (Ibid., p. 25). Par exemple, même si le transport de masse hyper rapide tel que l’avion semble de plus en plus sûr, un évènement est de plus en plus craint. Le second danger est celui de se tromper pour l’opérateur, celui de l’erreur humaine par méconnaissance ou par manque de temps. Ce dernier engage donc sa responsabilité.

• L’existence de ces systèmes se note dans une perspective macro systémique. Ainsi, « aucune unité sociotechnique ne possède d’indépendance vraie en tant qu’unité fonctionnelle isolée (l’avion, le train, l’atelier de l’usine, la salle d’opérations) » (Amalberti, 1996, p.26).

De même, tout en considérant ces quatre caractéristiques, la recherche omniprésente de la performance et de la sécurité infèrent au plan individuel, pour l’opérateur, pour l’infirmier, un niveau de protection contre les risques et les responsabilités toujours plus élargies. Alors, l’homme apparaît comme le point faible du système car la technique restreint l’occurrence des pannes. L’infirmier de bloc opératoire devant acquérir une technicité de plus en plus

50 importante paraît être un point faible de ce système. Il serait alors perçu comme « limiteur de performance et de sécurité » (Amalberti, 1996, p.33).

Encore, tous ces systèmes de haute technologie sont des systèmes complexes. Cette notion de complexité est connotée différemment en fonction des cultures (Bainbridge, Lenior, Van Der Schaaf, 1993). Ces auteurs se réfèrent à un effet de « tout de tour de Babel » voulant montrer ainsi que chacun mobilise des sens différents pour des mots identiques. Nous retiendrons alors que la complexité « se réfère à un état particulier de la situation imposant pour la majorité des acteurs des contraintes surajoutées et des comportements différents par référence à une situation nominale où la complexité est minimale et les comportements stéréotypés » (Amalberti, 1996, p. 47). Par conséquent, la complexité est « caractéristique de la tâche et de l’environnement ». Elle peut aussi être considérée comme « résultante de l’expertise ». Le bloc opératoire transparaît ainsi comme un univers clos mais aussi impénétrable.

• La complexité comme caractéristique de la tâche à faire et de l’environnement. La littérature sur les facteurs de complexité détermine l’effet de chaque facteur sur la performance du travailleur et donc de l’infirmier.

o Les facteurs temporels. En premier lieu, la dynamique du processus est la durée moyenne des états de ce processus (par exemple pour le décollage d’un avion, les descripteurs sont de sortir le train, d’étendre les volets, etc.) et par la vitesse de transition d’un état à l’autre. Le pilotage d’un avion a de ce fait une forte dynamique alors que la conduite d’un haut fourneau a une dynamique beaucoup plus lente. De même, sont étroitement reliés à la dynamique de processus le degré de réversibilité renvoyant à la possibilité d’annuler une action par une action contraire et le degré de prédictibilité du système qui limite les anticipations entraînant une conduite dans le court terme et une surcharge de travail permanente (Woods, 1998 ; Javaux et de Keyser, 1994). Au bloc opératoire, le degré de réversibilité paraît limité au regard des risques encourus par l’opéré. En second, apparaît la pression temporelle qui est le temps dont dispose l’opérateur pour prendre une décision pour agir sur le système afin d’obtenir une réponse conforme à ses objectifs. La pression temporelle amoindrit les stratégies de prise de décision de chaque opérateur en réduisant le nombre de solutions à envisager (Zakay et Wooler, 1984, Klein, Oranasu et Calderwood, 1993) et en affaiblissant la réflexion au regard d’une

51 anticipation et l’engagement de l’opérateur pour effectuer un choix optimal (Janis et Mann, 1977)

o Le risque : Amalberti différencie le risque externe et le risque interne. Le risque externe renvoie à la notion de risque d’accident, d’évènement indésirable grave au bloc opératoire. Cette notion est objective. L’opérateur peut ainsi évaluer le risque en termes de degré de liberté qu’il pourrait s’octroyer par rapport à une bonne pratique, une procédure, sans pour autant devoir centrer son attention pour la récupération de la situation nominale. Apparaissent ainsi des « marges » que sont ces degrés de liberté. De plus, moins l’opérateur bénéficie de degrés de liberté, plus il évalue que le risque est important. Le risque interne, quant à lui, renvoie à un risque subjectif. Il se décompose à son tour en deux types : celui de ne pas posséder de savoir-faire. L’opérateur possèderait des méta connaissances lui permettant d’évaluer le risque avant l’action. La gestion des risques devant être garantie par l’IBODE est la clé de voute de sa pratique. Le second type renverrait au fait « de ne pas savoir gérer ses ressources au moment de l’exécution, de perdre la maîtrise de l’action » (Amalberti, 1996, p. 53). Ce risque apparaît au moment même de l’action d’où une difficulté pour l’anticiper ;

o La coopération entre les acteurs. Les systèmes à risques se situent au niveau d’un microsystème donc cela suppose des activités de coopération de façon continue dépendant de la structure même de leur organisation. Amalberti distingue alors trois types de structure dans les processus de coopération : les structures hiérarchique, fonctionnelle et temporelle. Au bloc opératoire, les infirmiers sont sous l’autorité hiérarchique du cadre de santé, du cadre supérieur de santé, sous l’autorité fonctionnelle des médecins (chirurgiens et anesthésistes) et doivent répondre à des pressions temporelles émanant notamment des objectifs fixés par la direction. Ces structures peuvent être à l’émergence de facteurs propres de complexité. La division des structures en entités fonctionnelles de taille et de complexité moindre se fait grâce à la spécialisation des fonctions des grandes composantes de l’organisation. Peuvent alors apparaître des problèmes au regard de l’efficacité et de la sécurité (Leplat, 1987) car les frontières entre chaque petite entité ne sont pas clairement définies. Ainsi, il existe des zones d’interface à l’origine des zones traditionnelles d’incertitude. Ces frontières floues favorisent l’émergence de

52 zones où il existe des activités se superposant de façon conflictuelle où se diluent les responsabilités de chacun. La structure temporelle organise, coordonne et synchronise les étapes principales du processus de production. Une des complexités résulte notamment aux diverses références temporelles des différents acteurs se situant à une position leur étant particulière car chacun doit synchroniser son action en fonction de l’autre. Ainsi, la notion de temps pour un chirurgien n’est pas identique à celle de l’infirmier.

• La complexité comme résultante de l’expertise. Elle pourrait se définir comme la difficulté mesurée par l’opérateur. Rasmussen et Lind en 1991 cités par Amalberti exposent trois sources de complexité émanant de la construction de la représentation mentale de la situation. Il existerait une complexité due à la représentation du système, des buts qu’il demande d’atteindre et des connaissances et savoir-faire propres à l’opérateur : en somme, « de quoi suis-je capable ? ». Cette complexité s’amenuiserait ou non en fonction des expériences de situations semblables, des apprentissages professionnels ayant aidant à l’identification des dangers potentiels. La représentation de cette complexité serait le fruit de l’appréhension de se retrouver dans une situation de « non savoir-faire », de ne pas « être à la hauteur ». Ce risque interne est d’autant plus craint car il atteint narcissiquement l’opérateur et qu’il génère un danger réel puisque générateur d’un incident. Une autre complexité serait en lien avec le partage des représentations des agents coopérant dans une même situation. L’opérateur craindrait de perdre la maîtrise de la situation et tout en ayant les connaissances nécessaires à sa maîtrise. Ainsi, cette dimension est personnelle et donc variable d’un opérateur à l’autre dans l’exécution. Elle émane d’une prise de conscience face à un risque de mise en échec de ses capacités cognitives. Elle découle d’une « auto-évaluation de la fatigue (liée au fait qu’il faut traiter la tâche à un niveau d’abstraction plus élevé et couteux en ressources), des erreurs commisses, et plus globalement de la sensation de réduction des marges qui engendre en retour un niveau de stress croissant » (Amaberti, 1996, p. 60). Donc, la complexité serait indivisible des « opérations cognitives que l’opérateur doit mettre en jeu pour garantir la meilleure validité à sa représentation tout au long de l’exécution du travail sans risquer de saturer son système cognitif » (Amaberti, 1996, p. 58).

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3- UNE CHIRURGIE OÙ LE RISQUE EST ENCORE LÀ

Dans le monde, se déroulent chaque année 234 millions d’interventions chirurgicales. Dans nos pays développés où technologie et maîtrise sont essentielles, le taux de mortalité serait de 0.4 à 0.8%. Le taux de complication post opératoires graves fluctuerait entre 3 à 16% selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). La moitié de ces complications toujours selon l’OMS serait « évitable ». En France, d’après les sources de la MACSF, assurance des professionnels de santé, 44% des 2 025 déclarations ayant un lien avec des dommages corporels sont en lien avec la chirurgie. Nous nous proposons toujours selon les mêmes sources de détailler les fautes susceptibles d’être en rapport avec un manquement à une procédure sécuritaire pour l’année 2008 en fonction du type de chirurgie. Sur 79 déclarations en chirurgie générale et viscérale, un corps étranger a été oublié après une hystérectomie (découvert 4 ans après). Est aussi révélée une erreur de côté toujours dans la même spécialité. Lors d’une cure de cystocèle, une compresse a été oubliée lors de la pause de bandelette de type TVT (bandelette synthétique en polypropylène). La patiente a dû subir plusieurs interventions par la suite. En chirurgie orthopédique, une compresse a été découverte après une infection après une cure de hernie discale. Dans la même spécialité chirurgicale, sont dénombrées quatre erreurs de côté ou d’intervention. En chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique une erreur de cible opératoire s’est produite. Enfin, en obstétrique lors de deux césariennes ont été oubliés une compresse et un champ opératoire avec des suites favorables après ré interventions.

Un quotidien régional le Progrès relate une erreur d’intervention. En février 2009, une femme de 64 ans a été amputée des deux seins suite à une « erreur humaine ». Entrée au bloc opératoire pour l’ablation du sein gauche, l’équipe chirurgicale s’est trompée de côté. Elle est sortie du bloc opératoire sans ses deux seins. Elle bénéficiera d’une reconstruction mammaire gratuite a précisé la direction de l’hôpital spécialisé en cancérologie. En février 2011, l’actualité mettait au plein jour le fait divers suivant : depuis plus de six mois, une Lyonnaise de 31 ans a vu sortir au niveau de son ombilic la pointe d’un instrument chirurgical. La pince a été oubliée dans son abdomen après une intervention chirurgicale. Elle ressentait des douleurs abdominales depuis plus de six mois.

54 Dans la presse américaine spécialisée The New England Journal of Medicine en 2003, un article relate d’une étude effectuée entre 1985 et 1991 auprès d’une importante société d’assurances représentant un tiers des médecins du Massachusetts et 22 hôpitaux. 54 patients à leur sortie du bloc opératoire étaient porteurs de 61 corps étrangers : pour 69% des cas il s’agissait de compresses et les 31% restants d’instruments chirurgicaux. Leurs localisations étaient différentes : abdomen ou le pelvis (54% des cas), vagin (22%), thorax (7,4%), canal rachidien, cerveau et visage (17%). Leur détection s’est produite entre 21 jours et 6.5 ans après l’opération.

Au regard de ces dysfonctionnements engendrant des répercussions graves sur le patient, le système complexe et rigoureux du bloc opératoire apparaît faillible. Nous serions en droit de nous questionner : les procédures sécuritaires de contrôle tant sur l’identité du patient, sur la vérification du matériel, que sur les comptes des différents dispositifs médicaux sont-elles appliquées ? Dans une logique de prévention du risque, l’ouvrage « risque au bloc opératoire : cartographie et gestion » relate des différentes erreurs humaines. Il pourrait s’agir d’erreur d’exécution d’une technique, d’une erreur de jugement, d’une violation des règles par oubli ou bien par non-respect des règles de façon délibérée. La cause principale de cette dernière est une « conscience professionnelle médiocre ». Pouvons-nous alors parler d’erreur quand des règles sécuritaires si simples ne sont pas appliquées ? Pouvons-nous évoquer des violations de règle par oubli, inattention, négligence ou manque de connaissances chez des professionnels formés et avertis aux risques au long de leur formation ou de leur exercice professionnel ?

Selon Leculée et Robinson de la Plateforme Régionale d'Appui à la Gestion des Evènements Indésirables Aquitaine, un projet d’arrêté définissant les situations susceptibles d’être la cause d’un événement indésirable grave au sens de l’article R. 1413-33 du code de la santé publique verraient le jour en 2013 (Leculée et Robinson, 2013, p. 12). Les principales causes seraient les suivantes:

1° Erreur d’identification d’un patient y compris pour ce qui concerne l’administration d’un médicament

2° Erreur de site ou de côté lors d’un acte invasif 3° Erreur de nature de prothèse ou d’implant

55 5° Brûlure accidentelle d’un patient au cours de la réalisation d’actes de soins non liés à l’utilisation à l’utilisation médicale des rayonnements ionisants

4- DES PROCÉDURES SE VOULANT ÊTRE RESPECTÉES

Dufey (2006) craint des solutions externes choisies par les professionnels pouvant conduire à des dérives de procédures et de pratiques.

Mais tout d’abord, questionnons-nous sur les procédures sécuritaires. D’où viennent-elles ? Quviennent-elles sont leur utilité ?