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Travail des femmes : la maternité comme handicap social

CHAPITRE VI MODÈLE DU DROIT À L’ÉGALITÉ

6.1 Principe d’émancipation des sexes

6.1.4 Travail des femmes : la maternité comme handicap social

Si le modèle de l’harmonie naturelle formule quelques restrictions à l’égard du travail rémunéré des femmes, étant donné qu’il est perçu comme un empiètement sur leur devoir maternel, le modèle du droit à l’égalité le pose comme une condition sine qua non de l’égalité entre les sexes. Dans le contexte actuel, l’expérience de la maternité est qualifiée de discriminatoire puisqu’elle est synonyme d’assignation des femmes à la sphère privée. En ce qui a trait au marché de l’emploi, le modèle du droit à l’égalité dénonce l’orientation, dès l’enfance, des femmes vers les choix professionnels majoritairement reliés aux soins et signale les injustices qu’elles subissent une fois en emploi.

Traduisant un ordre plutôt qu’un compromis, L’arrangement des sexes de Goffman (2002) questionne l’organisation des interactions qui structurent l’être homme et l’être femme. Il montre comment les différences corporelles ne sont que minimes par rapport au symbolisme construit par l’humain. Parmi les conséquences sociales de la construction de la différence, la division sexuelle du travail apparaît comme un « prolongement culturel » de la fonction de gestation et d’allaitement des femmes : « cette contrainte très temporaire, fondée sur la biologie, s’avère posséder un prolongement culturel. Toute une série de tâches domestiques à accomplir en viennent (quelle qu’en soit la raison) à être définies comme ne convenant pas à l’homme; et toute une série d’occupations extérieures au foyer en viennent à être définies comme ne convenant pas à la femme » (p.73). Bien que certains proclament l’égalité des sexes en raison notamment de l’investissement massif des femmes sur le marché du travail, les tâches domestiques, incluant les soins aux enfants, continuent d’être assignées aux femmes. Cette organisation du travail traduit un rapport hiérarchique puisque ces tâches, de par le fait qu’elles sont étiquetées « féminines », sont considérées dégradantes.

Selon les entrevues qui se positionnent dans le modèle du droit à l’égalité, le défi de concilier famille et emploi incombe d’abord aux femmes, ayant comme impact de freiner leurs carrières et de dédoubler la charge de travail. Francis indique que la maternité constitue une limite à l’implication des femmes dans la vie professionnelle. Pour expliquer que les femmes continuent de se mettre hors jeu en raison de la maternité, il émet l’hypothèse d’une résistance au changement dans les rôles masculins et féminins :

C’est ça, je crois que le fait que l’homme n’interrompt pas sa carrière pour s’occuper des enfants, crée une énorme discrimination : l’homme doit interrompre sa carrière, la

femme le fait bien! Je veux dire la femme se met à risque alors qu’elle passe plusieurs années de sa vie à se soucier non pas d’elle-même et de ses projets de vie, mais à se soucier des enfants. Et je ne dis pas qu’elle ne devrait pas se soucier des enfants, ce qui entraînerait des conséquences énormes, je dis que l’homme a à prendre une place là- dedans, et que s’il y a des problèmes au niveau de la famille, c’est à cause que l’homme n’a pas fait évoluer son genre pour intégrer cette dimension-là de façon suffisante. Ou plutôt que c’est mal vu, ça peut être soit mal vu par les femmes que l’homme prenne sa place, ou mal vu par les hommes de venir prendre leur place. (Francis)

C’est dans cette perspective que Marie dénonce le traitement différencié des mères et des pères, dont l’expression est un jugement social sévère à l’égard des femmes qui désirent s’investir dans leurs carrières :

Il y a aussi au niveau je trouve du rôle plus social tu sais, une femme qui décide de faire carrière, elle est nécessairement une mauvaise mère, même si elle en fait trois fois plus que son mari, son mari qui en fait trois fois moins, lui c’est un bon père, parce qu’il s’occupe de ses enfants, tu sais! Alors je trouve que c’est un peu ingrat, je trouve que tous les postes de direction, de décisions, de haut niveau, tout ça, ça se coordonne vraiment plus mal avec la vie de famille pour une femme que pour un homme. Il y a comme de quoi, je trouve dans la société qui fait que, une mère c’est une mère, et ça ne sera jamais remplaçable, même si il y a un super de bon père. Ta job, c’est de faire des bébés. (Marie)

Alors que le modèle de l’harmonie naturelle se représente la division sexuelle du travail comme le résultat de préférences ancrées biologiquement, le modèle du droit à l’égalité révèle son caractère socialement construit. Nous avons vu que les métiers féminins représentent le prolongement des tâches domestiques et la concrétisation de qualités féminines dites « naturelles », ce qui leur confère un statut de moindre valeur (cf. Jutras, 2010). En invoquant les figures types de l’enseignante (l’éducation) et de l’infirmière (les soins), Marie explique comment elle perçoit la dévaluation des emplois féminins :

Et tu sais comme le pauvre gars qui s’en va au BEPP [Baccalauréat en éducation préscolaire et primaire] là, tout le monde se demande qu’est-ce qu’il va faire là. Et là si on rentre dans toute la paye là, c’est ridicule là! Tu sais les infirmières, moi je parlais avec une infirmière qui était employée dans une grosse compagnie, genre Bombardier là, et elle me dit "moi je gagnais 25$ de l’heure et les soudeurs, qui ont une année de DEP [Diplôme d’études professionnelles], ils gagnaient 45$". Voyons donc! Quel gars va se taper une job pour... Tu sais, il faut vraiment que tu aies envie d’aller jouer dans la marde là! (Marie)

Dans le modèle de l’harmonie naturelle, la peur de la virilisation des femmes et de la féminisation des hommes alimente la socialisation différenciée. Pour expliquer la faible présence des femmes en politique, Marie emploie l’expression psychanalytique de « fantasme collectif », qui traduit la charge émotive que suscite l’accès des femmes au pouvoir : « Mais j’ai l’impression que ce n’est pas dans l’éducation. Je ne me souviens pas d’avoir entendu un père ou une mère dire : "toi un jour tu vas être première ministre". Et des petits gars qui se font dire ça là : "heille toi un jour tu vas être premier ministre". Je n’ai pas l’impression que ça fait partie de l’éducation et du fantasme collectif de voir des femmes en politique ».