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Constitution du corpus de données

CHAPITRE II – OBJECTIFS ET MÉTHODE DE RECHERCHE

2.2 Constitution du corpus de données

Alors que les différences entre les sexes ont été étudiées par de nombreuses enquêtes statistiques, peu d’études se sont consacrées à en saisir le sens, en particulier au regard des jeunes Québécois. De cette perspective découle une approche et une technique de collecte de données, soit l’approche qualitative et l’entrevue semi-dirigée. En effet, la mesure des inégalités est à l’approche quantitative ce que la recherche de sens dans les discours est à l’approche qualitative.

Égalité

Significations à explorer dans Valeurs Normes

Représentations

sociales

de la différence

sexuelle

Rôles Statuts Croyances Mythes Symboles Statu quo

2.2.1 Technique de collecte des données

Étant donné la complexité du sujet et la profondeur de la compréhension recherchée, l’entrevue semi-dirigée s’est imposée comme la technique à privilégier. Bien qu’individuelle, l’entrevue permet tout de même d’atteindre l’aspect social, car le participant est appréhendé sous l’angle des groupes sociaux auxquels il appartient, qui font de lui un vecteur de sa culture et de ses sous- cultures. Dans cette perspective, l’entretien, relevant de la sociologie compréhensive, permet la reconstitution des modèles culturels qui ont été intériorisés par l’individu via sa socialisation (Michelat, 1975). Qualifiée de « méthode indispensable à toute étude sur les représentations », l’entrevue approfondie a longtemps été utilisée dans une visée exploratoire, comme étape précédant l’enquête de type quantitative, plus particulièrement la construction du questionnaire (Abric, 1994, p.61).

Par ailleurs, notre objet de recherche, considéré « sensible » puisque comportant une charge émotionnelle et s’inscrivant dans le champ politique, pose certaines limites qu’il importe d’expliciter. Moliner et Rateau soulignent que des effets de masquage surviennent « dès lors qu'un objet social motive des cognitions qui mettent en cause des valeurs ou des normes sociales valorisées » (2009, p.44). Dans notre cas, cela tient aux normes dans les relations entre les hommes et les femmes; ainsi, Soares (2000) soulève les enjeux inhérents à la relation entre l’interviewer et interviewé, et fait remarquer que le contenu d’une discussion varie en fonction de la présence du sexe dit « opposé ». En présence des femmes, les hommes auraient tendance à la rectitude politique et à la désirabilité sociale, particulièrement lors des échanges sur un sujet sensible, en l’occurrence la différence sexuelle et l’égalité entre les hommes et les femmes. Étant une femme, nous avons pris soin, avant le début des entrevues, d’informer nos interlocuteurs (hommes et femmes) de la valeur de l’authenticité de leur témoignage pour les fins de la recherche. À cet effet, malgré que nous ayons noté quelques comportements d’autocensure, nous avons obtenu une excellente collaboration de la part des répondants des deux sexes.

2.2.2 Justification des critères de sélection des participants

3

Les entrevues ont été réalisées auprès de dix-huit répondants, sélectionnés en fonction des critères suivants : sexe, âge, statut de citoyenneté et niveau de scolarité. Poursuivant l’objectif de mettre en lumière les perspectives des individus en fonction de leurs groupes sociaux d’appartenance, nous avons choisi un nombre égal de femmes et d’hommes. Ensuite, nous avons constitué notre

3 Une liste complète des caractéristiques sociodémographiques des répondants se trouve à la page 31 (tableau

échantillon en sélectionnant des variables sociodémographiques qui prédisposent les individus à adhérer aux discours féministes. Notre stratégie visait alors à réunir les conditions favorables à l’émergence de représentations égalitaires dans le but de cibler, au moment de l’analyse, les représentations sociales qui font obstacle au changement, c’est-à-dire à l’atteinte de cette égalité. En effet, plusieurs études montrent que les positions du groupe ciblé – des jeunes universitaires citoyens canadiens depuis au minimum cinq ans – plutôt qu’un autre (par exemple plus âgé, moins scolarisé et récemment immigré) seraient davantage arrimées à la définition que propose le Conseil du statut de la femme de l’égalité, dont les idées centrales sont l’élimination de la discrimination et de la « hiérarchisation des rapports sociaux entre les hommes et les femmes » (2004, p.33).

Il nous fallait d’abord délimiter le groupe de « jeunes », catégorie plutôt arbitraire. En sol américain, deux recherches ont éclairé notre décision quant à l’âge des répondants. Bolzendahl et Myers (2004) ont constaté que les mentalités des deux sexes quant aux rôles sexuels s’assouplissent constamment depuis les trois dernières décennies, et que les hommes nés après la génération des baby-boomers adoptent des valeurs et des croyances moins traditionnelles (Davis & Greenstein, 2009). Nous avons donc décidé d’arrêter notre choix sur la catégorie des jeunes adultes de 20 à 30 ans. Nés durant les années 1980, ils ont grandi en étant témoins des avancées féministes et du ressac antiféministe, ainsi que de la mondialisation de l’information et des marchés. Ce contexte historique, caractérisé par une accélération de changements sociaux, nous apparaissait particulièrement fécond en débats de société.

Par ailleurs, Davis et Greenstein (2009) ont montré, en territoire états-unien, qu’il existe des différences significatives dans les représentations sociales du genre selon l’appartenance à un groupe ethnique. Par exemple, les hispaniques ont tendance à être moins égalitaires que les non hispaniques. Une étude commandée par l’organisme Promotion des Estriennes pour initier une nouvelle équité sociale (Gilbert, 2003) sur le rapport à l'implication politique chez les jeunes hommes et jeunes femmes de 15 à 30 ans a fait ressortir une tendance analogue. Parmi les catégories de répondants, les jeunes hommes de 21 à 30 ans (fréquentant le cégep4 et l’université) de nationalité autre que canadienne forment le groupe le plus réfractaire au principe d’équité entre les sexes dans les lieux décisionnels, avec 25% d’adhésion. C’est pourquoi, afin de contrôler cette influence culturelle, les participants à notre enquête portent le statut de citoyen canadien depuis au minimum cinq ans.

4 Cegep est un acronyme pour Collège d’enseignement général et professionnel, une institution d’éducation

Une autre variable, soit le niveau de scolarité des jeunes interviewés, est entrée en ligne de compte. Plusieurs études portant sur les sociétés états-unienne et française nous indiquent que le statut socioéconomique (revenu, éducation, emploi) est positivement relié à l’adoption d’attitudes non traditionnelles, et ce, autant chez les adolescents que les adultes (S. N. Davis & Greenstein, 2009; Duret, 1999; Tallichet & Willits, 1986). En d’autres mots, les populations défavorisées adopteraient davantage des croyances et comportements stéréotypés en ce qui a trait aux sphères relevant du féminin ou du masculin. Toutefois, une perspective intersectionnelle montre que différentes variables agissent simultanément dans la manifestation d’attitudes dites égalitaires. Un sondage de grande envergure, administré dans six pays (Chili, Brésil, Mexique, Inde, Rwanda et Croatie), a d’abord fait ressortir de grands écarts sur le plan culturel. Les Rwandais et les Indiens se sont significativement démarqués par des attitudes moins égalitaires que les hommes des autres nationalités. Dans leur conclusion, les auteurs attirent cependant l’attention sur les variables les plus déterminantes : non seulement les hommes détenant un niveau d’instruction plus élevé montrent des attitudes plus égalitaires et moins homophobes, mais les plus jeunes seraient plus enclins à emboîter le pas du changement (Barker et al., 2011). Considérant ces informations, le dernier critère retenu est d’avoir amorcé ou complété des études universitaires. Il a été bonifié par le souci de diversifier l’échantillon en choisissant – informellement - des participants provenant de divers horizons disciplinaires.

Nous sommes consciente que l’échantillon retenu limite la portée des résultats de cette recherche. Nous avons toutefois émis l’hypothèse que, malgré la constitution d’un échantillon relativement homogène, c’est la diversité et la complexité des positions qui caractériseraient les discours de ces jeunes. De plus, étant donné le niveau de profondeur que nous désirions atteindre dans notre analyse, notre choix s’est arrêté sur ces caractéristiques démographiques que nous considérions essentielles. Précisons enfin que notre recherche vise la constitution d’un modèle heuristique pouvant s’appliquer à d’autres cas semblables, plutôt que la généralisation au sens statistique du terme.

2.2.3 Recrutement des participants et déroulement des entretiens

Le recrutement ainsi que la réalisation des entretiens se sont déroulés en juillet et août 2010. La moitié des participants ont été recrutés via notre réseau personnel5 : nous avons toutefois pris soin

5 Quelques personnes de notre entourage ont utilisé la fiche descriptive de notre projet de recherche

de ne rencontrer que des personnes que nous ne connaissions pas. Les neuf autres répondants6 ont été trouvés en visitant trois groupes d'étudiants durant les heures de cours à l’Université de Sherbrooke, plus précisément en informatique, en administration et en géomatique. Avant de nous recevoir dans leurs classes, les professeurs qui avaient accepté de collaborer ont envoyé un courriel de recrutement à leurs étudiants. La Fédération étudiante de l’Université de Sherbrooke a également accepté de diffuser l’annonce de recrutement dans son journal électronique. Au terme de ces stratégies, nous bénéficions de plus d’une trentaine de volontaires : l’enthousiasme à l’égard du sujet était manifeste.

Regardons maintenant le contexte dans lequel les entrevues ont été menées. Après avoir pris contact par courriel avec les répondants dans un premier temps, nous leur expliquions brièvement le thème de la recherche et informions des modalités de l’entrevue par téléphone. C’était également le moment de déterminer le lieu de passation des entrevues; nous avons à cet effet privilégié un local de l'université. Cependant, huit participants ont préféré nous recevoir à leur domicile et un à son lieu de travail. Avant de débuter l’entrevue, nous avons pris quelques minutes pour introduire le contexte dans lequel avait émergé notre intérêt de recherche, c’est-à-dire le questionnement relatif au regard que portent les jeunes sur frontières entre les genres et les multiples significations de l’égalité. Suivait une période d’information sur le déroulement de l’entrevue et un échange avec le participant, avant de signer le formulaire de consentement.

L’entrevue proprement dite variait entre 1h15 et 2h. Puisqu’il s’agissait d’entrevues semi-dirigées, elles débutaient avec une question large : « J’aimerais que l’on parle de ce qu’est un homme, ce qu’est une femme pour vous ». Par la suite, nous étions guidée par le rythme et le contenu des propos des participants, tout en les dirigeant vers des thèmes que nous jugions incontournables à l’atteinte de notre objectif de recherche : 1) différences et ressemblances entre les hommes et les femmes, 2) maternité et paternité, 3) nouvelles formes d’union, de filiation et de fécondation, 4) activité professionnelle, 5) activité militante et politique 6) éducation 7) égalité entre les sexes, 8) images de la femme et de l’homme dans les médias, 9) perception des mouvements féministes. Enfin, le participant était invité à répondre aux questions d’une fiche de renseignement. Le lecteur peut se référer au schéma d’entrevue et à cette fiche aux annexes 1 et 2. La plupart des jeunes rencontrés n’avaient auparavant jamais eu l’occasion de formuler explicitement leur position au

6 Au départ, le recrutement devait uniquement avoir lieu sur le campus de l’Université de Sherbrooke. Pour

des raisons de délai dû au traitement de notre dossier par un deuxième comité d’éthique – en l’occurrence celui de Sherbrooke – nous avons dû solliciter notre entourage afin de démarrer la série d’entrevues.

sujet du genre et de l’égalité. Ils ont apprécié ce moment de réflexion qui leur a permis d’éclaircir leur pensée. Précisons en terminant qu’un prétest a servi à la clarification de certaines questions afin d’améliorer la fluidité de l’entrevue.